Kierkegaard, un philosophe bien méconnu relativement à l'influence qu'il a eu sur toute la pensée moderne, et notamment sur tous ceux qui se sont réclamés du mouvement existentialiste, et pour cause, il en est le principal fondateur. Pour comprendre au mieux lesdits existentialistes, il m'a semblé nécessaire de retourner à la racine de leur mouvement, de retourner à la base de cette pensée, cette racine, cette base, c'est la philosophie de Kierkegaard.
Le désespoir est partout. Voilà ce que l'auteur nous assène très rapidement après avoir débuté cette lecture. Nous sommes tous des désespérés, certains s'ignorent, d'autres croient l'être mais pas pour les bonnes raisons, et les derniers - dont l'auteur fait évidemment partie, on n'érige pas un concept sans s'octroyer son sommet - ont conscience, et de l'être, et des raisons de ce désespoir.
Ce désespoir, concrètement, quel est-il ? Il se traduit en différentes attitudes face à son constat, voire à son non-constat pour ceux qui glanent le titre de "désespérés qui s'ignorent", il y a le désespéré de la nécessité, le désespéré du possible, le désespéré de l'infini, le désespéré du fini, le désespéré conscient de son désespoir, le désespéré non conscient... Autant de théories qui finissent toutes de la même manière : on n'échappe pas au désespoir, l'unique porte de sortie face à lui est que l'on se trouve tous face à Dieu. Que l'homme en augmentant la conscience de son moi, se doit de plonger dans la conscience de son Créateur, et c'est cette conscience du moi exponentielle qui permet d'accéder au stade religieux, la plus haute conscience de l'existence - et dominant le stade éthique qui domine lui-même le stade esthétique. Attention, ce n'est pas pour autant que l'on n'est plus désespéré, on le reste, mais au moins, ce désespoir n'est pas vain !
Kierkegaard définit ainsi l'un des nombreux désespoirs auxquels nous somme tous confronté : être prisonnier de son être pour l'éternité - sa philosophie reste basée sur la chrétienté -, je désespère de ne pas avoir la capacité à obtenir ce qui me permettrait de faire un pas de plus vers le bonheur, en tant que je suis prisonnier de mon être, de cet être qui n'arrive pas à saisir ce que je désire, je ne satisferai jamais ce désir, donc je désespère, en l'occurrence, je désespère face à l'éternité. Pour illustrer plus clairement la chose : je désespère de ne pas être César, qui n'est pas César ? Mon être. Qui me conditionne, me nécessite ? Mon être. Qui ne deviendra jamais César ? Mon être. de qui je ne parviendrai jamais à m'arracher ? de mon être. Je désespère.
C'est une pensée réellement fondatrice, je ne vous en ai bien sûr exposé qu'une infime partie, étant moi-même très modeste quant à ma connaissance de sa totalité.
Passons à la forme : d'abord, Kierkegaard se veut être le penseur de l'individualité face à la totalité (cf. la citation que j'ai ajoutée sur le penseur qui n'habite pas le palais qu'il érige), en ce sens il s'oppose à Hegel et à sa pensée systématique, et ce n'est pas une déduction implicite que l'on a tirée de son oeuvre, c'est bien lui qui se revendique ainsi. Cette lutte contre la dictature de la totalité se ressent un peu dans son ouvrage, celui-ci semble un peu brouillon, le plan n'apparaît pas clairement défini, il est constitué de "livres" divisés en chapitre parfois eux-même divisés en sous-parties - A) ; B) - auxquelles ils arrivent encore d'être divisées en "sous-sous-parties" - a) ; b) - et qui subissent quelques fois là encore une division - 1° ; 2° . Autant dire que ça paraît flou et l'on s'y perd facilement si l'on veut prendre en notes ce que l'on retire de chaque constitutifs du grand tout qu'est l'ouvrage. Pour autant, et c'est là l'une des grandes qualités de Kierkegaard, il est impossible de nier un style littéraire extrêmement recherché et qui permet une excellente assimilation des concepts, bien que la traduction laisse franchement à désirer - quoique je ne lis pas le danois, il y a des passages à la syntaxe fort douteuse -, le génie stylistique de l'auteur parvient à percer à travers cette transposition linguistique.
Il y a un perpétuel retour au christianisme - dont certaines tares de ses adeptes sont d'ailleurs habilement critiquées - qui peut fortement agacer des lecteurs du XXIème que nous sommes, mais si l'on a la capacité à faire abstraction de cette "échappatoire" - il est bien pratique de recourir au transcendant lorsque des contradictions s'opèrent dans notre pensée -, il y a énormément de concepts méritant un intérêt philosophique dans cet ouvrage. Kierkegaard est un philosophe fondateur et primordial pour comprendre la pensée de ses successeurs. En le lisant, j'y ai retrouvé beaucoup de concepts que
Sartre aura repris puis mis à jour pour sa philosophie athée, preuve, s'il en fallait, que Kierkegaard a influencé les plus grands ! Je cite
Sartre comme je pourrais citer Deleuze, Camus, Heidegger et pour ainsi dire tous les philosophes qui lui ont succédé et qui s'y sont confronté.
C'est la première brique de sa pensée que je découvrais, pas la dernière, Kierkegaard m'a beaucoup intéressé autant par sa pensée que par son style, un philosophe trop peu cité mais dont le nom mériterait pourtant d'en précéder beaucoup.
A lire pour les philosophes, à éviter pour les anti-religieux qui, se targuant d'une tolérance accrue face à leurs homologues croyants, finissent par les haïr à un point que ces derniers n'ont expérimenté qu'aux heures les plus sombres de leur religion.