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Critique de Presence


Ce tome fait suite à Monstrueux (épisodes 25 à 30) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les épisodes 31 à 36, initialement parus en 2006/2007, écrits par Robert Kirkman, dessinés et encrés par Charlie Adlard.

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- ATTENTION - Ce commentaire révèle un point de l'intrigue du tome précédent. -
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Caesar Martinez est l'un des hommes montant la garde pour tenir les zombies à l'écart de la ville de Woodbury, gérée par celui qui se fait appeler le gouverneur, Philip Blake de son vrai nom. Il est appelé à ses côtés. Pendant ce temps-là, Rick Grimes essaye d'engager la conversation avec le docteur Stevens qui lui fait comprendre que Rick est bel et bien un prisonnier. Survient Harold, un costaud gaillard qui souhaite que le docteur le débarrasse de ses pansements pour le combat dans l'arène qui doit avoir lieu ce soir. Mais il est interrompu par Eugene, son précédent et futur opposant dans l'arène qui l'accuse de ne pas respecter les règles du spectacle. L'altercation dégénère et le docteur doit appeler l'infirmière Alice à la rescousse. le Gouverneur n'a d'autre choix que de proposer à Michonne de remplacer celui qui est resté sur le carreau, au combat dans l'arène le soir même.

Le combat a bien lieu le soir même, devant les habitants de la ville qui apprécie ce divertissement, d'un genre un peu particulier, avec des zombies enchaînés tout autour de la zone où s'affrontent les 2 combattants. Michonne ne tient pas la promesse qu'elle a fait au Gouverneur, ce qui le met hors de lui, au point de vouloir la tuer séance tenante. Caesar Martinez a pu constater ce que le Gouverneur a fait subir à Rick Grimes, ce qui vient s'ajouter à tout ce qu'il a déjà observé, et il prend une décision irrévocable. Il a décidé de faciliter l'évasion de Rick, tout en se doutant bien que ce dernier refusera de partir sans Michonne et Glenn.

Les auteurs s'étaient montrés particulièrement retors et sadiques dans le tome précédent, à la fois vis-à-vis de leurs personnages, mais aussi avec leur lecteur, à la fois avec le traitement ignoble réservé à Michonne, mais aussi à ce jeu de cache-cache vicieux avec les tenues anti-émeute permettant de masquer le visage de ceux qui les portent. le lecteur sait qu'il doit s'attendre à des scènes chocs dans chaque tome et à la fin de chaque épisode, le scénariste souhaitant terminer chaque numéro sur un suspense si intense que la curiosité du lecteur le fera immanquablement revenir. Il sait aussi que les zombies continuent à rôder et qu'ils peuvent emporter n'importe quel personnage (sauf Rick Grimes) à tout moment. Il estime avoir bien cerné la nature des chocs narratifs, entre la mort inopinée (et de préférence brutale) de n'importe quel personnage, et des coups tordus entre êtres humains, avec quelques prises de conscience bien brutales. Il ne sourcille donc pas quand un personnage indique que le groupe a établi une distinction entre 2 types de comportement de zombies : ceux qui se déplacent en traînant la patte, et ceux qui restent tapis en attendant la chair fraîche.

Pourtant rien ne prépare le lecteur à ce qui l'attend : 14 pages d'une séance de torture sadique. Robert Kirkman a prévu des accessoires allant de la petite cuillère à la torche à acétylène, et il fait en sorte de ne laisser planer aucun doute, absolument aucun, quant à la détermination du tortionnaire. Charlie Adlard a gagné en intelligence de la mise en scène. Les arrière-plans restent discrets et peu chargés en information visuelle, concentrant toute l'attention du lecteur sur les actes du tortionnaire et de la victime sans défense. Il dose habilement ce qu'il montre et ce qu'il sous-entend. Il y a des cases très graphiques, montrant les choses de manière simple, sans être une description photographique. Cela aboutit à un passage rendu plausible, voyeuriste sans être gore, quasiment insoutenable, alors même que le lecteur maîtrise la vitesse de lecture et peut écarter le tome de ses yeux à sa guise. Les auteurs ont fait le nécessaire pour que le lecteur éprouve un bon niveau d'empathie avec le tortionnaire, au point de trouver légitime une partie de ses actes. Cette longue séquence n'est en rien gratuite, et elle prouve au lecteur que l'envie de faire mal, de faire souffrir n'est pas si éloignée que ça de tout à chacun.

L'intérêt de ce tome ne réside pas tout entier dans cette séquence d'une rare intensité, dépourvue de toute gratuité. Robert Kirkman continue son intrigue de manière naturelle. le lecteur a bien compris que Rick Grimes pouvait souffrir mais que sa vie n'était pas en danger. Par contre, il ne dispose d'aucune assurance pour les autres personnages. Il se doute bien que l'histoire finira par revenir à la prison, et qu'il y a peu de chance pour que Grimes retrouve les choses telles qu'il les avait laissées en partant. Il n'a pas d'assurance non plus sur le prix à payer par Grimes et les autres pour s'enfuir de Woodbury, et il sait pertinemment que la survie de chaque personnage dépend entièrement du bon vouloir du scénariste. En outre, ce dernier fait en sorte d'inclure des individus normaux. Bien sûr, il y a Michonne et son habileté au katana, et il y a l'arrivée de Caesar Martinez, un ancien professeur d'éducation physique. Il dispose donc d'un corps bien sculpté et bien musclé. En plus l'artiste lui met un foulard sur les cheveux, un blouson sans manche et des mitaines en cuir, pour une apparence virile et discrètement macho. En outre, il a un caractère affable et il est prévenant avec les autres.

Mais à côté de ces individus aguerris (sans parler de Rick Grimes, et de ceux que le lecteur a déjà vus à l'oeuvre), Kirkman et Adlard dépeignent des femmes et des hommes normaux, sans capacités physiques particulières, sans velléité d'en découdre, de défendre chèrement sa vie. le docteur Stevens ne demande qu'à exercer sa profession pour soigner les gens, en regrettant les individus qui se blessent sciemment, à commencer par les combattants dans l'arène. L'infirmière Alice n'a rien d'une pin-up. le lecteur voit par lui-même qu'elle ne demande qu'à bénéficier d'un peu de sécurité, l'un des besoins fondamentaux de l'homme occidental, d'après Abraham Maslow. Glenn a conscience de ne pas forcément faire le poids dans une situation de combat contre d'autres individus à la carrure plus imposante. Adlard dessine des traits de contour qui ne sont pas arrondis pour paraître plus jolis, mais sans aller jusqu'à enlaidir les personnages. Il alourdit quelques segments pour donner un peu plus de relief à la surface, et un peu plus de gravité à la situation. Il utilise moins systématiquement les aplats de noir aux contours irréguliers, et même avec retenue dans ces épisodes. le lecteur se retrouve donc face à des dessins sans afféterie, sans effet appuyé, très simples à lire, prosaïques dans leur approche, dégageant une forme d'honnêteté dans ce qu'ils décrivent.

Charlie Adlard n'est pas devenu un artiste décrivant au plus précis. Par exemple, il représente des masses indistinctes pour les arbres de la forêt, sans que le lecteur ne puisse espérer reconnaître quelqu'essence que ce soit. Mais ces dessins donnent bien l'impression d'un feuillage, de troncs, et d'une implantation irrégulière des arbres, avec la possibilité de se frayer un chemin entre, sans grande difficulté. L'impression d'une forêt clairsemée est rendue avec conviction, invitant le lecteur à lire rapidement, sans s'attarder sur les détails, sans s'interroger sur l'écosystème. En cela, la narration visuelle est efficace et sans fioriture, totalement au service d'une lecture rapide et sans prétention esthétique. le lecteur retrouve bien évidemment les tics de mise en scène souhaités, voire imposés par Robert Kirkman, avec toujours cette volonté de s'adresser au plus grand nombre. Donc comme dans les tomes précédents, les moments clé bénéficient d'un angle de vue qui prend le lecteur par la main pour lui mettre sous le nez ce qu'il doit absolument voir, par exemple un dessin en double page pour montrer l'état général de la prison au retour de Grimes et des autres. C'est comme si les auteurs hurlaient dans l'oreille du lecteur que c'est important, il faut bien que tu comprennes l'étendue de la catastrophe, on te l'a mis en double page pour être sûr qu'il n'y ait pas erreur sur la compréhension, des fois que tu ne sois pas très futé.

Malgré cette approche appuyée de la narration, cela n'empêche pas les auteurs de réussir des passages subtils et nuancés, y compris pour le portrait psychologique de plusieurs personnages. Les images montrent Glenn comme un tout jeune homme, dépassé par les événements, mais motivé par son espoir et son amour envers Maggie. Son état d'esprit apparaît clairement quand Rick Grimes le retrouve à Woodbury, et tout aussi clairement dans le dernier épisode face à Hershel Greene. le docteur Stevens et Alice sont émouvants dans leur apparence normale et banale et leur volonté de mettre leurs compétences médicales au service des individus d'une communauté. Robert Kirkman continue d'étonner le lecteur avec la justesse des réactions de Carl, entre pulsion de prendre la place de son père, susceptible d'y rester à chaque mission, et confiance en soi totalement dévastée chaque fois que son père revient, sans pouvoir mettre des mots sur ce qu'il éprouve vraiment. La direction d'acteur mise en oeuvre par l'artiste exprime avec éloquence ce conflit intérieur qui agite ce pauvre enfant.

Robert Kirkman et Charlie Adlard dressent un portrait surprenant de vitalité du petit nouveau Caesar Martinez. Il s'agit d'un très bel homme, très bien de sa personne, avec une tenue décontractée et adaptée aux circonstances, et un visage gentil qui inspire une forme de confiance chez le lecteur car il est visible qu'il a accusé le coup de ce qu'il a vécu et ce dont il a été témoin avant d'arriver jusqu'à Woodbury. Les auteurs continuent de dresser un portrait stoïque de Michonne, accomplissant chaque tâche avec froideur et compétence, presque mécaniquement. Kirkman continue de semer des indices quant à la manière dont elle gère le coût psychique de sa force de caractère quant à la manifestation de troubles de stress post-traumatique. Les diverses épreuves traversées par les personnages au cours de ces épisodes font également peser un coût psychique élevé sur le personnage principal. le lecteur a bien compris qu'il y a de fortes chances (risques plutôt) que Rick Grimes paye le prix cher pour ce que lui a fait subir le Gouverneur dans le tome précédent. En attendant, il apprécie de voir Grimes et Tyreese se comporter en adultes, en se serrant la main.

Dès le deuxième tome, Robert Kirkman évoquait par petites touches le coût psychique sur l'inconscient collectif de côtoyer la mort en continu. Il ne s'agit pas simplement pour les individus survivants de risquer de se faire agresser par un zombie à chaque moment ou presque. Il s'agit aussi du fait qu'ils ont les zombies sous leurs yeux chaque jour, même en étant à l'abri derrière trois rangées de grillage solide. L'état de la société ne leur permet plus de reléguer l'idée de la mort à un vague concept qui n'arrive qu'aux autres, aux vieux ou aux malades. de tome en tome, il apparaît également que les certitudes acquises avec le développement de la civilisation et de la démocratie n'ont pas fini de se lézarder et de s'effondrer. À nouveau, Rick Grimes doit faire face à ce qu'il en coûte de reconquérir les moyens d'assouvir des besoins aussi basiques que celui de la sécurité. Malgré le style narratif téléphoné, avec à nouveau un dessin en double page pour l'exécution d'un individu menaçant la sécurité acquise avec le nettoyage de la prison, la justesse du propos n'en demeure pas moins. À nouveau, Charlie Adlard sait trouver la bonne distance pour montrer ce moment, certes de manière appuyée, mais aussi contextualisé avec les zombies en arrière-plan d'une grande plaine herbeuse. La mort reste présente, incarnée par ces zombies, même si le danger immédiat a été écarté pour le moment.

À la lecture du tome précédent, le lecteur pensait que les auteurs avaient atteint un summum de violence et de sadisme, avec les événements survenus à Woodbury. Robert Kirkman et Charlie Adlard pulvérisent ses certitudes, avec une longue séquence de torture, minutieusement mise en scène pour que le lecteur ne puisse rien ignorer de son caractère ignoble, sans pouvoir rester seulement un voyeur pervers. Il constate que l'artiste a gagné en compétence de metteur en scène, à la fois au cours de cette séquence insoutenable, mais aussi pendant les dialogues, avec des plans de prise de vue plus visuels et moins basiques. Robert Kirkman fait avancer son intrigue avec plus de séquences d'action que dans le tome précédent, ce qui accélère le rythme de la lecture. Il ne diminue pas pour autant les questionnements sociétaux et philosophiques. Au travers de ces épreuves, le lecteur constate tout ce qui a été détruit sur le plan politique et moral, et qui doit être reconstruit pour que la communauté puisse continuer d'exister. Cela va d'un rite aussi simple que celui du mariage, dont le caractère essentiel est mis à la lumière, à des prises de conscience brutales quant à ce que chacun est prêt à faire en transgressant des règles morales séculaires, pour protéger ses proches, conserver ses acquis. Il ne s'agit pas de questions nouvelles, mais le contexte de l'épidémie de zombies et de l'effondrement de la société permet de les poser avec plus d'acuité. À nouveau, le scénariste revient sur la question d'à qui faire confiance, en établissant qu'une seule erreur de jugement en la matière peut provoquer la ruine de toute la communauté. C'est une manière originale et percutante de rappeler l'interdépendance qui lie les individus d'une même communauté.
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