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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Battle for New Japan (épisodes 5 à 8) qu'il faut avoir lu avant. Comme il s'agit d'un récit continu, il faut avoir commencé par le premier tome Welcome to New Japan (épisodes 1 à 4). Ce tome comprend les épisodes 9 à 12, initialement parus en 2015, écrits par Matt Kindt, dessinés, encrés et mis en couleurs (tout ça à l'infographie) par Clayton Crain, avec un lettrage de Dave Lanphear.

L'histoire se déroule en 4001, à bord de New Japan, un immense vaisseau artificiel évoluant dans la couche supérieure de l'atmosphère terrestre et abritant cinq cent millions d'êtres humains (chacun disposant d'un compagnon PosiTronique, c'est-à-dire un robot anthropomorphe, avec une intelligence artificielle bridée, en abrégé PT). Après le terrible affrontement entre Rai et Father (habitant le corps de Rai XI, surnommé X-Eye), Lula Lee et son positronique Grace ont pris en charge Karana (la géomancienne) et se cache dans les couloirs de maintenance de secteur 1967 (jardin botanique de McGoohan) de New Japan. Repérée par un robot, elles doivent fuir vers un autre secteur.

Spylocke (Ananse, un rebelle opposé à Father, l'intelligence artificielle gérant New Japan) a été capturé par Father qui l'interroge durement, alors que le dessin animé mettant en scène Spylocke comme personnage continue de son oeuvre de propagande pro Father sur tous les écrans. Rai regagne conscience sur Terre. Il se rend compte que son lien avec New Japan est rompu, ce qui diminue d'autant sa capacité d'auto-régénération. Il est repéré par une troupe de terriens peu commodes qui l'amène devant un homme imposant appelé Lemur pour qu'il le renifle et détermine ainsi s'il représente un danger pour la communauté.

Comme ce bref résumé le laisse supposer, l'histoire ne sera pas intelligible pour un lecteur qui aurait l'idée saugrenue de commencer par ce tome. Il y a bien un petit rappel très succinct en début de tome, mais il ne nomme même pas tous les personnages. Ensuite il vaut mieux que le lecteur ait une vague idée (juste le principe) de c'est qu'est le géomancien dans l'univers partagé Valiant (un individu choisi par la Terre et chargé de la défendre. Chaque génération de Géomancien bénéficie de la protection du Guerrier Éternel (Eternal Warrior), à savoir Gilad Ani-Padda. Avec ces informations, le lecteur peut alors apprécier pleinement les enjeux du récit.

Matt Kindt tisse son histoire avec 4 fils narratifs. Il y a bien sûr Rai qui bénéficie du nombre de pages le plus important et sa quête sur Terre. le lecteur se doute bien de ce qu'il va y chercher, mais rien ne le prépare au spectacle qui s'offre à lui. le scénariste prend un malin plaisir à semer des embûches sortant de l'ordinaire, sur la route de Rai : tribu peu amène, pétales de cerisier voletant au vent, jungle épaisse, désert avec un gamin agressif, jungle dense. Pourtant ces différentes phases ne ressemblent pas à un collage à la va-vite de clichés de récit d'aventures de la fin du dix-neuvième siècle, grâce au talent de Clayton Crain.

La première séquence consacrée à Rai commence avec une image romantique du baiser échangé entre Rai et Momo (une positronique), puis le visage de Rai regarde directement le lecteur dans une teinte rouge, avec des bulles passant au premier plan, captant d'étranges reflets. La maîtrise de l'outil infographique est saisissante, l'artiste utilisant un module lui permettant de reproduire les traces produites par un pinceau, mais avec un degré de précision sans commune mesure, et un jeu sur les nuances de couleurs d'une grande complexité, pour des jeux de reflets hypnotisants sur la surface des bulles. Puis Rai se fraye un chemin au travers de ce qui ressemble à de la chair, avec des humeurs indéfinissables, le lecteur a l'impression d'en ressentir la texture sous ses doigts. Une fois extirpé de cet endroit, Rai voit surgir devant lui des individus en armure ou carapace de protection. À nouveau les compétences de l'artiste font merveille, transcrivant des assemblages complexes de pièces d'armure, cohérents d'une case à l'autre, avec des reflets métalliques, mais aussi la texture d'une surface ternie par les années et l'atmosphère agressive.

En tant qu'artiste complet, Clayton Crain échappe au modèle de production à la chaîne qui prévaut dans les comics, ce qui lui permet de maîtriser l'ensemble de ses dessins, à commencer par les ambiances lumineuses et chromatiques. Ainsi le lecteur peut apprécier comment il modifie l'apparence de la plage sur laquelle débouche Rai, en fonction d'une lumière de journée, ou du soir. Cela lui permet également d'intégrer plusieurs techniques au sein d'une même page en fonction de l'effet qu'il souhaite obtenir. Lorsque Rai se tient au pied d'un cerisier dont les pétales s'envolent, la page est saisissante car l'artiste peut utiliser une technique pointilliste pour rendre compte de la floraison de l'arbre vu de loin, des touches de rose comme déposées à la gouache, pour rendre compte de chaque pétale porté par le vent.

Clayton Crain a dépassé le stade de l'utilisation de l'infographie à des fins exclusives de degré de précision maniaque, quasi photographique. Il reste quelques emplois plus circonscrits de cette approche : la cote de maille de Lemur, les anneaux du robot reptilien, l'étonnante construction dans les marais, etc. Dans ces occasions, il pousse le degré de réalisme à son maximum, habillant ces surfaces d'une texture métallique ou végétale en fonction de sa nature. Crain a également maîtrisé la capacité d'utiliser l'infographie comme un outil de peinture traditionnelle, et l'utilise pour rendre compte de l'impression que donne un feuillage, un sol de terre asséché, une terre pulvérulente, une étendue liquide avec ses reflets et sa tension de surface, etc. Cette approche aboutit à un rendu plus organique et moins froid, ce qui lui permet également d'accentuer l'opposition entre la propreté clinique de New Japan, et l'environnement plus riche sur Terre.

Un autre fil narratif suit la fuite de Lula Lee, Grace (PT) et Karana. Matt Kindt utilise sa licence artistique pour rendre possible le fait qu'elles arrivent à se cacher dans un monde pourtant soumis à une surveillance vidéo systématique et omniprésente par l'intelligence artificielle Father. Il justifie cette capacité par le fait que Lula Lee dispose d'une carte totale de l'intégralité de New Japan. C'est surtout l'occasion pour le scénariste de déplacer ses personnages à sa guise, et encore une fois pour les pages de Clayton Crain de briller de mille feux. Dès la première case, le lecteur contemple un magnifique pot de fleur de grande taille, avec un motif sculpté minutieux, grâce à l'approche photoréaliste de l'infographie. Par contraste, il représente la plante qui s'y développe avec des petites touches au pinceau, mettant en avant son caractère organique. Dans la page d'après, le lecteur voit que dans le petit espace où se sont réfugiées les 3 femmes, il y a des écrans avec des images, reprenant d'autres cases, déformées pour adhérer à la forme desdits écrans.

Le lecteur suit également les épreuves de Spylocke qui se retrouve à combattre dans l'arène, un grand classique des romans d'aventure. Clayton Crain passe alors à un autre palier de complexité pour ses dessins, avec la conception graphique d'ennemis robotiques qui en mettent plein la vue (le serpent robotique, mais seulement), un jeu sur la précision des textures ou leur floutage pour rendre compte de leur vitesse de déplacement. Cette maîtrise de la composition de l'amalgame de techniques différentes, de l'usage des couleurs est présente sur toutes les pages, mais elle ressort encore plus lors des scènes les plus spectaculaires, telle celle de dysfonctionnements massifs de New Japan à la fin du tome. L'artiste rend concret et palpable les destructions survenant, avec des décors élaborés, à l'opposé d'arrière-plans génériques et insipides. le lecteur peut constater la logique architecturale et stylistique à l'oeuvre dans la conception de New Japan. Il assiste à l'équivalent d'un film de science-fiction à gros budget, avec un chef décorateur inspiré disposant de gros moyens.

Le quatrième fil narratif est consacré aux agissements de Momo et d'Izak. Il donne lieu à des scènes tout aussi spectaculaires, avec une vraie sensibilité de science-fiction qui s'exprime dans des visuels imaginatifs et cohérents. le corps d'Izak est inoubliable. Crain réussit à amalgamer la technologie futuriste avec des ruines romaines, pour un spectacle bizarre et divertissant.

En entamant ce troisième tome, le lecteur a une petite idée de la direction générale de l'intrigue, mais aussi du fait que Matt Kindt doit préparer le crossover à venir appelé 4001 A.D. Pour autant l'intrigue conserve son intégrité, les 4 fils narratifs sont intéressants, el spectacle visuel est enchanteur à toutes les pages. le suspense va en augmentant, ainsi que le niveau de spectaculaire. 5 étoiles pour un excellent divertissement de science-fiction.
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