« le Journal du séducteur » n'est qu'une petite partie de « Ou bien… ou bien », livre de Kierkegaard beaucoup plus riche. C'est une des oeuvres les plus ouvertement fictionnelles, littéraires, séductrices de ce penseur chrétien.
Johannes, l'auteur de ce journal, a entrepris de séduire une jeune fille nommée Cordélia. Si l'on peut dire que Johannes est tombé amoureux de Cordélia par hasard, spontanément, sans raison, il n'en est rien quant aux trésors d'ingéniosité qu'il va mettre en place pour séduire la jeune fille. C'est un calculateur, un fin psychologue, quelqu'un d'extrêmement réfléchi, sournois penseront certains, pas du tout pressé de parvenir à son but mais très sûr de lui. le lecteur assiste à une véritable chasse, il voit Johannes poser tranquillement ses pièges. C'est comme une partie d'échec, où Johannes accepte de perdre des pièces importantes ou de laisser un apparent avantage à son adversaire, pour remporter la victoire finale.
Cette victoire recherchée et inéluctable est la jouissance de Cordélia, de son amour, de son abandon absolu et sans équivoque. Il ne se sent aucun devoir envers elle, il ne s'agit pas d'obtenir une jouissance contractuelle, mais de la piéger, de lui faire perdre la raison pour l'élever aux plus hautes sphères de l'amour. Et en ceci, il y a un véritable aspect pédagogique dans sa méthode de séduction, il cherche à l'élever, au sens le plus noble du terme, il la veut entière, libre, épanouie, transformée, véritablement femme, éveillée à l'éros. « Il faut qu'elle ne me doive rien, il faut qu'elle soit libre. Il n'y a d'amour, il n'y a de passe-temps et d'éternel amusement que dans la liberté. Et si mon dessein est de la faire tomber dans mes bras comme par une nécessité naturelle, si je m'efforce de la faire graviter vers moi, il m'importe aussi qu'elle ne vienne pas comme une masse pesante, mais comme un esprit gravitant vers un esprit. Elle doit m'appartenir, certes, mais sans disgrâce, sans peser sur moi comme un fardeau. Elle ne doit m'être ni une contrainte physique, ni une obligation morale. Entre nous, il ne doit y avoir d'autre jeu que celui de la liberté. Elle doit m'être assez légère pour que je la porte sur mon bras. »
C'est un excellent livre, avec de beaux passages littéraires, qui sous son thème léger du badinage, pose des questions insidieuses sur la liberté, la conscience et bien sûr l'amour, et qui prend une toute autre ampleur si on le comprend dans l'ensemble de l'oeuvre de Kierkegaard.
Etrange, irritant à certains moments, poétique à d'autres...; et finalement: séduisant!
Etrange: un mélange d'amour, et de "professionalisme " de séducteur fier de son expérience et de son infaillibilité
Irritant, la débauche de techniques pour séduire Cordélia drappée dans un vocabulaire amoureux qui perd tout son romantisme quand Joahnnes nous décrit sans fard ni regret sa fonction utilitaire dans les différentes étapes de la séduction. Il est vrai que ce livre avait pour objet de montrer à sa fiancée la vrie nature de l'auteur, ou du moins de provoquer une réaction de recul.
Mal à l'aise en imaginant Cornélia "vaincue" par certaines lettres de Johannes qui paraissent plusieurs fois faire honte à l'intelligence de sa destinatrice : faut il y avoir une, ironie seconde?
Poétique, par exemple la page (179) consacrée à la petite pêcheuse et sa contemplation gratuite: "adieu ma belle pecheuse, adieu, merci pour ta faveur, ce fut un état d'âme, non pas assez fort pour me faire quitter ma place stable sur la balustrade, mais riche cependant d'émotion intérieure".
Et romantique quand il apprend son nom: "Cordelia ! Quel nom vraiment merveilleux". Personne à tromper , pas de ruse à préparer à ce moment. D'ailleurs, quelques lignes plus loin: "le mystére dont j'entoure presque cette affaire est en tre autres une preuve que je suis réellement amoureux".
Et finalement: livre d'un technicien de la séduction, ou livre d'un amoureux fou torturé par le remord quant aux moyens utilisés pour faire valoir son amour?
Ce séducteur est en réalité un personnage philosophique, une métaphore existentielle : il incarne l'esthétique, l'un des trois stades de l'existence dans la philosophie de Kierkegaard. L'esthète est une catégorie qui renvoie à l'individu vivant au jour le jour, dans l'instant (l'instant n'est pas le présent chez Kierkegaard, l'instant est en dehors de la temporalité), manipulateur et maître de l'ironie.
Un personnage complexe, voire très complexe.
Le livre est très bien écrit, le séducteur est l'un des plus bizarre qui soit.
Il séduit une femme comme si il voulait attraper une proie.
Puis dès qu'il l'a, il se détourne d'elle et s'en va. En essayant de recoller les morceau de la femme amoureuse qu'il a laissé derrière lui...
Un ouvrage que j'ai trouvé crispant car aux antipodes de ma vision de l'amour mais indispensable pour comprendre la philosophie des stades de la vie de Kierkegaard et plus spécifiquement le 1er stade (esthétique) dans lequel il situe son narrateur-séducteur. Ce stade est composé de figures comme Don Juan (jouissance dite extérieure) et, à l'opposé du spectre, Johannes, le personnage principal du Journal du séducteur (jouissance intérieure).
On y suit donc ses manoeuvres pour séduire une femme, Cordelia, dans un but… pédagogique. Pour schématiser très grossièrement, il entend l'aider à se développer, à accéder à l'essence de l'amour (ce pan là, très Pygmalion, m'a particulièrement agacée). On assiste donc à une véritable chasse avec des pièges, une stratégie, une proie et tout le champ lexical associé.
Si vous ne lisez pas souvent de la philosophie (mon cas également), sachez en tout cas que c'est tout à fait accessible car ce sont des réflexions livrées sous la forme d'une correspondance avec un vocabulaire basique.
Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?