AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,59

sur 171 notes
5
1 avis
4
4 avis
3
2 avis
2
4 avis
1
0 avis

Faut-il aborder le Journal du Séducteur comme un vrai roman ? Comme un motif littéraire qui servirait surtout à illustrer une démonstration philosophique ?

Précurseur, avec Schopenhauer et Nietzche, du mouvement de la «Lebensphilosophie» («Philosophie de la vie»), lequel, s'éloignant de l'abstraction pure et de l'«essentialisme» de la philosophie allemande du début du XIXe siècle, s'intéresserait plutôt à l'individu, à sa perception et son expérience subjective de la vie et du monde, son auteur, Søren Kierkegaard (1813 – 1855), considéré par ailleurs comme l'ancêtre du courant existentialiste moderne, ne semblait, quant à lui, aucunement soucieux de faire de distinctions entre les deux genres, «littéraire» ou «philosophique»!

Cet amalgame est d'ailleurs ce qui fascine le plus dans l'oeuvre atypique du grand philosophe danois, dont on est loin d'en avoir à ce jour épuisé complètement le sens et la portée.

Inspirée largement de ses journaux intimes, composée en partie de récits et de petits poèmes en prose, d'aphorismes et de pamphlets se superposant, se succédant, assez souvent dans un même recueil, à des réflexions et à des textes philosophiques ou théologiques, Kierkegaard semble s'amuser à surprendre et à intriguer son lecteur.
Cultivant en même temps une duplicité et une hétéronomie dignes d'un Fernando Pessoa (il signe sous de très divers pseudonymes), un style moiré, changeant, quelquefois à la limite du vaporeux, ainsi qu'une certaine ambiguïté affichée dans les propos tenus par ses personnages et/ou hétéronymes, Kierkegaard n'écarte ni les contradictions internes, ni la mauvaise foi implicites à l'exercice d'auto-observation auquel seront systématiquement soumis ses doublés et personnages, comme s'il cherchait avant tout à explorer librement différentes possibilités d'être dans le monde, évitant dans la mesure du possible de créer un système d'idées cloisonné, sans vouloir faire forcément autorité ou porter trop de jugements définitifs.

C'est ainsi que, en explorateur de l'âme humaine, à l'aide d'un dispositif mis visiblement au service d'une des principales préoccupations qui traversent son oeuvre, à savoir celle d'aller au-delà des apparences, des conventions et des croyances, sociales ou religieuses, qui essayent de nous détourner des questions de fond concernant notre rapport à l'existence, et surtout du sentiment d'absurde et du désespoir qui risquent à tout moment d'y faire irruption (dont en définitive chacun, semble-t-il nous signifier, devra, en négatif ou en positif, faire tôt ou tard l'expérience!) ; à l'aide aussi d'une stratégie d'inspiration socratique, Kierkegaard veut conduire son lecteur à tirer ses propres conclusions, à pratiquer lui-même l'exercice de réflexivité auquel ses multiples avatars et personnages -situés sur leur «chemin de vie» à l'un de trois «stades » définis par sa philosophie : «esthétique», « éthique» et «religieux»- se livrent, ou au contraire, essayent de se soustraire.
Ceux qui se situent au premier de ces stades -«esthéticien» - tel Johannes, personnage central du Journal du Séducteur-, vivent selon lui dans l'instant, dans la fascination du possible, dans le besoin permanent de «divertissement», pris ici dans le sens pascalien du mot ; l'«éthicien», en quête de continuité, aspirerait quant à lui à la durée, à être dans une relation de conformité entre les différents instants qui constituent son existence, ainsi que vis-à-vis des autres et du monde, suivant pour cela des règles et des préceptes auxquels il cherchera de son mieux à adhérer ; le «religieux», enfin, détaché du purement contingent et du temporel, pour lequel rien qui ne serait en rapport avec l'éternité («sub specie aeternitatis», «du point de vue de l'éternité», comme le soulignait Spinoza) n'aurait plus d'importance…

La réflexivité, ainsi que l'héritage d'une ironie socratique ( Socrate constituant en fin de compte le socle principal sur lequel la pensée originale de Kierkegaard s'appuierait) teintée de naïveté (feinte), et en même temps de détachement (vrai) vis-à-vis des dogmes forgés par le sens commun, seront des éléments qui leur permettront éventuellement de faire l'expérience d'une autre dimension, philosophique, ce que Kierkegaard appelle « l'intéressant», par rapport à ce qui serait de l'ordre donc du pur divertissement. C'est aussi ce qui pourrait, à force, permettre au sujet de passer d'un stade à l'autre.
Cette réflexivité, relation de soi à soi-même, est l'élément essentiel mis en perspective dans le Journal du Séducteur. Johannes y est approché essentiellement du point de vue de sa subjectivité à lui, à travers d'extraits de ses journaux intimes ou de sa correspondance personnelle, auxquels aurait accédé, rassemblé et finalement décidé d'éditer, un dénommé A., un ami de Johannes, auteur en même temps d'un prologue exposant le contexte général, ainsi que certains éléments relatifs à la suite des événements qui y sont évoqués.

Les lecteurs seront cependant déçus, je crois, qui s'attendront à trouver ici un manuel du séducteur à la portée de tous (bien que quelques rouages du mécanisme de séduction y soient par moments décryptés), ou un roman classique inspiré du courant romantique allemand très en vogue à ce moment-là (bien qu'on y trouve des traces lyriques et idéalistes mêlées à l'artificialité «esthétisante» recherchée par le personnage), ou enfin des confidences d'un libertin à l'image d'un Valmont ou d'un Casanova, références absolues en la matière.
Ce qui intéressera surtout l'auteur, beaucoup plus en tout cas que son «modus operandi», c'est de mettre en évidence ce qui soutient subjectivement sa jouissance de séducteur «esthéticien», et qui justifierait à ses propres yeux ses intentions et ses agissements ; son « aliénation », dirait-on aujourd'hui ; les arguties et les artifices grâce auxquels il tente de maintenir cette jouissance le plus longtemps possible, comme une fin en soi, essayant de contourner les barrières que la réalité finit inéluctablement par y apposer.

Le piège de la séduction, mais aussi le piège du séducteur ! L'honnêteté et la fausseté associées par ce dernier lui-même aux motivations qui l'animent (plus ou moins présentes, soit dit au passage, dans toute stratégie amoureuse : qui, dans un sens plus large, pourrait d'ailleurs se targuer d'être toujours honnête à cent pour cent vis-à-vis de soi-même ??).

Kierkegaard nous montre son séducteur, non pas exactement en «amoureux» comme il aimerait se faire passer à son propre regard, autant qu'à celui de Cordélia, mais en se regardant lui-même comme quelqu'un d'extérieur «en train d'aimer». Et, malgré le fait qu'il s'y fourvoie, qu'il s'en mêle parfois les pinceaux, qu'importe, puisque le but ultime de son entreprise est d'amener sa proie, elle, à l'aimer au-dessus de tout, et à accorder par la même occasion un sens et une consistance à son être à lui. Bien plus que dans la possession à proprement parler, effective et physique de l'objet amoureux, c'est en cela que résiderait sa quête de jouissance. Sa possession définitive viendra d'ailleurs mettre un terme à l'illusion du jeu, clore un cycle qu'il faudra recommencer à nouveau ailleurs. Sisyphe, quand tu nous tiens...!!

«Son aventure était tellement embrouillée» - constate A. en dépouillant et essayant de mettre dans le bon ordre des feuillets épars, pas toujours datés – «qu'il lui était possible de se présenter comme celui qui avait été séduit, oui, la jeune-fille elle-même pouvait parfois être indécise à ce sujet, et là aussi les traces qu'il a laissées sont si vagues qu'aucune preuve n'est possible. Les individus n'ont été peut-être pour lui que des stimulants, ils les rejetait loin de lui comme les arbres laissent tomber des feuilles – lui se rajeunissait, le feuillage se fanait.»

«Herr Johanes » ne serait pas pour autant, malgré les apparences, une version danoise de «Don Juan». Son stratégie de séduction n'a strictement rien à voir d'ailleurs avec la «consommation», voire le «consumérisme» effréné d'un Don Giovanni, dont son fidèle serviteur, Leporelo, dans le célèbre air du «Catalogue» de l'opéra de Mozart, dresserait l'imposante comptabilité («En Italie, six cent quarante/ En Allemagne, deux-cent trente et une/Cent en France/En Turquie, quatre-vingt-onze/ Mais en Espagne déjà mille et trois!»)
Pas de «catalogue», ni de «collection» chez Johanes, pas l'ombre non plus du fantasme archaïque masculin de coucher-avec-toutes-les-femmes-du-monde. Notre séducteur est dans un rapport «esthétique», non pas quantitatif, mais qualitatif, avec la séduction, en quête non pas de n'importe quelle représentante du beau sexe croisant sa route, mais d'une en particulier qu'il choisit parmi toutes celles, possibles, qu'il ne cesse d'ausculter dans ses pérégrinations incessantes à travers la ville, ces images lui servant aussi, subsidiairement, de stimulant à son sentiment d'exister, l'aidant à imprimer une vision esthétique de la réalité et alimentant l'écriture de son journal..

«Derrière le monde dans lequel nous vivons» -cogite A., le narrateur, après-coup - « loin à l'arrière-plan, se trouve un autre monde ; leur rapport réciproque ressemble à celui qui existe entre deux scènes qu'on voit au théâtre, l'une derrière l'autre. (…) Beaucoup de gens qui se promènent en chair et en os dans le monde réel ne lui appartiennent pas, mais à l'autre. Se perdre ainsi peu à peu, ou disparaître presque de la réalité, peut être sain ou morbide.»

Entre envolées lyriques empreintes de cet idéalisme romantique allemand, vers lequel le personnage, mais aussi à la base Kierkegaard lui-même, semblent malgré eux portés, entre l'usage de l'ironie, et les leurres et les pièges que Johannes se pose à lui-même, le lecteur est constamment invité à chercher l'erreur :

«Est-ce que j'aime Cordélia ? Oui ! Sincèrement ? Oui ! Fidèlement ? Oui ! – au sens esthétique, et cela signifie bien quelque chose. À quoi servirait à cette jeune-fille d'être tombée entre les mains d'un maladroit de mari fidèle ? Qu'aurait-il fait d'elle ? Rien. On dit que pour réussir dans la vie, il faut un peu plus que de l'honnêteté ; je dirai qu'il faudrait un peu plus que de l'honnêteté pour aimer une telle fille. Et je possède ce plus – c'est la fausseté. Et pourtant, je l'aime fidèlement. C'est avec fermeté et continence que je veille moi-même à ce que tout ce qui est en elle, toute sa nature divine puisse se déployer.»

Convaincu tout de même, en tant qu'«éroticien» accompli, de ne pas chercher un simple dérivatif au sentiment de «se perdre de la réalité», mais de toucher au contraire, de près, à «l'intéressant », il estimera, pour couronner le tout, agir en définitive pour le bien de son élue, avec notamment l'idée de faire éclore peu à peu chez Cordélia, jeune fille encore en fleur, une femme en pleine possession de ses moyens, parfaitement libre et maitresse de sa vie – émanation purement phantasmatique de «La Femme», celle-là même qui, comme le prétendrait Jacques Lacan plus d'un siècle après, «n'existe pas», et à laquelle de nombreux passages du journal de Johannes seront consacrés.

Voici par exemple ce qu'on peut y trouver:

« La femme est donc apparence. (…) C'est ce qui explique que Dieu créant Eve ait fait choir un sommeil profond sur Adam ; car la femme est le rêve de l'homme. (…) En tant qu'apparence la femme est marquée par la virginité pure. Car la virginité est une existence qui, en tant qu'existence pour soi, est au fond une abstraction et ne se révèle qu'en apparence. (…) Il n'y avait d'ailleurs pas, comme on le sait, d'image de Vesta, la déesse qui notamment représenta la vraie virginité. (…) Cette existence de la femme (existence en dit déjà trop, car elle n'existe pas «ex» elle-même) est correctement exprimée par le mot : grâce, qui rappelle la vie végétative ; elle ressemble à une fleur, comme les poètes aiment à le dire (…) Mais dans son existence de rêve, on peut distinguer deux stades : d'abord l'amour rêve d'elle, puis elle rêve de l'amour.»

Voici également, n'est-ce pas, de quoi faire littéralement bouillir le sang actuel d'une lectrice pour le coup en chair et en os !! Ce que l'on peut parfaitement comprendre!

Resitués cependant dans le contexte de l'ouvrage, ces affirmations ont une importance pour ainsi dire généalogiquement fondamentale : il s'agit ni plus ni moins d'un plongeon dans les abysses de la psyché masculine, autour de l'essence du féminin ; des prémisses du scénario qui s'est construit, au fil du temps, dans cette arrière-scène dont nous parlait A. ; en lien avec le rôle en creux que les femmes ont été contraintes d'y jouer ; étayées par ce mélange de fascination et de peur provoqués par l'énigme de la féminité sur l'imaginaire masculin (le fameux «continent noir» freudien) ; suscitant à la fois désir de séduire et d'assujettir.
Qui, déjà , aurait peur de Virginia (et) Woolf ??


Comme on le sait bien, et ceci est encore davantage vrai que pour ce qui est des histoires d'amour, les jeux de séduction se terminent mal en général !
Je ne vous dévoilerais donc rien d'exceptionnel en vous le révélant ici!
Du reste, dès le prologue, le lecteur l'apprendra par le compilateur des manuscrits, «A» , puisqu'avant même de laisser la parole à Johannes, le narrateur s'empressera de dévoiler au lecteur le contenu de certaines missives de Cordélia qu'il avait récupérées, après s'être mis à la recherche et avoir pu se mettre en lien avec la jeune femme, lettres qu'elle avait adressées à Johannes après leur rupture et que ce dernier lui avait renvoyées sans même les avoir décachetées...

Car la séduction, hélas, s'apparente quelquefois à la pêche (la métaphore figure aussi dans certains passages du journal de Johannes) : le plaisir y est plus grand dans l'attente, dans les rituels qui l'entourent, dans les différentes positions, et dans l'art subtil du tirage ou du lâchage de la ligne, de sorte que lorsque la prise est effectivement capturée, elle risque souvent d'être, sans façons, rejetée immédiatement dans l'eau!!

Pourtant Cordélia aurait pu peut-être s'en douter, si elle avait su lire entre les lignes certains passages des courriers que son fiancé lui adressait régulièrement, lettres qui, d'après Johannes, constituaient des éléments indispensables à l'«érotisation», aussi bien «physique» que «spirituelle» de Cordélia, sorte de préliminaires contribuant à amener sa proie à s'abandonner «librement» et complètement à lui.
Mais en même temps ne lui écrirait-il pas parfois des mots quelque peu sibyllins, tels ceux-ci:

« Ma Cordélia,
Qu'est-ce que le désir ? La langue et les poètes font rimer désir et prison. Quelle absurdité ! Comme si celui qui est en prison pouvait brûler de désir ! (…) Mais peut-on donc désirer ce qu'on possède ? Oui, si on pense qu'à l'instant d'après peut-être on ne le possédera plus! »

En lisant, parmi tant d'autres réflexions du même acabit développées par notre « esthéticien», de tels propos, on ne peut pas s'empêcher, d'autre part, d'imaginer que Proust également, à l'instar des existentialistes, se serait peut-être largement abreuvé chez Kierkegaard ! Et que sous certains aspects, sa «Recherche du Temps Perdu » pourrait aussi être considérée comme une ode monumentale au « stade esthétique», défini par le philosophe entre autres, rappelons-le, comme «fascination des possibles», comme un moyen de se mettre à l'abri du passage du temps, ou encore, comme dirait Johannes lui-même, de «jouir d'une situation tout en évitant d'y être englobé soi-même, caché en elle»!!

Quoi qu'il en soit, le regard que le philosophe porte indirectement, à travers A. , sur le destin réservé aux ruses d'un séducteur tel Johannes semblerait le confirmer : « au moment déjà où son âme inquiète pense voir la lumière du jour pénétrer dans la tanière, c'est en vérité une nouvelle entrée qui apparaît et, poursuivi par le désespoir comme un gibier effaré, il cherche toujours une issue et ne trouve toujours qu'une entrée, par où il rentre en lui-même (…). Il serait trop dire, rajoute-t-il, que sa conscience se réveille pour autant, celle-ci ne se présentant pour lui que «sous la forme d'une inquiétude qui, en un sens plus profond, ne l'accuse pas, mais le tient éveillé, et qui ne lui accorde aucun repos dans son agitation stérile ».

Comment s'en sortir alors ? Proust dirait en définitive « par le chagrin, le seul qui développe les forces de l'esprit ». Ce fut bien le cas ici, pour Cordélia. Alors que pour Johannes, on ne le saura guère : à la limite, on ne peut, tel le narrateur, que l'espérer pour lui!

Enfin et enfin, pour répondre à la question posée comme point de départ à ce billet (encore une fois trop long !), précurseur aussi à son tour, de plein droit, du «roman à thèse» existentialiste du XXe, le Journal du Séducteur pourrait être considéré également comme une excellente porte d'entrée à l'oeuvre de Kierkegaard!
La profondeur du propos, à la fois sur le plan psychologique et philosophique, l'ouverture et la richesse de sens qu'il comporte, les réseaux multiples de significations auxquels chaque lecteur, parallèlement à une intrigue somme toute assez sommaire et sans surprises, pourrait se voir renvoyer, la grande liberté laissée à ce dernier par rapport aux interprétations et aux réflexions qu'il serait en mesure non seulement d'en extraire, mais aussi d'extrapoler à d'autres domaines de son existence, classeraient sans ambages le récit de Kierkegaard parmi ce que le philosophe lui-même appelait «l'intéressant», ce niveau dans notre rapport au monde et aux êtres où, bien au-delà du «divertissement» qu'ils peuvent nous apporter, nous interroge sur le sens que nous cherchons à donner à notre comportement et à nos actes.


(PS : J'espère ne pas vous avoir laissé malgré tout le sentiment qu'il s'agirait d'une lecture trop pointue, peu accessible à un lecteur «lambda», ce qui n'est pas vraiment le cas ! En compensation, la traduction de l'ouvrage, publiée chez Gallimard pour la première fois en 1943, mériterait à mon avis un toilettage en règle : non seulement les constructions de phrase semblent parfois un peu trop lourdes en français, mais le pire, ainsi que j'ai eu l'occasion de constater en tombant par hasard sur une autre édition du roman en langue étrangère (non pas en danois, que je ne connais malheureusement pas, mais en espagnol !), c'est qu'il y a peut-être aussi des passages franchement «tronqués» !)




Commenter  J’apprécie          3728
Un personnage complexe, voire très complexe.
Le livre est très bien écrit, le séducteur est l'un des plus bizarre qui soit.
Il séduit une femme comme si il voulait attraper une proie.
Puis dès qu'il l'a, il se détourne d'elle et s'en va. En essayant de recoller les morceau de la femme amoureuse qu'il a laissé derrière lui...
Commenter  J’apprécie          150
« le Journal du séducteur » n'est qu'une petite partie de « Ou bien… ou bien », livre de Kierkegaard beaucoup plus riche. C'est une des oeuvres les plus ouvertement fictionnelles, littéraires, séductrices de ce penseur chrétien.
Johannes, l'auteur de ce journal, a entrepris de séduire une jeune fille nommée Cordélia. Si l'on peut dire que Johannes est tombé amoureux de Cordélia par hasard, spontanément, sans raison, il n'en est rien quant aux trésors d'ingéniosité qu'il va mettre en place pour séduire la jeune fille. C'est un calculateur, un fin psychologue, quelqu'un d'extrêmement réfléchi, sournois penseront certains, pas du tout pressé de parvenir à son but mais très sûr de lui. le lecteur assiste à une véritable chasse, il voit Johannes poser tranquillement ses pièges. C'est comme une partie d'échec, où Johannes accepte de perdre des pièces importantes ou de laisser un apparent avantage à son adversaire, pour remporter la victoire finale.
Cette victoire recherchée et inéluctable est la jouissance de Cordélia, de son amour, de son abandon absolu et sans équivoque. Il ne se sent aucun devoir envers elle, il ne s'agit pas d'obtenir une jouissance contractuelle, mais de la piéger, de lui faire perdre la raison pour l'élever aux plus hautes sphères de l'amour. Et en ceci, il y a un véritable aspect pédagogique dans sa méthode de séduction, il cherche à l'élever, au sens le plus noble du terme, il la veut entière, libre, épanouie, transformée, véritablement femme, éveillée à l'éros. « Il faut qu'elle ne me doive rien, il faut qu'elle soit libre. Il n'y a d'amour, il n'y a de passe-temps et d'éternel amusement que dans la liberté. Et si mon dessein est de la faire tomber dans mes bras comme par une nécessité naturelle, si je m'efforce de la faire graviter vers moi, il m'importe aussi qu'elle ne vienne pas comme une masse pesante, mais comme un esprit gravitant vers un esprit. Elle doit m'appartenir, certes, mais sans disgrâce, sans peser sur moi comme un fardeau. Elle ne doit m'être ni une contrainte physique, ni une obligation morale. Entre nous, il ne doit y avoir d'autre jeu que celui de la liberté. Elle doit m'être assez légère pour que je la porte sur mon bras. »
C'est un excellent livre, avec de beaux passages littéraires, qui sous son thème léger du badinage, pose des questions insidieuses sur la liberté, la conscience et bien sûr l'amour, et qui prend une toute autre ampleur si on le comprend dans l'ensemble de l'oeuvre de Kierkegaard.
Commenter  J’apprécie          140
Ce séducteur est en réalité un personnage philosophique, une métaphore existentielle : il incarne l'esthétique, l'un des trois stades de l'existence dans la philosophie de Kierkegaard. L'esthète est une catégorie qui renvoie à l'individu vivant au jour le jour, dans l'instant (l'instant n'est pas le présent chez Kierkegaard, l'instant est en dehors de la temporalité), manipulateur et maître de l'ironie.
Commenter  J’apprécie          110
Etrange, irritant à certains moments, poétique à d'autres...; et finalement: séduisant!

Etrange: un mélange d'amour, et de "professionalisme " de séducteur fier de son expérience et de son infaillibilité

Irritant, la débauche de techniques pour séduire Cordélia drappée dans un vocabulaire amoureux qui perd tout son romantisme quand Joahnnes nous décrit sans fard ni regret sa fonction utilitaire dans les différentes étapes de la séduction. Il est vrai que ce livre avait pour objet de montrer à sa fiancée la vrie nature de l'auteur, ou du moins de provoquer une réaction de recul.
Mal à l'aise en imaginant Cornélia "vaincue" par certaines lettres de Johannes qui paraissent plusieurs fois faire honte à l'intelligence de sa destinatrice : faut il y avoir une, ironie seconde?

Poétique, par exemple la page (179) consacrée à la petite pêcheuse et sa contemplation gratuite: "adieu ma belle pecheuse, adieu, merci pour ta faveur, ce fut un état d'âme, non pas assez fort pour me faire quitter ma place stable sur la balustrade, mais riche cependant d'émotion intérieure".
Et romantique quand il apprend son nom: "Cordelia ! Quel nom vraiment merveilleux". Personne à tromper , pas de ruse à préparer à ce moment. D'ailleurs, quelques lignes plus loin: "le mystére dont j'entoure presque cette affaire est en tre autres une preuve que je suis réellement amoureux".

Et finalement: livre d'un technicien de la séduction, ou livre d'un amoureux fou torturé par le remord quant aux moyens utilisés pour faire valoir son amour?

Commenter  J’apprécie          60
Un homme cynique entreprend de séduire une jeune fille et décrit minutieusement sa stratégie. Il pousse l'esthétisme et la cruauté jusqu'à prévoir, dès le début, la rupture.
Récit très théorique, très intellectuel, malgré l'inspiration autobiographique. On s'ennuie dans cette finalement superficielle et stérile entreprise. On peut reconnaître au narrateur une grande finesse psychologique, mais cet homme me fait pitié. Tout ce temps pour se prouver à lui-même orgueilleusement qu'il peut faire perdre la tête à une jeune fille. Car au final, quand on lit la lettre que Cordélia lui laisse (une lettre présentée rétroactivement dès le début de l'histoire), on est malheureux pour elle, et on a honte pour lui. Cet homme a-t-il jamais été vraiment amoureux sans calcul ?
Ce récit est un exercice d'esthétique. J'ai aimé certains passages, ci-joints.
Commenter  J’apprécie          40
le Journal du séducteur — roman philosophique qui traite de la figure kierkegaardienne de l'esthète, qui vit dans l'instant mais hors du présent (qui renvoit à une temporalité propre au mode d'être éthique) et sans le placer non plus dans la perspective de l'éternité (qui intéresse le religieux) — est une oeuvre est d'une grande profondeur et d'un accès moins facile qu'il n'y paraît. Ce livre est à replacer dans la somme de l'auteur, pour le saisir entièrement.

Commenter  J’apprécie          40
C'est un roman philosophique, mais il se lit bien car il a la forme d'un journal, il raconte les amours d'un jeune homme, ses moyen pour séduire et les sentiments qu'il éprouve à la recherche de l'amour.
Très vite, on est dans une introspection totale et on se rend compte qu'il ne se passe pas grand chose. le sujet est surtout un prétexte pour philosopher sur la vie, la vanité, la recherche du plaisir et le sens des actions, bref l'existence.
J'ai un peu eu le sentiment de tromperie sur la marchandise, même si je savais à qui m'attendre. Je m'attendais à plus de récit et moins de pensées mais le livre reste un essai philosophique et il faut être habitué à cette lecture. Malgré cela, il y a un charme propre aux amours du dix-neuvième siècle et on peur trouver un certain plaisir à le lire.
Commenter  J’apprécie          40
Søren Kierkegaard (1813-1855) a conquis la notoriété grâce à la publication de son "Journal du séducteur" en 1843. Il s'agit bien d'un journal intime, entrecoupé de lettres. C'est un certain Johannes - séducteur de son état - qui consacre toute son habileté à ensorceler une jeune fille prénommée Cordélia. Il se veut un Pygmalion cynique; il écrit: « En apprenant à aimer, elle apprendra à m'aimer, moi ». Narcissique, il disserte longuement sur sa stratégie de séduction, ses états d'âme et des considérations générales. La réflexion et l'analyse psychologique sont très poussées, mais j'ai trouvé que c'était fastidieux et assez artificiel. On croit que cette fiction aurait une composante autobiographique; si c'est vrai, Kierkegaard était certainement un homme compliqué et peut-être pervers.
Commenter  J’apprécie          32
Un ouvrage que j'ai trouvé crispant car aux antipodes de ma vision de l'amour mais indispensable pour comprendre la philosophie des stades de la vie de Kierkegaard et plus spécifiquement le 1er stade (esthétique) dans lequel il situe son narrateur-séducteur. Ce stade est composé de figures comme Don Juan (jouissance dite extérieure) et, à l'opposé du spectre, Johannes, le personnage principal du Journal du séducteur (jouissance intérieure).

On y suit donc ses manoeuvres pour séduire une femme, Cordelia, dans un but… pédagogique. Pour schématiser très grossièrement, il entend l'aider à se développer, à accéder à l'essence de l'amour (ce pan là, très Pygmalion, m'a particulièrement agacée). On assiste donc à une véritable chasse avec des pièges, une stratégie, une proie et tout le champ lexical associé.

Si vous ne lisez pas souvent de la philosophie (mon cas également), sachez en tout cas que c'est tout à fait accessible car ce sont des réflexions livrées sous la forme d'une correspondance avec un vocabulaire basique.


Commenter  J’apprécie          30




Lecteurs (510) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}