Y a-t-il une hérédité dans la famille d'Alice en ce qui concerne la propension à vivre seule ? Elle s'interroge, dans ces moments d'insomnie, alors que Harland ronfle à ses côtés. Tout juste la soixantaine, deux ans de mariage, mais elle ne compte plus continuer ainsi.
Si vous avez lu
L'arbre aux haricots, vous vous rappelez sûrement, elle a épousé Harland pensant avoir trouvé l'amour après des années de solitude conjugale. Seulement elle a juste hérité d'une collection de phares de voiture qui encombre son salon et d'une totale absence de conversations intéressantes, pas de conversations du tout d'ailleurs. du Kentucky, elle ressent l'irrépressible besoin de parler à sa fille Taylor installée dans l'Arizona mais les fuseaux horaires sont là aussi pour contrarier toute tentative d'épanchement. Alice veut tout quitter, mais pour aller où ? Peut-être rejoindre sa cousine, perdue de vue depuis tant d'années, à Heaven, dans l'Oklahoma ?
En commençant cette suite par le personnage d'Alice,
Barbara Kingsolver campe d'emblée la famille, proche ou lointaine, comme bouée de sauvetage lorsque la vie devient difficile. La force des liens familiaux est omniprésente en gardant toutefois à l'esprit qu'ils peuvent être nocifs ou cruels parfois.
Les retrouvailles avec Turtle, la petite Cherokee toujours agrippée à sa mère adoptive, sont émouvantes. Une chute d'un homme dans le déversoir d'un immense barrage fera d'elle une héroïne, passé le laps de temps nécessaire pour convaincre un gardien endormi puis son patron qu'une enfant de six ans peut être un témoin fiable. Heureusement que Taylor n'est pas intimidable et ses réparties sont d'ailleurs excellentes ! Mais le passage à la télévision, avec sa soif de sensationnel et de héros, fera voler en éclat leur tranquillité et la fuite sera nécessaire à Taylor pour garder sa petite fille. Une jeune avocate cherokee est bien décidée à faire valoir les droits de l'enfant indien car ceux-ci étaient inexistants dans les années 70 et trop d'enfants ont été arrachés à la tribu pour différentes raisons.
Les multiples personnages s'alignent, à l'image des perles que Cash, le vieil indien, enfile pour confectionner des bijoux. Sa famille est partie en lambeau et il comptait faire taire la douleur qui le ronge en quittant la tribu tout en espérant aussi sortir de la pauvreté qu'il retrouve finalement dans un autre état. Alors à quoi bon ?
Une des perles sera Jax, musicien nonchalant, avec son amour un peu encombrant que Taylor n'ose accepter en ayant beaucoup de mal à y répondre. Est-ce la tare familiale ?
Les perles s'enfilent, elles sont multicolores, il y en a même une rose Barbie !
Et puis toujours le coeur est attendri par cette petite Turtle, son petit poing agrippé sur la natte, ou sur la manche, ou à la main de Taylor. Son repli, comme une tortue apeurée qui se cache du monde dans sa carapace de silence, les yeux perdus dans un vide qu'elle seule peut appréhender.
Dans l'Oklahoma, la Nation Cherokee se révèle à nous avec ses fêtes, ses coutumes, le sens profond de la communauté et même dans une constellation où les étoiles sont autant de mauvais garçons transformés en cochons ! L'appartenance à la tribu est fort chez les Cherokees et les lois qui ont été nécessaires pour ne plus que leurs enfants soient pris par des foyers non indiens vont faire errer la pauvre Taylor et mettre à mal sa combativité.
Légèrement en deçà des premières émotions ressenties aux côtés de Taylor et Turtle dans
L'arbre aux haricots, cette suite offre tout de même de très jolis moments sans condamner catégoriquement telle ou telle attitude. L'amour culturel et ethnique, conjugal et familial, maternel et filial, font s'entrechoquer toutes les perles présentes dans ce roman. L'écriture de
Barbara Kingsolver est douce, agrémentée de quelques touches humoristiques, mais surtout pleine de chaleur. J'aime son habileté à faire transparaître l'amour maternel de Taylor dans ces petits gestes qui paraissent complètement insignifiants et qui pourtant révèlent toute la profondeur d'un véritable amour, comme de chercher désespérément un moyen d'éloigner les oiseaux de l'abricotier afin que sa petite Turtle puisse se gaver d'abricots qu'elle adore.
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Les cochons au paradis, c'est beau, simple et reposant, sans jamais oublier que les choix de vies sont difficiles et jamais tout noirs ou tout roses !