X-O Manowar, tome 3 : Emperor

Ce tome fait suite à General (épisodes 4 à 6) qu'il faut impérativement avoir lu avant. Comme il s'agit d'une histoire continue, il faut avoir commencé par le premier tome de la saison. Celui-ci comprend les épisodes 7 à 10, initialement parus en 2017, écrits par Matt Kindt (le scénariste de la saison), dessinés, encrés et mis en couleurs par Clayton Crain (pour les épisodes 7 à 9), avec l'aide de Renato Guedes pour l'épisode 8, et de Khari Evans pour l'épisode 9. L'épisode 10 a été dessiné, encré et mis en couleurs par Renato Guedes. Ce tome comprend également 2 pages d'études graphiques de Lewis Larosa, 2 pages de présentation du récit par Matt Kindt, les couvertures alternatives, et 7 pages de conception d'une page avec le résultat final en dessous, présentant la méthode de travail de Clayton Crain.

Même si Aric de Dacie a gagné plusieurs batailles, il n'a pas gagné la guerre. L'empereur (de la race des Azure) lui-même reste à la tête du gouvernement de la planète Gorin, mais ses alliés les Monomen se livrent à une destruction en règle de plusieurs centres urbains. En effet, l'empereur a décidé de ne pas accéder à leur demande, refusant de leur remettre une relique qu'il détient dans son palais. À l'extérieur de la cité impériale, Aric de Dacie contemple la flottille de vaisseaux massifs qui se tiennent au-dessus de la ville. Après s'être concerté avec Wynn (race des Azure) et Bruto (race des Cadmium), il leur indique qu'il va donner l'assaut au vaisseau amiral. Il leur fait observer que la petite taille de leurs propres vaisseaux monoplaces leur assure une maniabilité propice à pouvoir assurer leur approche, sans être touchés. Aric de Dacie s'élance le premier dans son petit vaisseau suivi par ses hommes, comme autant de cailloux jetés sur un géant.

Comme l'avait prévu Aric de Dacie, lui et ses soldats réussissent à s'accrocher aux flancs du vaisseau amiral et à en repousser ses drones de défense. Par la force de son armure Shanhara, il réussit à détruire une partie de la paroi pour qu'ils puissent pénétrer dans le vaisseau. Ils font face à une dizaine d'extraterrestres Monomen. Aric de Dacie intime à leur capitaine de se rendre, sinon ils vont les massacrer. Contre toute attente, le capitaine obtempère, persuadé que ces barbares n'arriveront pas à piloter ledit vaisseau, avec ses commandes à oscillation harmonique. Non seulement Aric de Dacie réussit en utilisant à nouveau l'intelligence artificielle de son armure, mais en plus il utilise cet accès au réseau informatique pour provoquer la chute des autres vaisseaux de la flotte. Il lui reste à savoir quelle attitude adopter face aux soldats Monomen, puis à prendre la forteresse de l'empereur.

Après les 2 premiers tomes, le lecteur a bien saisi le mode narratif adopté par Matt Kindt : une intrigue progressant rapidement, sans s'attarder sur les détails, ou sur la personnalité des protagonistes qui ne sont pas Aric de Dacie, faire monter Aric dans la hiérarchie de commande la planète Gorin, au fil de batailles gagnant à chaque fois en ampleur. Cette stratégie narrative présente l'avantage d'un récit mené tambour battant, et l'inconvénient de donner une impression d'intrigue réduite à sa trame principale, sans beaucoup de chair sur les os. Dès la première page, le lecteur sait qu'il en est de même pour ce tome 3. Les extraterrestres Monomen ne vont pas faire le poids longtemps, et l'empereur sera vite expédié. Dans le même temps, l'expérience de lecture a gagné en saveur dès la première page, par rapport aux tomes précédents. Pour les 3 premiers épisodes (7 à 9), Kindt est réuni avec l'artiste Clayton Crain, ce tandem ayant déjà réalisé la série Rai et le crossover 4001 A.D. pour l'éditeur Valiant.

Effectivement, Clayton Crain est aussi investi qu'à son habitude et les visuels apportent la consistance dont le scénario fait en partie défaut. Les crayonnés (leur équivalent à l'infographie) présentés à la fin du tome permettent au lecteur de se faire une idée du mode de travail de l'artiste. Ils sont très simples, servant à établir la mise en page, et le placement des personnages, sans aucune autre indication. Par contraste, les pages finies présentent une apparence très dense, tout d'abord sur le plan de la couleur. L'artiste utilise l'infographie pour un résultat donnant une impression photoréaliste, avec parfois des surfaces comme peintes au pinceau. le résultat final est époustouflant à chaque page. La maîtrise de son outil permet à l'artiste d'utiliser la couleur et les effets infographiques pour rendre compte de l'ambiance lumineuse autour de la capitale, tout en apportant une texture à la brume, en évoquant le relief de la lune lointaine, en jouant sur les ombres, sans qu'elles ne deviennent de simples aplats de noir. Il rend compte avec la même habileté de la texture métallique de l'armure de X-O Manowar, ou des étoffes des vêtements des civils. Il fait un usage pertinent et maîtrisé des effets spéciaux pour donner du souffle aux explosions, de l'intensité à la chaleur des flammes.

Dans les scènes de combat, l'intelligence de la mise en scène et la science du découpage de Clayton Crain apparaissent en pleine lumière. le lecteur ressent la peur que distille ces énormes vaisseaux tout en hauteur flottant au-dessus de la capitale. Il perçoit la fragilité de la nuée de petits vaisseaux monoplaces qui s'élancent à grande vitesse vers le vaisseau amiral. Il sent la tension dans le face à face entre Aric de Dacie et ses hommes, et l'équipe du vaisseau qu'ils ont abordé. Par la suite, il voit la violence des rapports entre les différentes factions qui restent en lice sur la planète où la paix n'a pas pu être réinstaurée. Nul doute que cette phase du récit aurait paru bien plus fade si elle avait été illustrée par un artiste moins impliqué et moins doué. du coup, il redoute un peu ce qu'il va découvrir dans le dernier épisode qui n'est pas mis en image par le même artiste. Renato Guedes bénéficie du fait que le centre d'intérêt se reporte sur d'autres personnages (un groupe de mercenaires composé de Rawn, Maw-Teth, Pat et Hesnid), et dans d'autres environnements. Les pages de Guedes ne donnent pas l'impression d'être aussi tactiles et prises dans le feu de l'action. Elles présentent un rendu évoquant plus l'aquarelle et les crayons de couleurs, que l'aérographe et l'infographie. Cependant cet artiste réussi à donner corps au scénario, à faire s'incarner des personnages extraterrestres, à mettre en scène une faune monumentale, avec le degré de conviction nécessaire pour les faire s'incarner aux yeux du lecteur. La sensation n'est pas la même que dans les premiers épisodes, mais le plaisir de lecture est de même qualité.

Sans beaucoup de surprises, Aric de Dacie poursuit sa progression inexorable jusqu'au tyran en place, maîtrisant en cours de route ses alliés extraterrestres Monomen. Matt Kindt introduit quand même un élément inattendu dans le relationnel avec les Monomen, et la façon dont le gère Aric. Sa progression continue à vitesse grand V. le lecteur apprécie que la conscience de Shanhara dispose de plus de place pour s'exprimer, et que l'antagonisme entre elle et Aric s'exprime de manière frontale. Matt Kindt ne renâcle pas devant l'obstacle une fois qu'Aric de Dacie se retrouve dans le fauteuil de l'Empereur. Il aborde cette nouvelle phase avec l'idée qu'un simple changement de chef dans un état totalitaire ne résout rien en soi. Certes, la menace des Monomen semble écartée, mais la coexistence entre les 3 races (Cadmium, Burnt et Azure) n'est pas assurée, au contraire. Pire encore le fragile équilibre économique qui existait précédemment est détruit car Aric de Dacie n'a pas de projet politique à proposer, en supposant même qu'il soit capable de le mettre en oeuvre. Avec sa victoire, Matt Kindt le place donc dans une situation inédite et intenable. Il s'amuse à mettre en scène l'ironie du vainqueur qui n'a pas les capacités pour proposer un régime politique et économique viable, encore moins pérenne. La rébellion a gagné, mais les lendemains déchantent, tout de suite.

Le dernier épisode déconcerte, car Aric de Dacie n'y apparaît pas. Même si l'empereur a été destitué de son trône, il reste des factions rebelles qui considèrent Aric comme un envahisseur, ou tout du moins un étranger aggravant la situation des peuples, et elles font appel à un groupe de mercenaires pour se débarrasser du gêneur. L'épisode 10 montre Rawn aller récupérer ses associés en prison pour reconstituer leur équipe et constituer un commando qui compte bien accomplir le contrat passé sur la tête d'Aric de Dacie. Les 2 premiers sont libérés rapidement, mais Matt Kindt a imaginé une prison originale pour le quatrième. Hesnid est détenu sur une planète à forte gravité, où le poids constitue le meilleur des gardiens. le lecteur découvre à la fois l'opération à haut risque pour le délivrer, et l'histoire personnelle qui lie Hesnid à Rawn. Matt Kindt & Renato Guedes atteignent leur objectif de faire s'incarner des ennemis pour Aric de Dacie, afin que le lecteur éprouve le minimum d'empathie requis, et même un peu plus.

Ce troisième tome de la série gagne en intérêt par rapport aux 2 premiers. L'intrigue progresse toujours aussi rapidement, pour passer à une phase plus complexe que la simple ascension d'Aric de Dacie dans la hiérarchie militaire. La partie graphique passe au niveau supérieure grâce à Clayton Crain, apportant la substance nécessaire pour compléter le scénario un peu trop rapide. le lecteur est aux anges de pouvoir ainsi se projeter dans un environnement de science-fiction très tangible, dans un récit reposant sur une dynamique vive et entraînante.