AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


Quand le papillon du destin perd ses ailes dans le vortex pour redevenir chenille…

King. le King. J'veux qu'il m'appelle Pépette moi aussi, avec des étoiles dans les yeux et des papillons au bas du ventre, qu'il me fasse danser, virevolter sur un bon rock, puis qu'il m'amène fissa dans sa Plymouth Fury rouge chromée, à travers une petite bourgade paumée du fin fond du Maine ou du Texas. Non pas Elvis. Pas Luther. Pas le terrifiant Kong. Non, Stephen. The King.

Pourquoi faut-il que j'atteigne l'âge que j'ai pour le découvrir ? Pourquoi ? Je le jugeais trop populaire ? Trop étiqueté horreur ? Trop américain ? Une forme de condescendance ? Des préjugés ? Tout cela sans doute, et, à présent, je le regrette…Comme j'aurais aimé le lire adolescente…ma vie en aurait-elle été changée ? Imaginons que je puisse ainsi retourner en arrière, ne serait-ce que de trente ans, c'est pas grand-chose trente ans, et que je change ce petit détail, adolescente je me mets à dévorer tous les livres du King, explorant ses milles et une facettes, cela pourrait-il modifier beaucoup de choses dans le présent, sous le coup du fameux effet papillon ? Serais-je devenue une spécialiste des livres d'horreur et de thriller détrônant par la même sur Babélio NicolaK ? Ecrirais-je des livres ? Aurais-je eu le même métier ? Aurais-je ce pseudo ? Ou au contraire, aurais-je délaissé les livres au profit du petit écran et des séries américaines à tire larigot ?

« Tu dois retourner d'où tu viens et voir exactement ce que tu as fait. Ce que tout ton travail, sans nul doute dur et bien intentionné, a accompli ». Tel est le sujet de ce livre incroyable de plus de 900 pages : qu'est-ce qu'il advient lorsqu'on modifie le passé ?

Jake Epping, professeur d'anglais à Lisbon Falls, n'a pas pu refuser la requête de son ami al Templeton, restaurateur mourant : empêcher l'assassinat de Kennedy le 22 novembre 1963. al a en effet trouvé dans son arrière-boutique un terrier, une sorte de bulle, de fissure temporelle qui permet de retourner en 1958, soit plus de cinquante ans en arrière vu que l'histoire se déroule en 2011. Que nous y restions une journée ou plusieurs années, lorsque nous revenons en 2011, c'est comme si nous étions partis deux minutes. Mais y retourner ensuite, c'est remettre les compteurs à zéro sur les changements éventuels opérés lors du précédent voyage temporel réalisé.


« Vous avez déjà fait cette expérience, par un jour de grand soleil, de fermer les yeux et de continuer à voir l'image rémanente de ce que vous étiez en train de regarder juste avant ? Eh bien, c'était comme ça. Quand j'ai regardé mon pied, je l'ai vu posé sur le sol. Mais quand j'ai cligné des yeux – un millième de seconde avant ou un millième de seconde après que mes yeux se sont fermés, je ne sais pas exactement – j'ai aperçu mon pied posé sur une marche. Et c'était pas non plus dans la pauvre lumière d'une ampoule de soixante watts. Mais en plein soleil ».

Avant d'empêcher l'assassinat du président, Jake va tenter de modifier des éléments du passé moins impactant, touchant non pas à la grande Histoire mais à la petite histoire, celle des faits divers, des violences conjugales, des accidents. Il se rend compte peu à peu que le passé est tenace et qu'il ne souhaite pas être modifié…et la réticence au changement du passé est proportionnelle à l'importance de l'élément à modifier…Notre ami est confronté ainsi à des embûches volant en escadrille, voire à devoir faire des efforts surhumains au fur et à mesure que le moment à modifier approche, en l'occurrence des efforts extrêmes, comme s'il était face à une machine infernale aux dents acérées lorsque le moment pour contrer Lee Harvey Oswald, le tueur de Kennedy, arrive. Un RDV avec L Histoire des plus incroyables !

De plus, plus on s'engouffre dans la fissure temporelle telle Alice au pays des merveilles bondissant dans le terrier, plus de cordes sont créées, images multiples de l'avenir. Plus il y a des dissonances, les cordes finissent en effet par s'emmêler créant une disharmonie faisant voler en éclat la notion même de réalité. Chaque voyage n'est donc pas une remise à zéro intégrale, vous me suivez ? C'est d'ailleurs ce que tente de faire comprendre ce clochard au carton vert, jaune ou orange, à l'entrée du terrier côté année 60, homme ou être surnaturel, simple gardien ou ange-gardien, simple passeur ? J'ai du mal à le déterminer mais cet aspect du livre est passionnant et apporte un soupçon de complexité étrange qui n'a pas fini de m'interroger…

« Les choix et les possibilités multiples de la vie quotidienne sont la musique au son de laquelle nous dansons. Ils sont comme les cordes d'une guitare. Pincez-les et vous créer un son agréable. Une harmonique. Mais commencez ensuite à ajouter des cordes. Dix cordes, une centaine de cordes, un millier, un million. Parce qu'elles se multiplient ! Harry ne savais pas ce qu'était ce grand son de déchirure liquide, mais moi je crois bien que je le sais : c'est le son de trop d'harmoniques créées par trop de nombreuses cordes ».

La recette d'un tel pavé, à priori indigeste, est composée d'ingrédients incroyables qui tiennent le lecteur en haleine tout en le régalant : une cuillerée, certes petite mais totalement addictive, de science-fiction au moyen de sauts dans le temps et de cordes de réalité entremêlées, une grosse louche de nostalgie en nous plongeant avec délice et de façon complètement immersive dans l'Amérique des années 60, une autre grosse louche d'émotion en imaginant une superbe histoire d'amour fusionnelle entre Jake, devenu George Amberson dans le passé, et Sadie, une charmante et touchante bibliothécaire, un zeste de politique et de géopolitique en évoquant la menace sur l'un des présidents américains les plus emblématiques et les conséquences si celui-ci n'est pas assassiné (le livre se faisant alors uchronie). Sans oublier un saupoudrage régulier et constant de caustique via la critique acerbe de la société américaine. Que ce soit celle des années 60, en dénonçant le puritanisme américain, le patriarcat, la ségrégation raciale que celle de 2011 avec ses technologies addictives, son manque d'authenticité, son dérèglement climatique… Chaque ingrédient est apporté avec équilibre et se mélange avec goût. Cela forme une recette unique cuisiné aux petits oignons à la saveur inoubliable.


Alors certes il y a quelques longueurs sur ces 934 pages, c'est vrai. Il s'agit du temps de mijotage afin que la sauce prenne et soit onctueuse. Ce n'est pas un défaut comme j'ai pu le penser dans un premier temps, mais une force du livre, une réelle qualité. Parfois ça mijote à petits bouillons permettant l'immersion progressive, la mise en place de personnages très fouillés auxquels le lecteur se sent de plus en plus proche ; parfois ça bout à gros bouillons laissant place à l'action, à l'intensité du moment. Alternance de respiration lente et de respiration saccadée faisant tout le charme de ce récit de haute voltige.
De bons ingrédients, des histoires dans l'histoire pouvant chacune faire l'objet d'un tome, des rythmes variés, permettant à la crédibilité et à l'émotion de s'épanouir en généreuses notes de fond, arômes persistants.
Quel talent ce King…bon vous n'y trouverez pas une écriture ciselée, on ne lit pas ce livre pour le travail fait sur l'écriture mais plutôt pour sa fluidité et son rythme permettant au talent de conteur du King, talent absolument hors norme, de faire son oeuvre. La simplicité de l'écriture sert admirablement et agréablement l'intrigue.

Allez, si je cherche, j'ai peut-être été plus dubitative sur le côté uchronie du livre…les conséquences de l'éventuel assassinat évité m'ont parues quelque peu exagérées, l'effet papillon absolument énorme. Là, étonnamment, il m'a manqué quelques briques pour comprendre, une centaine de pages peut-être…là, Je n'y ai pas vraiment cru, j'aurais préféré quelque chose de plus atténuée, de plus amortie, je crois.

Mais malgré ce bémol, sans doute le seul, je me suis régalée. La fin est de plus sublime et surprenante, l'auteur a évité la solution de facilité à laquelle nous nous attendions. Une fin particulièrement touchante avec la danse pour point d'orgue, comme régulièrement dans le livre d'ailleurs.
De plus je ressors de cette lecture avec un livre à lire d'ores et déjà dans ma PAL : « H.H. Muro. Connu sous le nom de Saki. Sa nouvelle intitulée La fenêtre ouverte. Lisez-la Hosty. Ca traite de l'art d'inventer des salades de façon spontanée, c'est très instructif ». Ce livre, parait-il, montre qu'un événement est terrible ou banal selon la perspective donnée par le récit le précédant…un effet domino…ou un effet papillon…
En tout cas, les livres sont de merveilleuses bibliothèques et qui sait l'impact que peut avoir un livre sur notre vie…le livre a un effet papillon inestimable…sans parler de celui des lectures communes qui permettent de sortir de nos zones de confort et de nos préjugés. Merci infiniment Doriane, grâce à toi et cette lecture commune j'ai découvert tout un univers et un très grand auteur !
Commenter  J’apprécie          10185



Ont apprécié cette critique (100)voir plus




{* *}