Le titre énigmatique de ce roman fait référence à la floraison, très rare, du sisal, une plante dont l'exploitation a fait la fortune des propriétaires terriens du Mexique au début du siècle dernier. le livre retrace de manière romancée une histoire vraie qui a laissé peu de traces matérielles, et donc fort méconnue. Nous sommes en 1905, au départ d'une Corée envahie par les japonais et qui s'apprête, pour un temps, à disparaître. 1 033 coréens vont fuir le pays, pour une destination ultramarine lointaine, le Mexique, où ils pensent, mais sans trop savoir finalement, travailler dans des plantations contre une rémunération décente. Tout une société est reconstituée, il y a beaucoup de paysans, des militaires, des religieux, des nobles, des colporteurs et des voleurs ! Mais le voyage en bateau dure des semaines, dans des conditions d'hygiène déplorables, et dans la promiscuité. La hiérarchie sociale est abolie, au grand dam d'un membre de la famille impériale coréenne, dont justement la fille, Yeon-su, d'une grande beauté, va croiser le regard d'un jeune homme de rien, I-Jeon. C'est le coup de foudre et ils deviennent vite amants clandestins. Arrivés à destination, tous ces expatriés ne vont pas tarder à déchanter. Ils ont en fait été vendus pour travailler pendant quatre ans dans des haciendas à couper du sisal. La chaleur est étouffante, les feuilles de sisal sont coupantes, la rémunération est très maigre, ils sont battus. Répartis entre différentes haciendas, certains opportunistes cherchent à tirer leur épingle du jeu pour bénéficier de conditions avantageuses comme Kwon qui se fait interprète, Choi qui continue à voler ses compatriotes, pendant que le paksu, ce chamane bien dans la tradition ancestrale coréenne continuera à produire ses impressionnantes cérémonies. Les Mexicains catholiques n'apprécient pas, et ne croient même pas en la foi du prêtre catholique coréen Pak, trop proche du paksu pour ne pas être possédé par le démon. Mais les Coréens ont la peau dure, ils s'adaptent tant bien que mal, et mieux finalement que les Mayas eux aussi exploités. Des rébellions éclatent, matées dans la violence et plus rarement des négociations aboutissent avec des propriétaires qui sentent que les temps changent…C'est que la Révolution mexicaine zapatiste s'annonce…Au terme des quatre ans de contrat, les destins individuels sont très divers. Yeon-su a eu un enfant de I-Jeon, mais les deux amants ont été vite séparés. Pour tenter de s'en sortir dignement et protéger son fils, elle finira un temps par céder aux avances de Kwon, le roulera dans la farine, échouera à Véracruz, achetée par le tenancier d'un restaurant chinois, pendant qu'I-Jeon s'engage avec exaltation dans la fièvre révolutionnaire. Un autre coréen plus âgé, plus sage et plus aisé financièrement se rendra à Véracruz, et permettra à Yeon-su de récupérer son fils…
Au terme d'une sorte de rendez-vous manqué avec la femme qu'il n'a pas oublié, I-Jeon se lancera avec une poignée des coréens du début, dans une folle aventure jusqu'au boutiste, face à l'armée gouvernementale mexicaine, cherchant à créer un micro-état à Tikal, sur le site de la fameuse cité Maya.
Ce livre est un grand livre d'aventure, et comporte plusieurs personnages intéressants. Il y a du rythme, et beaucoup d'ingrédients de l'épopée historique sont là, on a l'histoire d'amour (avec interdits, séparations, rivaux…), dans un contexte de mutations économiques et sociales, puis de guerre. L'histoire, fondée sur des faits réels est passionnante, d'autant qu'elle m'était absolument inconnue. L'écriture est vive, et incontestablement de qualité, les dialogues sont réussis, il y a des retournements de situation et des surprises. L'auteur a procédé à un remarquable travail de recherches historiques, son érudition est impressionnante sur l'histoire du Mexique à cette époque, sur la compréhension des influences extérieures, anglaises, françaises, notamment. Il prend soin très régulièrement tout au long du roman de rappeler ce contexte historique. Peut-être trop. Car si c'est globalement précieux et salutaire, j'ai parfois trouvé quelques longueurs qui cassent un peu le rythme. Je me suis surpris à sauter quelques pages exposant les luttes entre les figures légitimistes et révolutionnaires du Mexique d'alors, qui auraient peut-être été mieux employées à nous dépeindre davantage les pensées et caractères de nos héros, très peu traités. D'un côté, cela aurait ralentit le rythme et cassé ce souffle épique.
C'est pour moi un très bon livre de cet auteur majeur de la littérature coréenne.
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Roman décrivant l'épopée de coréens venus au Mexique au début du XXe siècle, pour échapper à la déliquescence de leur pays sous l'invasion japonaise. Embauchés sous contrat dans des plantations de henequen du Yucatan, ils connaitront des destins différents, mais souvent tragiques, profondément liés aux vicissitudes de leur époque.
Un bel ouvrage épique.
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Alors que les grandes puissances du monde se disputaient férocement le destin de l'Asie de l'Est, les mille trente-trois Coréens embarqués sur l'Ilford, ignorant de la situation internationale, rêvaient au Mexique.
Un jour d'avril où un vent printanier venu du sud de la Chine soufflait sur le pont, l'Ilford leva l'ancre à grand bruit. On avait enfin délivré les mille trente-trois passeports. John Myers, après avoir échoué à obtenir la collaboration de M. Gordon, était allé voir Collin de Plancy, représentant officiel de la France, pour lui demander d'intervenir auprès du gouvernement impérial de Corée. A l'époque, la Corée n'avait encore établi aucune relation diplomatique avec le Mexique. Elle avait fondé le Suminwon, un organisme chargé de l'émigration à Hawaï, mais celui-ci, ayant interdit toute émigration avec contrat de travail forcé, considérait la requête de John Myers comme illégale et indigne. Néanmoins, grâce aux efforts de Collin de Plancy, les passeports furent octroyés et les mille trente-trois Coréens appareillèrent enfin pour le Mexique, où aucun diplomate ni résident coréen ne les accueillerait. C'était le 4 avril 1905.
Yeon-su hantait toujours l'esprit de I-jeong. Une nuit, il se décida enfin à écrire une lettre à Jeong-hun :
"Je me trouve maintenant, avec une trentaine de nos compatriotes, à Tikal au Guatemala. Nous avons fondé un petit pays que nous avons baptisé Sindaehan. Dans cette jungle, la nourriture et l'eau sont abondantes et nous ne manquons de rien. Il fait plus chaud au Yucatan, mais il pleut beaucoup. Ici, personne n'exploite personne. Nous dormons avec nos fusils dans les bras, mais notre coeur est en paix. Fais savoir à ta femme que je vais bien, que je suis en bonne santé. Que je souhaite de tout coeur qu'elle vive heureuse avec toi. N'oublie pas de le lui dire, je t'en prie."
Les Coréens s'armèrent de machettes et de pierres. En voyant leur air menaçant, les surveillants à cheval qui avançaient vers eux déguerpirent. Tous ensemble, hommes, femmes et enfants, se dirigèrent au pas de course vers l'entrepôt où le paksu était enfermé. Des pierres volèrent. Des fenêtres furent cassées. Les gardes, effrayés, décampèrent. Une poignée d'hommes se précipitèrent pour ouvrir la porte. Le chaman, enchaîna, s'était endormi. Lorsqu'on le réveilla, il regarda ses compatriotes, les yeux hagards, l'ai innocent de celui qui n'est au courant de rien. Son corps ni, couvert de zébrures sanguinolentes, ressemblait à celui d'un petit sanglier au pelage rayé pris au piège.
Leur premier objectif atteint, le moral des émeutiers remonta d'un cran. Les mauvais génies libérés de leur lampe se mirent alors en quête d'une victime.
- A bas les surveillants ! cria un homme.
Ils se ruèrent vers la maison en brique de Joaquin, située près de la résidence du planteur, et la bombardèrent de pierres. Plusieurs dizaines de projectiles brisèrent les fenêtres avec fracas. Le surveillant, connu pour sa cruauté, barricada toutes les ouvertures et résista à l'assaut. Il avait beau être le plus violent et le plus irascible des surveillants, ce n'était qu'un tout jeune homme d'à peine vingt ans. Comme les pierres continuaient à pleuvoir, il retint son souffle, paniqué.
- Il est peut-être armé ! lança quelqu'un.
La peur s'empara des hommes, renforçant encore leur agressivité. Pour masquer leur crainte, ils redoublèrent de violence jusqu'à en perdre toute raison. Deux ou trois jeunes se jetèrent sur la porte d'entrée et se mirent à donner des coups de pied en hurlant :
- Fumier ! Sors de là !
Mais l'épaisse porte ne céda pas.
Les contrats arrivèrent à échéance. Mais aucun Coréen ne retourna dans son pays. Tel était le sort de ceux qui ne possédaient pas de terre. Chacun avait ses raisons de ne pas rentrer. Certains n'avaient pas de quoi payer la traversée, d'autres s'étaient mariés avec des femmes mayas, d'autres encore pensaient qu'ils n'auraient aucun moyen de subsister une fois chez eux. Les uns après les autres, les Coréens s'installèrent définitivement au Yucatan.
Seuls les propriétaires se remplissent les poches. Le reste du peuple trime et crève de faim. Même les natifs du pays vivent mal. Alors nous, les étrangers… Nous n’avons aucune chance de nous en sortir. Nous avons débarqué dans un pays qui n’avait rien à voir avec nos rêves.