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Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre, qui peut aussi se voir comme le début d'une potentielle série. Il comprend les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2016/2017, écrits par Matt Kindt, dessinés, encrés et mis en couleurs par David Rubín qui a également effectué le lettrage.

Tout commence par un voyage, celui de Boone Dias dans le monde magique. Comme à chaque fois, il est accueilli par Glum, le gardien de la porte. Ce dernier respecte le rituel immuable qui veut qu'il lui demande son nom et le motif de sa visite, même si cela fait des années que Boone effectue des allers-retours entre ce monde et la Terre. Comme à chaque fois, Glum termine le rituel par un bon coup de pied dans le derrière du voyageur pour le projeter à proximité d'Agartha la capitale de l'Éther, nom donnée à cette dimension magique. Pourtant cette fois-ci, tout ne se passe pas comme d'habitude, car Glum accompagne Boone Dias jusqu'à Agartha, au lieu de rester à garder la porte. Il s'assure que Dias ne lambine pas en route et le conduit jusqu'aux appartements de Blaze, la guerrière protectrice du royaume.

En arrivant devant le Phare (le nom de la demeure de The Blaze), Glum effectue tout un tas de recommandation à Boone Dias, en commençant par lui demander de faire attention à ses propos car ils vont être reçus par le maire en personne. Dias lui rappelle qu'il n'essaye pas d'être provocateur pour le principe, mais qu'en tant que scientifique il se doit de rétablir les liens de cause à effet quand ils existent, même dans ce royaume magique. Ils sont effectivement accueillis par le maire qui se montre très volubile et qui les conduit jusqu'à la chambre de The Blaze. Elle gît assassinée sur son lit. Dias se met immédiatement à l'oeuvre et examine la trajectoire de la balle d'après la blessure qu'elle a occasionnée. Il en déduit que la balle a dû changer de direction en pleine trajectoire. Il finit par retrouver cette balle magique fichée sous les fibres du tapis. Il accepte alors de s'occuper de cette affaire de meurtre et commence par se rendre à la bibliothèque, accompagné de Glum, pour rencontrer Lord Libel, le bibliothécaire.

Matt Kindt est un auteur complet qui écrit ses récits et les met en images, par exemple la série Mind MGMT ou la série Dept. H, tome 1 : Meurtre en grande profondeur. Il écrit également des histoires mises en images par d'autres artistes pour Valiant Comics (les séries Ninjak, Rai, Divinity), ainsi parfois que des récits complets indépendants comme Past aways dessiné par Scott Kolins. David Rubín est l'auteur complet d'une version personnelle de la vie d'Héraclès : The Hero. Avec cette histoire, ils présentent un nouveau héros avec une formation scientifique, enfin utilisant surtout la méthode hypothético-déductive, cherchant à comprendre et à rationaliser le fonctionnement d'un monde magique. Ce personnage est un homme blanc d'une quarantaine d'années qui a vu pas mal de pays surtout du côté magique. Il est plutôt de haute taille, avec une barbe. Il s'habille de manière pragmatique, avec des vêtements pour le voyage, et des outils lui permettant d'investiguer, accrochés à sa ceinture, ou rangés dans son sac à dos. Il lui arrive parfois de manier une sorte d'épée à la forme exotique. Au cours du récit, le lecteur en apprend plus sur sa motivation, sur la manière dont ses théories sont perçues par le milieu scientifique (comme un hurluberlu), par la police, et sur sa relation avec sa femme Hazel. de cette manière, les auteurs étoffent petit à petit leur héros, en le dotant d'une histoire personnelle et d'une raison d'agir ainsi.

Au vu d'une telle histoire, le lecteur attend des auteurs qu'ils développent un monde magique original et surprenant. de ce côté-là, il est servi. Cela commence donc par ce mode très particulier pour passer d'une réalité à l'autre, en se mettant en danger au point de vouloir mourir pour pouvoir accéder à Éther. C'est une forme de renonciation totale qui surprend un peu par son caractère morbide. Il y a ensuite l'accueil tout aussi particulier de Glum le gardien avec son coup de pied dans le derrière pour parachever le voyage, d'autant plus que Rubín le représente de manière très littérale, avec un soupçon de dérision. le premier vrai contact du lecteur avec Éther se fait par l'intermédiaire du marché où Dias est abordé par une personne souhaitant lui vendre un oiseau capable de pointer la direction du lieu où le voyageur souhaite se rendre. À la fois, Matt Kindt utilise les races attendues dans ce genre de récit, comme les fées, à la fois l'interprétation qui en est donnée n'est pas conventionnelle. le dessinateur ne vise pas le réalisme dans les formes ou les textures. Il exagère les expressions du visage pour accentuer la force des émotions, mais souvent également avec un effet comique.

Dans le monde magique, David Rubín représente des créatures le plus souvent avec une apparence loufoque. Glum donne l'impression d'être un croisement entre un gorille et un babouin, avec des émotions qui s'affichent sur son visage, sans aucun filtre pour en atténuer la force. L'oiseau qu'essaye de vendre le camelot au marché évoque très vaguement la forme d'un volatile, et beaucoup plus une approche simplifiée et caricaturale. le lecteur retrouve à plusieurs reprises ce parti pris graphique, comme dans les lampions suspendus qui ne sont que des sphères avec 2 ronds pour les yeux, un monosourcil, un trait pour la bouche et 2 triangles pour figurer les défenses qui dépassent de la bouche. Il y a donc une forme de naïveté dans la représentation des différentes espèces peuplant Éther, ainsi que souvent dans les différents environnements magiques, comme si l'artiste souhaitait mettre en scène l'innocence de l'enfance, le merveilleux d'une imagination simple.

L'expérience de cette vision liée à l'enfance se trouve renforcée en comparaison avec les séquences sur Terre, et les objets qui en proviennent. Cela commence dès la première page avec la tenue de Boon Dias marquée de plis, avec la texture de cuir de ses bottes, et les 2 zooms sur des pièces de son équipement, mise en page caractéristique de Matt Kindt, toujours prêt à mettre en avant les gadgets de ses personnages, comme il 'avait fait dans la série Ninjak. David Rubín réalise donc des dessins plus texturés et plus réalistes pour rendre compte des environnements urbains terrestres, et de la détresse de Boon Dias, lorsqu'il est obligé de se cacher sous un porche comme un clodo, le temps de récupérer de son voyage dans Éther. Il utilise également des teintes plus foncées pour rendre compte d'une réalité moins merveilleuse. Toutefois, la densité d'informations visuelles reste la même dans les 2 mondes, et assez élevée pour un comics.

La lecture de cette histoire déconcerte donc un peu. La gentillesse des dessins donne l'impression que les auteurs ont réalisé une histoire tout public, pouvant être lue par des enfants, avec des visuels pensés pour eux, mais aussi appréciée par des adultes, du fait que le personnage principal semble avoir dépassé les 40 ans et qu'il se conduit de manière mature, motivé par une démarche scientifique, ayant dû affronter des choix difficiles entre sa carrière et sa vie privée. le lecteur se laisse donc emporter dans ce monde loufoque, pour une enquête sur un meurtre commis avec une arme magique, mais répondant également à des lois qui lui sont propres. Il découvre des personnages hauts en couleurs dans le monde d'Éther, et des personnages tragiques sur Terre. Il se laisse surprendre par de nombreuses séquences inattendues, que ce soit Boone Dias risquant de mourir de faim dans une ruelle, comme un SDF, une petite fille torturée, les retrouvailles un peu fraîches entre deux amants dont une fée, ou une guerrière musculeuse. Les auteurs mènent l'enquête policière à son terme, avec un coupable qui ne surprend pas beaucoup (au vu du nombre de personnages présents dans le récit), et un motif guère original.

Le lecteur adulte finit par remarquer les voyages de Boon Dias servent à cartographier et à comprendre un monde imaginaire, qu'il a choisi cette vie comme une vocation, comme si en fait il n'avait pas eu d'autre choix que de répondre à l'appel de l'imaginaire. Il ne faut donc pas en ajouter beaucoup pour, dans certaines scènes, envisager Boone Dias comme une métaphore de l'auteur cartographiant ses propres mondes imaginaires. Cela donne une saveur supplémentaire à sa volonté de comprendre lesdits mondes, ou à essayer de se rabibocher avec une reine des fées, ou encore de représenter le défenseur du royaume comme une femme forte, capable d'affronter tous les périls, un peu comme une épouse prête à soutenir son mari dans son travail d'écriture.

Le lecteur découvre une histoire complète qui peut aussi s'envisager comme l'amorce d'une série au long cours. Il sourit devant une ambiance un peu enfantine et bon enfant, mais il apprécie aussi l'inventivité des auteurs, l'enthousiasme des dessins, et l'enquête qui réserve des surprises. En tant qu'adulte, il découvre une profession de foi, sous une forme un peu inattendue.
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