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EAN : 9782951444812
159 pages
Turquoise Editions (03/02/2008)
4.43/5   7 notes
Résumé :
Texte établi par Baskin Oran, traduction du turc par Elif Saner, revue par François Skvor.

« J’aurais dû mourir à l’âge de neuf ans. Cette vie, je ne la dois qu’à la grâce de Dieu. »

Telles furent les dernières paroles de Manuel Kirkyacharian. Adana. Sud de la Turquie. 1915. Il a neuf ans. Déporté comme des ­centaines de milliers d’Arméniens, il perd son père, sa mère, une partie de son ­entourage. Il est vendu, échangé…

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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
MK récit d'un déporté arménien relate à titre posthume le témoignage de Manuel Kirkyacharian de son départ de son village Adana en tant que déporté arménien à l'âge de 9 ans en 1915 jusqu'à son arrivée à Alep à l'âge de 18 ans en 1924.
Mes connaissances du génocide arménien sont minimes et c'est un fait peu abordé en cours d'histoire (au mieux un paragraphe dans un livre scolaire).
Manuel Kirkyacharian a mis près de neuf ans à rejoindre Alep. Par la suite, il ira à Chypre et enfin, il finira sa vie en Australie avec sa femme et ses enfants. C'est de là-bas qu'il a enregistré ses mémoires sur des cassettes de magnétophone. Ce livre relate tel quel son oral, en ajoutant des notes et des éclaircissements en introduction et au moyen de notes de bas de page.
Alors qu'ils sont déportés par les turcs à l'aide des soldats allemands, la famille de Manuel est victime de pillage de la part des Tcherkesses (peuple caucasien de la république de Karatchaïs-Tcherkesses en Russie). Dépouillé, victimisé, Manuel sera le témoin du suicide de sa mère dans le fleuve Euphrate. Quelques temps plus tard, c'est son père qui meurt. Par la suite, de l'âge de 10 à 14 ans, il travaillera essentiellement en tant que berger et comme main d'oeuvre pour les cultures dans des villages kurdes. Dans le premier village où il est recueilli son maître le bat et il finira par s'échapper. Il s'enfuira de nouveau à l'âge de 14 ans d'un autre village avant qu'on le marie de force à l'une des filles de son maître et qu'on le convertisse à l'islam. Il vivra alors de 14 à 16 ans dans le village syriaque de Azak. Il y sera bien traité mais le village est attaqué par les turcs à plusieurs reprises et le village sera assiégé 24 jours par les turcs.
Il apprend par des commerçants qu'il y a des arméniens à Mossoul. Il va donc partir avec onze personnes dont des commerçants en direction de Mossoul. Il sera recueilli par un orphelinat dirigé par les membres d'une église arménienne. Parmi les immigrés arméniens, il va rencontrer des personnes qui connaissent des membres de sa famille à Alep. Lors de cette période, il est engagé au service d'un greffier qui s'est révélé généreux avec lui.
Les annexes sont riches et composées d'un glossaire, d'un arbre généalogique de la famille de Manuel Kirkyacharian, de plusieurs photographies de lui et de sa famille, de cartes de la région, mais aussi du certificat d'identité et de voyage qu'il a obtenu à Mossoul.
Son témoignage est à la fois saisissant et touchant par la simplicité dont il relate son parcours. La chanson qu'il a créée témoigne de la toute souffrance qu'il a endurée.
Je remercie vivement les Editions Turquoise pour l'envoi de ce témoignage unique.
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M.K. Adli çocugun Techir Anilari 1915 ve Sonrasi
Traduction : Elif Saner, revue par François Skvor
Texte établi par : Baskin Oran

ISBN : 9782951444812

Nous remercions les Editions Turquoise qui, dans le cadre de l'Opération Masse Critique de Babélio, nous ont expédié cet exemplaire à titre gracieux. (Un merci particulier pour la fort poétique "signature-dédicace" du 20 septembre dernier.)

C'est bref, naturel, plat et pourtant intense. Si l'on ferme les yeux, on ne saurait entendre ce texte que récité d'une voix monocorde. Les bribes de mémoires qui nous sont léguées ici par Manuel Kirkyacharian sur le génocide arménien que le Turcs se refusent à reconnaître alors qu'ils l'accomplirent bel et bien avec la complicité particulière de leur toujours actuelle alliée, l'Allemagne, ont été enregistrées sur des bandes magnétiques auxquelles je n'aurais jamais accès, ce que je regrette car j'eusse aimé entendre les intonations de Kirkyacharian.

En les lisant en tout cas, on se persuade très vite que cet homme a perdu une forte part de son âme à partir du moment où il a vu sa mère jetée à l'eau, à sa demande, dans le fleuve Mourat, car la malheureuse, qui ne pouvait plus marcher, préférait la Mort à la perspective de demeurer à la merci des Tcherkesses, ou Tchétchènes, et plus encore des arabes qui resteraient pour exécuter ceux qu'ils étaient obligés d'abandonner sur la route de la déportation. Mme Kirkyacharian Mère redoutait encore plus sans doute le viol auquel elle n'eût certainement pas échappé, pour ne rien dire des tortures. Elle a donc choisi sa mort avec résignation et noblesse mais, ce faisant, elle a emporté dans les eaux du fleuve Murat une partie de son fils de neuf ans.

A moins que cette part-là ne soit restée, bien vivante parmi les vivants, mais que, passées les longues années d'enfance et d'adolescence où la perspective de s'échapper et de rejoindre des Chrétiens - des gavours, c'est-à-dire des mécréants, comme nous appellent toujours les musulmans - lui donnait encore le goût de bouger, de comploter, d'extrapoler, de vivre enfin, elle n'ait choisi à son tour, après avoir amené en lieu sûr celui avec qui elle faisait si intimement corps, de se replier sur elle-même, dans le souvenir du suicide volontaire de sa mère (comme deux hommes acceptèrent de la jeter à l'eau, le prêtre ne considéra pas la chose comme un suicide et elle put quitter ce monde munie des Saints-Sacrements de sa religion), comme momifiée à jamais pour le reste de sa longue vie terrestre et toute raidie dans l'effort désespéré de tenter de tout oublier.

Tous ceux qui ont connu un traumatisme, quel qu'il soit, dans leur enfance, savent qu'oublier est impossible et que, à partir de là, multiples sont les options qui s'offrent à eux pour survivre. Aussi multiples que le sont les origines et la nature des traumatismes eux-mêmes. Kirkyacharian a opté pour l'oubli car il est de tels degrés de souffrance que l'on ne voit plus que cette solution. Comme il fallait s'y attendre, il n'y est pas parvenu - c'est impossible, répétons-le. Mais, quels qu'aient pu être les événements qui ont suivi pour lui, après son retour, adulte, parmi les siens, une partie de son coeur est à jamais enfoui dans le Murat, avec ce qu'il subsiste des ossements de sa mère.

Soyons heureux pour lui qui, depuis quelques années, a rejoint cette mère qu'il avait perdue à un âge si tendre.

Et ne demandons pas à ce texte - qui n'est en fait qu'une sorte d'ébauche sur laquelle beaucoup de travail demeurait à accomplir - des descriptions poétiques de "la plaine d'arabie" ou encore des séides tchétchènes, des aghas et des musulmans qui émaillent ce parcours d'un enfant solitaire et déstabilisé, en pleine mutation physique et émotionnelle. de temps à autre, car certains savent rester humains au-delà des diktats de la religion à laquelle, pourtant, officiellement, ils continuent à se soumettre depuis des siècles, saluons au passage cette musulmane qui enveloppe l'enfant du lange de son propre bébé et l'emmène chez elle afin de le nettoyer et de le nourrir ou encore ce musulman qui recueille de petits Chrétiens en cachette et leur donne, aussi longtemps qu'il le peut sans encourir de danger pour sa famille, le gîte et le couvert.

Sans oublier, aussi mécréants que nous le sommes, ces officiers et soldats autrichiens qui, au contraire de leurs homologues allemands mais entraînés dans la spirale guerrière par les alliances diverses et l'assassinat de l'Archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, surent faire montre d'humanité envers les déportés, lorsque ceux-ci leur étaient confiés.

Un fanatique chrétien bien connu de notre civilisation se serait exclamé un jour, après avoir donné l'ordre de massacrer des hérétiques cathares : "Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens."

Fermons donc ce "Récit d'Un Déporté Arménien" sur la dernière de ces phrases et laissons à Plus Grand Que Nous le soin de reconnaître et de juger.

Mais, en notre monde terrestre, continuons à nous battre jusqu'à ce que le peuple turc et le gouvernement dictatorial qui se trouve actuellement à sa tête reconnaissent enfin le génocide des Arméniens et élèvent, en chaque ville de son territoire et en la mémoire de tous ceux qui y trouvèrent la Mort ou, pire encore, la captivité et le viol, un monument à leur mémoire. Cela n'effacera pas l'acte mais contribuera peut-être à rendre cet univers un peu plus juste - et pour nous tous, sans exception. ;o)
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A 9 ans en 1915, Manuel Kirkyacharian, le gamin arménien est déporté avec ses parents, comme beaucoup d'autres...C'est pour lui, le début d'une dizaine d'années d'errance en direction de la Syrie, de Mossoul puis d'Alep. Par la suite il émigrera vers l'Australie et obtiendra la nationalité anglaise.
Peu après le début du récit, le gamin perdra sa mère qui se suicide sous ses yeux en se jetant dans le fleuve et son père qui fut tué après avoir été fouetté. Je ne vous raconterai pas le reste
Le gamin errera de ferme en ferme, il sera vendu, pris comme esclave, aura faim, etc...et fera tous les sales boulots pendant une dizaine d'année, labours, moissons, soins aux animaux...il sera durement puni, aura faim et côtoiera même la mort à plusieurs reprises.
Afin de mourir, il témoignera en enregistrant sur des bandes magnétiques les conditions de son exode.
Un autre réfugié rappelle quelques causes de ce confit en début d'ouvrage, un ouvrage qui comporte dans ses dernières pages de nombreuses annexes, photographies, cartes, documents, servant de justificatifs aux dires du gamin et de présentation de l'adulte que devint Manuel.
Baskin Oran auteur poursuivi en justice en Turquie à plusieurs reprises a retranscrit les bandes magnétiques dans cet ouvrage. Il dédie ce livre à Hrant Dink, journaliste arménien, également poursuivi à plusieurs reprises par la justice turque et mort sous les balles d'un extrémiste en 2007
Qu'en penser ?
Quand Babelio, à l'occasion de l'opération Masse critique a proposé cet ouvrage aux lecteurs, je me suis immédiatement positionné pour le recevoir, le lire et le commenter. le Génocide arménien, est l'un des nombreux conflits qui ont ensanglanté cette région au cours de l'histoire...Et les journaux d'actualité, nous parlent tous les jours de la Turquie, de la Syrie, d'Alep, de Mossoul...des droits de l'homme dans cette région, des dictateurs qui gouvernent ces différents pays, des luttes religieuses ou autres qui perdurent dans le temps..
Je souhaitais lire ce livre afin de mieux connaître pour comprendre..Et mon désir est loin de se transformer en totale satisfaction parce que j'en espérais plus.
On ne peut nier les nombreuses épreuves et les coups que Manuel endura, les visions d'horreur qui le traumatisèrent, les travaux d'esclave qu'il accomplit, puisqu'"...il a fait des cauchemars toutes les nuits, jusqu'à sa mort à l'âge de 91 ans" et que, chaque nuit "il contrôle toutes les portes et fenêtres, vérifie que ses proches sont toujours là, puis se recouche". Surtout quand on garde présent à l'esprit sa forte volonté de vivre, de surmonter les épreuves et ses 9 ans au début de son long périple.
Les propos dérangeants de Manuel sont complétés par de nombreuses notes en bas de page donnant quelques informations historiques, mais surtout des traductions de mots, quelques précisions ou corrections des propos de Manuel.
J'aurais aimé lire une première partie documentée rappelant le contexte historique, le rôle de la France et de l'Allemagne, la place de ce génocide dans le conflit des Balkans, dans la Première Guerre Mondiale, la place ancestrale des arméniens au sein de la Turquie...bref j'aurais aimé avoir un plan large d'introduction pour mieux comprendre le "Pourquoi ?".Mais je n'ai eu qu'un zoom sur le "Comment?" en partie présenté par Manuel, qui ne nous parle que rapidement de la famine qui fut provoquée afin d'éliminer un très grand nombre d'arméniens. Un zoom, qui je le reconnais est mentionné dans le titre...
Cette première partie présente Manuel, sa vie, le reste de son histoire personnelle et mentionne : "Voici en six mots ce qui pourrait être dit de ses mémoires : «Beaucoup de souffrance, pas de rancune.» Beaucoup en auraient conservé une haine farouche
Cette lecture m'a poussé à naviguer sur le Net, afin d'en apprendre un peu plus, mais pour des questions de fonds comme celle-ci, je préfère de loin le papier d'un livre, qui m'accompagnera, que je pourrai consulter à l'occasion. C'est aussi ce que attend de la lecture, un livre en amène un autre...
Difficile de se séparer de plus de 60 ans de papier.
...Mieux connaître et comprendre le "Pourquoi"...! Je suis demandeur !
Je remercie Babelio et l'éditeur Turquoise pour m'avoir permis ce voyage dans le temps

Lien : https://mesbelleslectures.co..
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Merci aux Editions Turquoise de m'avoir permis de commenter ce livre qui aurait simplement pu s'intituler "Récit d'un déporté" tant il est malheureusement intemporel.
Manuel Kirkyacharian, signe là le récit de ses années d'errance et de souffrance suite à ce que L Histoire cache pudiquement sous le vocable : génocide arménien.
Ces deux mots, hélas, ne disent pas toute la violence de cette épuration ethnique et religieuse ou le voisin s'est fait bourreau et détrousseur. L'auteur non plus d'ailleurs ne détaille pas cette tragédie. Il reste d'une extrême pudeur sur ce qu'il a vu et entendu et son témoignage n'en est que renforcé.
Ce livre, plus qu'un récit est une invitation. Invitation à ouvrir les yeux sans détourner la tête des misères de notre temps. Invitation à se souvenir car c'est souvent en regardant le passé que l'on évite les erreurs du futur. Invitation enfin à regarder en l'autre un frère en humanité plutôt qu'un rival.
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Manuel Kirkyacharian, arménien septuagénaire vivant en Australie, revient, au crépuscule de sa vie, sur la déportation et l'exil de sa famille en 1915 par les turcs. A travers cette retranscription d'un témoignage audio, il nous raconte son dur périple qui l'a amené de sa ville de naissance Adana à Alep. Un périple qui s'est étalé sur une décennie durant laquelle il a connu de nombreux dangers et perdu des êtres chers.


Cette partie de sa vie, Manuel la relate de manière extrêmement pudique, sans rentrer dans le détail des horreurs qu'il a pu voir. Un témoignage brut et sincère, enrichi par de nombreuses notes en bas de page de Baskın Oran et plusieurs annexes.


Un ouvrage indispensable pour ressentir une fraction du vécu de la communauté arménienne durant cette sombre époque. Ne vous attendez toutefois pas à un cours d'histoire avec les causes et conséquences de ce génocide. Ce n'est pas ici le but de ce livre.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
J'ai aussi inventé une chanson sur ma vie, elle est en kurde. "Mayrik, Mayrik ! je suis sans toit, sans personne." Et elle commence comme ça :
Hé hé ! maman hé ! maman
Hé ! maman, je suis sans biens, sans personne

Oh ! maman
Je suis un adolescent de quatorze ans
Du chagrin helama karal*
Je suis sans toit, être sans personne c'est être livré à l'exil, maman
Oh ! maman, hé ! le gouffre, hé ! le gouffre
Je suis sans toit, sans personne, le gouffre

Oh ! maman
Oh ! maman
Quel malheur c'était, quel déluge
L'adolescent de quatorze-quinze ans est venu
Ma mère de vingt ou vingt-cinq ans, de trente ou trente-cinq ans
Hé ! maman hé ! maman
Hé ! maman

Oh ! maman j'étais le sel de ta nourriture
oh ! maman, j'étais le sel de ta nourriture

J'étais la lueur de tes yeux, maman
J'étais la blessure devant ton cœur, maman

Oh ! maman
Quel malheur c'était, quel déluge
Quel le foyer de la raison s'écroule, maman
A vrai dire, hé ! le chagrin, hé ! le chagrin
A vrai dire ce chagrin, hé ! le chagrin
Je suis chagriné, je suis sans toit, maman

Oh ! maman, hé ! maman, hé ! maman.

*Ces deux mots n'ont pas pu être compris
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[...] ... Par ailleurs, on apportait du pain à échanger contre des vêtements. Et nous, nous avions le châle noir de ma mère. Nous l'avons échangé contre un pain [= inutile de préciser que la valeur du châle était de vingt fois supérieur à celle du pain]. Nous sommes restés ici trois jours. Le matin du troisième jour, on nous a ordonné de nous tenir prêts à repartir.

Quant à ma mère et à tant d'autres, ils étaient dans un état si difficile qu'ils ne pouvaient plus marcher. Ma mère a dit à mon père : "Emmenez-moi au bord du fleuve. Je vais me jeter à l'eau. Parce que, si je reste, les arabes vont me tuer avec çarçiraka [= elle veut dire qu'elle sera torturée et violée]."

Mon père n'a pas voulu la prendre sur son dos pour l'emmener. Le père d'un copain de classe l'a portée et nous avons tous deux décidé de l'emmener. Nous avons appelé le der hayr [= prêtre]. Il a récité le Hagortutyun [= la communion], puis nous avons emmené ma mère au bord du fleuve Murat, à proximité.

J'ai tourné la tête, je n'ai pas voulu voir ma mère jetée à l'eau. Je me suis retourné ; elle se débattait dans l'eau et le fleuve commençait à l'engloutir ... ... [...]
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Manuel Kirkyacharian a accompli des choses à la fois ordinaires et exceptionnelles. Quant à ses mémoires, ils ne peuvent être qu'extraordinaires.
Car, si ses souvenirs vont parfois jusqu'à faire frémir, comme peuvent le faire les récits des victimes de la déportation, il ne les évoque jamais qu'avec un incroyable détachement, sans aucune animosité. Voilà, en six mots, ce que pourrait être dit de ses mémoires: "Beaucoup de souffrance, pas de rancune."
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[...] ... Les tchétchènes avaient fini de piller les déportés et nous avions repris notre route.

Nous étions dans la plaine d'arabie. Malgré les détours, où que nous allions, nous rencontrions le fleuve Murat. C'était un cours d'eau très large et peu profond. Une rivière qui coule, comme vous le savez. Et les tchétchènes ont crié : "Hé ! Les gavours [= les mécréants] ! Les gavours ! Vous allez traverser le fleuve. Allez ! De l'autre côté !"

C'était un ordre et nous avons commencé à traverser la rivière tout habillés. Nous étions encore petits alors, les grands nous tenaient pas la main. Autrement, à cause de notre poids trop léger d'enfants, le fleuve nous aurait emportés.

Enfin, les déportés ont traversés le fleuve et nous avons poursuivi notre route, les vêtements trempés ... Un nuage noir, très haut, se déplaçait dans le ciel. Nous nous serions cru en pleine nuit. L'orage et le vent tout contre nous. Il tombait des cordes. A l'avant et à l'arrière, les tchétchènes criaient :

- "He ! Les gavours ! Marchez donc ! Notre halte n'est pas loin."

Nous avons fini par y arriver. Certains étaient morts en route. Nous y avons passé la nuit.

Le matin, nous nous sommes levés et nous avons vu, à proximité, de grandes tentes noires arabes. Un hump [= groupe] d'arabes vivait là. Dans la matinée, on nous a donné un ordre, on allait rester là deux jours. Tout le monde devait se mettre à son aise et sécher. Nous nous sommes aperçus que les arabes avaient commencé à circuler entre nous avec les tcherkesses [= les tchétchènes] par groupes de deux ou trois. Les arabes regardaient les enfants, les garçons et les filles. Ils indiquaient aux tchétchènes ceux qu'ils repéraient : "Je veux adopter cet enfant," disaient-ils.

Et le tchétchène traduisait. Car les tchétchènes parlaient l'arabe, le tchétchène et le turc. Ils disaient à la mère ou au père de l'enfant ou à son propriétaire : "Cet enfant, donnez-le à cet arabe. De toutes façons, vous, les gavours, vous allez mourir !" Certains acceptaient, d'autres non.

Quand l'arabe prenait l'enfant, le tchétchène touchait une commission. ... [...]
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Hé, enfant de mécréant. T'as vu? Tous les Arméniens de Turquie et tous les mécréants de Turquie ont été liquidés. Le village qui flambe est un village de gavur (Chrétiens) et ils sont tous en train de brûler". Ils disaient, pour me faire peur, qu'il ne restait plus de chrétiens en Turquie et moi, j'y croyais.(P. 59)
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