C’étaient les fous qui lui avaient paru de meilleure compagnie. L’un d’eux lui avait donné une boussole Silva en acier inoxydable à remettre à Jésus. Gravement, le Pistolero l’avait prise. Il la lui donnerait s’il le voyait. Mais il doutait de l’éventualité d’une telle rencontre.
Ma vie n’a toujours été qu’amour et mort.
Toute la journée une comptine lui avait trotté par la tête, ce genre de truc horripilant qui ne veut pas vous lâcher, qui se tient moqueur sur le seuil de la conscience et fait des grimaces à l’être rationnel qu’elle héberge.
« Croyez-vous qu’il y ait une existence après la mort ? […] / Oui. Celle que nous sommes en train de vivre, à mon avis. » (p. 19)
L'homme en noir fuyait à travers le désert et le pistolero le poursuivait.
Le silence dura, le silence se délaya dans le silence. Elle sentit que son souffle s'était englué dans sa gorge; elle baissa les yeux et vit ses deux mains crispées sur son bas-ventre, sous le bar. Tous le regardaient et il les regardait tous. Puis son rire fusa de nouveau, fort, riche, évident. Mais un rire qui n'appelait pas de compagnie.
Ce garçon est ta porte vers l'homme en noir. L'homme en noir est ta porte vers les trois. Les trois sont ta voie vers la Tour Sombre.
- Suppose que tu ailles jusqu'au bout de l'univers. Vas- tu y trouver quelque rue barrée d'une palissade avec un panneau marqué: VOIE SANS ISSUE ? Non, une surface compacte, concave, quelque chose comme ce que perçoit le poussin dans son oeuf, et si tu fais comme lui,si tu perces la coquille, quelle insoutenable et torrentielle lumière va se ruer par ce trou au fond de l'espace ? Maintenant, colles-y ton oeil, à ce trou. Ne vas -tu pas découvrir que notre univers entier n'est qu'un seul élément d'un seul atome de ton brin d'herbe ? Ne seras-tu pas forcé d'en déduire que, brûler la moindre brindille, c'est réduire en cendres une éternité d'éternités ? Que l'existence ne tend pas vers l'infini mais vers une infinité d'infinis ?
-Combien de temps vous comptez la laisser?
-Une nuit ou deux. Peut-etre plus.
-J'ai pas la monnaie, sur l'or.
-Je ne l'ai pas demandée.
-Sale fric, marmonna-t-il.
-Qu'est ce que vous dites?
-Rien.
Le feu de camp suscitait des ombres étranges cependant que l'herbe du diable se consumait avec sa lenteur coutumière en formant de nouveaux dessins( non des idéogrammes mais un treillis net et vaguement effrayant dans la sûreté dénuée de sens de son enchevêtrement). Il avait disposé l'herbe de façon pratique, sinon esthétique.Ca parlait de noirs et de blancs, dans d'insolites chambres d'hôtel. Unu flamme régulière, ralentie, avec des fantômes qui dansaient dans son coeur incandescent. Le pistolero ne les voyait pas. Il dormait. Les deux schémas, art et technique, se mêlaient. Le vent gémissait. De temps à autre, une perverse plongée d'air faisait tourbillonner la fumée, la rabattait sur lui et quelques bouffées l'atteignaient. Il en naissait des rêves de la même manière que d'un grain de sable, dans une huître, peut naître une perle. Le pistolero, parfois, gémissait avec le vent. Les étoiles étaient indifférentes à tout ça, comme elles l'étaient aux guerres, aux crucifixions, aux résurrections. Cet aspect des choses l'aurait sans doute séduit.