C'est là le paradoxe suprême de la pensée que de vouloir découvrir quelque chose qu'elle-même ne puisse penser.
[Selon Socrate]
Si [le maître] se donne et donne son enseignement de quelque autre manière [qu’en étant un point de départ contingent], alors il ne donne pas, mais prend, alors il n’est même pas ami de l’élève, encore moins son maître. Là est la profondeur de la pensée socratique, cette humanité si noble, si accomplie, qui fut la sienne, qui ne recherche pas vainement la compagnie de la clique des intellectuels mais se sent tout aussi proche d’un peaussier […].
L’homme vit tranquillement en lui-même, alors s’éveille le paradoxe de l’égoïsme en tant qu’amour pour un autre dont on regrette l’absence (l’amour de soi est au fond de tout amour ou y périt […]).
Le disciple est l’occasion pour le maître de se comprendre lui-même, le maître est l’occasion pour le disciple de se comprendre lui-même. A sa mort le maitre n’a rien à prétendre sur l’âme du disciple, pas plus que le disciple sur celle de son maître.
Le changement du devenir est la réalité. Le passage s’effectue par la liberté. […]
Tout devenir s’opère par la liberté, non par nécessité ; aucun devenant ne devient pas une raison, mais toujours par une cause. Toute cause aboutit à une cause librement agissante.
Qu’est donc l’inconnu ? Il est la limite vers laquelle on ne cesse d’aller et, en tant que tel, quand, à la détermination de mouvement est substituée celle de repos, il est le différent, l’absolument différent.
Avoir une opinion, c’est pour moi à la fois trop et trop peu, cela présuppose sécurité et bien-être, tout comme dans cette vie terrestre d’avoir femme et enfants, ce qui n’est pas accordé à celui qui doit se débattre jour et nuit sans pourtant avoir sa subsistance assurée. […]
Si, par contre, quelqu’un veut être assez courtois pour croire que j’ai une opinion, s’il pousse la galanterie jusqu’à l’adopter parce que c’est la mienne, je suis aux regrets, pour sa courtoisie, qu’il la place si mal, et pour son opinion, s’il n’en a pas d’autre que la mienne ; ma vie, en effet, je peux bien la risquer, je peux en toute gravité badiner avec elle, -mais pas avec celle d’un autre.
Ce qui est dialectique sous le rapport du temps a, en soi, une ambiguïté : celle de pouvoir, après avoir été présent, subsister comme passé. Ce qui est à proprement parler historique est toujours le passé […] et, en tant que passé, est réel ; car il est sûr et certain que c’est arrivé […]. Comprise autrement, l’intellection du passé se méprend sur elle-même (qu’elle est intellection) et sur son objet (qu’un quelque chose de ce genre puisse devenir un objet d’intellection).
Qui comprend cette contradiction de la tristesse : que ne pas se révéler soit, comme on sait, la mort de l’amour, et que se révéler soit la mort de l’aimé ?
Il ne faut pas dire du mal du paradoxe, passion de la pensée: le penseur sans paradoxe est comme l'amant sans passion, une belle médiocrité.