Les Minidoutes

De plus en plus, je constate qu'en littérature jeunesse le thème de l'anxiété gagne en présence, ce qui n'est pas pour déplaire quand on lit que, selon L'institut de la statistique du Québec, 17 % de nos ados de la province sont touchés par des troubles anxieux dans les dernières années, alors qu'il était de 9% en 2010-2011 et selon le Conseil Supérieur de l'Éducation, le trouble anxieux est le plus fréquemment rapporté, avec une prévalence de 6.4% chez les 5-19 ans, au Québec comme dans le monde.


C'est donc une nécessité de faire plus de place à la santé mentale dans la littérature jeunesse, qui couvre du 0 à 25 ans, maintenant. N'oublions pas le Jeune Adulte.


Alors, dans le présent album jeunesse destiné aux enfants du premier cycle primaire, nous avons articulé une histoire autours de figures plus concrètes: les "Et-Si?". Dans l'histoire, les Et-Si sont de deux natures différentes. On a les Et-Si "Négatifs", de petites entités monstrueuses colorées qui chuchotent des anticipations: "Et si je n'y arrive pas?" "Et si mes doigts touchent les mauvaises notes?" "Et si tout le monde rit de moi?". Et les Et-Si "positifs", porteur d'espoir, marqueur de talent et optimistes.


Les Et-Si négatifs Cora en sait quelque chose. Cette jeune fille fait du piano et semble assez douée par ailleurs, mais elle est aussi anxieuse. Ses angoisses attirent les accaparants Et-Si négatifs, qu'elle attire comme des mouches. Une palette de réactions physiques et psychologiques sont ainsi observables chez le personnage. Plus l'enjeu est grand, pire sont les réactions et plus intenses sont les anticipations chuchotées. Mais alors qu'elle doit faire un spectacle de piano, Cora se sent envahie par ses appréhensions et ses idées envahissantes. Heureusement, une de ses camarades vient la trouver et l'écoute. Et propose une piste somme toute assez pertinente: Et si les Et-Si devenaient "positifs"? "Et si j'y arrivais"? "Et si se tromper n'était pas si grave?" Et si je me faisais une amie?"
Cora fait son concert, se trompe même une fois, mais la nouvelle énergie plus lumineuse des Et-Si positifs lui insufflent plus de force et de sérénité pour poursuivre. Après de chaleureux applaudissement, notre petite musicienne rejoint ses camarades pour une part de gâteau au chocolat.


J'aime l'idée des Et-Si positifs, parce que c'est bien plus réaliste que de ne pas réfléchir du tout, conseil un peu trop souvent donné aux anxieux qui sont envahis par les Et-Si Négatifs ( les appréhensions et les anticipations négatives). L'idée de convertir une idée à priori négative en positive permet de changer ce qu'on appelle le "discours ou monologue intérieur", ce dialogue qu'on se tient, ces idées qui nous semblent soufflée par en-dedans. Convertir ce dialogue pessimiste et fataliste en optimisme et en constructif permet aussi de construire un estime de soi plus solide, car on se "voit", on se projette dans un futur sans danger ou alors dans un futur agréable. "Et si je fais une découverte?" "Et si je peux réessayer?" "Et si je me découvre une nouvelle force?". On opte pour le fait d'être capable et aussi de se donner le droit à l'erreur. Bien sur, dans la réalité, changer ce genre de pensée intrusive n'est pas facile et automatique, mais avec une répétition assidue et un effort constant, c'est réaliste et c'est un bon outil à ajouter à son coffre à outils de vie.


Un autre aspect dont il importe de parler ici est la présence de Stella, la jeune fille qui a des Et-Si positifs. Elle fait ce qu'on appelle dans le jargon TS de "l'écoute active". C'est-à-dire une écoute sincère, concentrée et sans jugements. L'écoute active est le noeud de la guerre dans n'importe quelle dimension sociale, mais dans celle de la maladie et des troubles de la santé mentale, elle est impérative. L'anxiété peut rapidement devenir ingérable, tel un gros contenu dans un petit contenant. Pour baiser la pression qu'elle fait peser sur la personne, parler est un excellent moyen de canaliser le tout. Ça permet de canaliser ses émotions, verbaliser ses angoisses et trouver du réconfort. Ça nous semble intuitif et simple dit comme ça, mais pourtant c'est bien un des meilleurs moyens. Donc, Stella, à l'échelle de l'histoire bien sur, fait ce qu'il y a de plus salutaire pour Cora, elle l'écoute. Elle lui fait même une suggestion en lui parlant de ses Et-Si positifs.


Avoir des inquiétudes, surtout en contexte de performance comme pour un concert, n'a rien d'anormal. Cependant, quand la pression empêche de dormir, d'être fonctionnel et engendre des maux de ventre ou formes de stress somatique ( C'est-à-dire des symptômes d'ordre physique dont l'origine est au moins en partie liée à l'état psychique) les inquiétudes deviennent des fardeaux et empêche la personne de vivre sa vie sereinement. Les enfants et les adolescents n'y font pas exception et avec la pression liés aux études, aux sports et même aux relations sociales qui sont plus que jamais élevés, il importe de s'intéresser à ce qu'est un stress sain contre un stress malsain qui devient de l'anxiété. Quand l'anxiété devient ingérable, on peut même tendre vers un TAG ( trouble anxieux généralisé). Ça n'a donc rien de banal. Il importe aussi, je pense, de s'intéresser aux symptômes d'anxiété, d'en parler avec les jeunes afin de mettre des mots sur cet état et finalement de montrer que c'est quelque chose qui touche tout le monde a divers degrés. le danger, quand l'enfant pense qu'il est seul avec cet état angoissant, c'est qu'il se sente anormal et incomprit, et donc qu'il se ferme comme une huitre sur lui-même. En parler et le voir, notamment grâce aux livres, c'est un moyen de normaliser le phénomène de l'anxiété et tendre vers des solutions.


Dernier petit point: la musique est un bon canalisateur d'anxiété, ne ce sens où certains musiciens, une fois "rentrés" dans leur musique, peuvent faire fit de ce qui les entoure et se laisse emporter par leur exercice. Ça n'a rien de scientifique, c'est ce que me rapport des amis musiciens et certains musiciens de carrière qui en ont parlé. D'ailleurs, la petite musicienne semble bien heureuse quand elle joue.


Bon, clairement, j'ai encore trop extrapolé, je m'en excuse un peu, mais c'est un sujet réellement important, je ne voulais pas faire de coins ronds.


Je termine sur le graphisme, qui est très beau, très coloré. les Et-Si sont mignons, plus lumineux et sympathiques quand ils sont positifs, d'ailleurs. Il y a une belle diversité de couleurs de peau et les expressions sont facile à déchiffrer.


Un bel album autant pour les profs, les intervenant.e.s et les parents.


Pour un lectorat du premier cycle primaire, 6-7 ans en montant.