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EAN : 9782070251261
224 pages
Gallimard (23/03/1983)
3.81/5   13 notes
Résumé :
Le narrateur raconte son enfance en Yougoslavie et en Hongrie pendant la guerre. Mais très vite il s'efface devant celui qui est le vrai héros du livre, son père, l'inoubliable Édouard Sam, juif de Hongrie. Illuminé, possédé ou prophète, ivre d'alcool autant que de son propre verbe, Édouard Sam a commencé sa "vie publique" par la rédaction d'un indicateur des chemins de fer dont il prépare une réédition qui prend peu à peu des dimensions encyclopédiques - encyclopéd... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Je suis charme. Je dois comptabiliser le charme de ce livre en etoiles? Il me faut d'abord enumerer ses merites.

Sa prose. Comme son titre. Un jardin de phrases exuberantes, ou fleurissent des mots de toutes les couleurs, enbaumant les pas du lecteur qui le traverse, fascine, grise par ses fragrances. Et au detour d'une allee, sans avertissement prealable, des fleurs se fanent, s'effritent, et dans la bouche du lecteur un gout de cendres.

Son contenu. La force de ce qu'il conte, de ce qu'il etale, de ce qu'il evente. Le debut du livre est proustien, le narrateur, attendri, se rememorant sa relation emouvante et quelque peu troublante avec sa mere. Ce sont ses premieres annees, celles du bonheur insouciant. Mais bientot il prend conscience du pere, dont la presence dans le recit met tous les autres dans l'ombre. Il n'y est pratiquement plus question que de lui. Il accapare l'oxygene, et aux autres de retenir leur respiration. Un pere phenomene, ecrivain encyclopediste, redacteur d'un indicateur de chemins de fer qui finit par englober toutes les connaissances, humaines et suprahumaines, sur toutes les destinations, actuelles et futures. Un pere qui dans sa frenesie mene la famille a la ruine. Un pere qui fonce vers la demence, prophete meconnu, ivrogne braillard et egoiste qui part pour des semaines et des mois sans rendre comptes a sa famille. Un pere mythique. "Et cet homme dont le regard brille d'un eclat incense et qui leve les bras au ciel, c'est mon pere, prophete pecheur et faux apotre" [...] "Il se redressait et se mettait a chanter d'un ton plaintif, lucide et inspire, genie pantheiste dont la langue et la parole devenaient le verbe divin, le cantique des cantiques". Il l'aime? Oui, meme s'il a tot fait de le demystifier: "Et voici enfin mon pere hors du drame et de la farce dont il a ete l'auteur, le metteur en scene et le principal acteur; le voici en dehors de tout role, simple mortel, chanteur celebre sans l'orgue de sa voix, sans le pathetique de ses gestes, genie endormi, oublie de ses muses et de ses deesses, clown sans masque et sans faux nez...".

Le pere part et revient. Disparait et reparait. Mais la deuxieme guerre mondiale sevit et le pere est juif. De son ultime disparition le narrateur nous donne en quelques lignes un rapport poignant justement par sa reserve: "Apres cette rencontre mon pere nous laissa longtemps sans nouvelles. Sans aucun doute il voulait effacer l'impression penible qu'il nous avait laissee, racheter les suites de sa mauvaise attitude et de son inconsequence. Il ne nous envoya qu'une lettre, quelques mois plus tard. Cette lettre, ou plutot ce simple morceau d'enveloppe, il l'avait jete d'un wagon plombe; celui qui la trouverait etait prie de bien vouloir la transmettre a l'adresse indiquee". C'est avec la meme reserve que nous sommes succintement informes des affres de la guerre : "L'annee ou mon pere s'en alla, l'automne arriva sous le signe d'un silence de mort, epais et gluant, sous le signe de la faim tranquille, des soirs nostalgiques et des incendies de villages".

Le narrateur connait la realite de la shoa mais ne peut s'y soumettre. Sans arret il croit revoir son pere, par hasard, au detour d'un chemin. "Tantot deux ou trois ans se passent sans qu'il donne la moindre nouvelle, tantot il se manifeste trois ou quatre fois par an, a petits intervalles. Parfois, il arrive deguise en touriste de l'Allemagne de l'Ouest, en culotte de cheval, et fait mine de ne pas savoir un seul mot de notre langue". Il ne peut, il ne veut pas penser l'impensable.

La disparition du pere chamboule le narrateur et chamboule la narration. Celle-ci revient vers la mere, elle revient vers les reves, les cauchemars qui l'aissaillaient petit enfant. Chaque nuit est une petite mort. Puis il y a ce que je percois comme un essai de continuer le pere, de supplanter le pere: "Un soir d'automne comme les autres (j'avais onze ans), sans la moindre preparation, sans que rien l'eut laisse prevoir, sans signes du ciel, avec une etonnante simplicite, survint dans notre maison Euterpe, la muse de la poesie lyrique [...] un rythme universel et grandiose fremissait en moi et des paroles sortaient de ma bouche comme de celle d'un medium parlant hebreu [...] semblables a celles des barcarolles que chantait mon pere [...] toute cette ballade lyrique et fantastique, cet authentique chef-d'oeuvre d'inspiration consistait en ces quelques mots disposes dans un ordre ideal et impossible a reproduire : recif de corail, instant, eternite, feuille, et en un mot tout a fait incomprehensible et mysterieux: plumasserie. Fou de terreur, je restai assis un instant, recroqueville sur mon coffre, puis je declarai a ma mere, d'une voix brisee par l'emotion: J'ai ecrit une poesie".

Le narrateur, Andi Sam, est un peu, beaucoup, l'alter ego de l'auteur, Danilo Kis. Le pere de Kis, qui passa un temps dans des asiles d'alienes, finit a Auschwitz. Et le petit Danilo est devenu avec le temps un grand poete en prose. Dans Jardin, cendre il decrit une enfance racontee par un adulte, saisie par les yeux de l'enfant ou le reel et l'imaginaire, le fantastique, se melangent, et racontee avec un zeste d'ironie et un humour des fois un peu triste par un adulte, qui sait dans quelle circonstances historiques s'est deroulee cette enfance. Le regard est ingenu, la voix est mure.

J'ai tarde a venir a Danilo Kis. Erreur. Je ne vais pas tarder a me plonger dans ses autres oeuvres.

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«Quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir.» Marcel Proust

Si les souvenirs constituent l'une des sources les plus fécondes de l'imagination littéraire, encore faut-il pouvoir les trier, les ordonner, afin que tout ne s'embrouille ou ne s'emmêle comme dans ces vieillies boîtes en carton sentant le renfermé, où nous stockons pêle-mêle, toutes époques confondues, photos, faire-part, cartes postales ou bouts de papier griffonnés, quelquefois tracés par des mains dont l'identité aura été complètement effacée de notre mémoire.

Pour lui servir de chemin de fer à ses souvenirs d'enfance, Andréa Sam, le narrateur de "Jardin, Cendre" choisit l'image de son père, Edouard Sam.
«Figure géniale», «visionnaire et prophète», la seule évocation de «sa puissante présence, son autorité et même son nom, ses fameux réquisitoires» lui suffirait à «maintenir dans un cadre solide la trame du récit, de ce récit où les fruits pourrissent lentement, foulés aux pieds, écrasés par la pression du souvenir, alourdis par leurs sucs.»
Personnage romanesque par excellence, doué d'une ingéniosité et d'une exaltation verbeuses hors pair, séducteur invétéré toujours en quête d'auditoire, rutilant et chimérique, idéaliste aux tendances messianiques et libre-penseur, auteur d'un guide d'itinéraires de transport ubuesque et interminable du fait de son ambition démesurée à le transformer en «oeuvre totale», mais par ailleurs alcoolique et bipolaire aussi, sujet à des impulsions violentes, à des périodes d'apathie profonde, imprévisible et égoïste, Edouard Sam est un père absent, incapable d'assurer régulièrement son rôle ou d'apporter à sa famille une quelconque stabilité matérielle ou affective.
Remémorant les années difficiles de pérégrination entre l'ancienne Yougoslavie et la Hongrie pendant la deuxième guerre mondiale, ayant culminé en 1942 par le départ définitif de son père - juif hongrois contraint dans un premier temps à s'exiler dans le ghetto, puis probablement déporté par la suite, disparu en tout cas à tout jamais sans laisser la moindre trace - le narrateur, double fictionnel de Danilo Kis, ne cherche pourtant à aucun moment «à se plaindre de la vie».
L'essentiel de son entreprise réside au contraire à faire ressurgir par «ce processus de galvanoplastie qui revêt choses et visages d'une fine couche de dorure et d'un noble dépôt de patine», l'héritage de poétique dérision légué par ce père fantasque auquel rien ne pouvait être opposé ou refusé. Mimant ainsi à merveille la liberté de création et le magnifique dédain que ce dernier avait toujours manifesté envers l'absurdité guidant la plupart du temps le destin du monde, les idéologies triomphantes et le matérialisme stupide qui fauchent les vies et les rêves des hommes, "Jardin, Cendre" se situe aux antipodes d'un récit qui, tout à fait légitimement d'ailleurs, aurait pu être assombri par les traumatismes de l'enfance vécus par son narrateur, les séparations précoces, l'exil, la misère et la faim engendrées par la guerre, ou le deuil impossible de son père disparu. Danilo Kis aura réussi, en outre, avec une grâce infinie et une maîtrise absolument sidérante, à enjamber l'espace entre le récit d'inspiration autobiographique et celui de la conception d'une mythologie personnelle, fictionnelle et flamboyante, et à s'y maintenir en suspension, en partie probablement du fait de ces mêmes penchants «aux exagérations lyriques» que son narrateur-personnage avoue avoir lui aussi chéri depuis sa plus tendre enfance.
Si la « cendre » du titre pourrait bien renvoyer au récit de l'effondrement progressif d'un univers d'enfant et d'une famille faisant face à une situation de privations et de misères de plus en plus difficiles à supporter, fuyant sans répit la persécution d'un des leurs (la père seul était juif, la mère, tout comme leurs enfants, étant chrétienne orthodoxe), c'est pourtant le «jardin» qui, par l'oeuvre de l'imagination fertile du narrateur sera ici restauré, faisant renaître des cendres du passé la verdure atemporelle et transcendante des premières expériences sensorielles et sensuelles, la découverte de soi et du monde, rhizomes précieux et universels qui, quoi qu'on aura vécu par la suite, seront restés inchangés enfouis sous le brûlis et susceptibles d'être à nouveau fertilisés.
Après les avoir exhumés comme des images jaunies d'une vieille boîte en carton, le narrateur préfère donc extraire de ses souvenirs leurs couleurs et tessitures, leurs saveurs et leurs parfums, plutôt que de déplorer les ruines d'un passé douloureux. Il ne se lamentera pas, ne cherchera aucunement à susciter la compassion ou les pleurs, ne souhaitera recevoir ni fleurs ni couronnes de la part de son lecteur. Toute la magie ensorcelante de ce texte d'une beauté scandaleusement déployée provient de la décision prise par le narrateur, au moment où, lâchant prise de tout souci de réalisme ou de dolorisme, il déclarera: « Je vais faire un tas de toutes ces cartes postales, de cette époque pleine d'un éclat désuet et romantique, je mêlerai mes cartes et puis j'en ferai une patience pour les lecteurs qui aiment les patiences et l'ivresse, qui aiment les couleurs chaudes et le vertige».

Danilo Kis, lui aussi, est né d'une mère orthodoxe monténégrine, et d'un père juif de langue hongroise. Il fut visiblement très marqué à son jeune âge par la disparition d'une partie de sa famille paternelle, déportée à Auschwitz. JARDIN, CENDRE est le premier volume d'une trilogie inspirée par sa famille, écrite et publiée comme la quasi-totalité de son oeuvre, en France, où il s'était installé dès 1962. Sa double origine, ainsi que sa double inscription linguistique (serbo-croate, hongroise) et religieuse (juive, orthodoxe), la rupture radicale avec le régime dictatorial implanté dans son pays dans l'après-guerre et son installation définitive en France, sont certainement des éléments déterminants ayant contribué largement à forger l'admirable ouverture de sa pensée, l'incroyable liberté de ton de son style littéraire, l'originalité de sa sensibilité de Homo Poeticus (titre qu'il a donné à un recueil de ses essais) et enfin, le regard acerbe qu'il portera sur toutes les formes de dogmatisme ou d'exercice autoritaire de pouvoir. Considéré comme un des auteurs majeurs de la littérature de langue serbo-croate d'après-guerre, salué par Milan Kundera et Susan Sontag, l'écrivain Piotr Rawicz qu'il avait fréquenté à Paris, disait à propos de lui : "Je ne connais personne avant lui qui aurait tenté d'aborder ce sujet immense, le destin juif sous Hitler, avec les seules armes dignes d'un poète : la maitrise souveraine du langage, saisir les tripes mêmes de l'être, saisir et montrer le génie du devenir, d'un devenir psychologique, historique, anthropologique".

JARDIN, CENDRE est un roman merveilleusement réussi, parcouru par une plume à fleur de peau et par une recherche de beauté omniprésente, dépourvue cependant de toute prétention esthétisante factice ou stérile. Au contraire, les mots du narrateur se savourent comme des biscuits au pavot sortis juste du four, les souvenirs s'ouvrent ici comme des fruits mûrs à notre fin odorat de lecteurs et les sentiments s'étalent devant nous en technicolor et en une multitude de teintes subtiles, jamais en gris.

Comme souvent chez Proust, l'affleurement du souvenir est pour le narrateur de JARDIN, CENDRE «couronné d'un écho lumineux» résultant de son long séjour «dans le puissant fixateur lyrique de l'oubli». Danilo Kis ne serait pas pour autant un auteur «proustien», ou JARDIN, CENDRE une lecture «proustienne». Il s'agit plutôt d'échos à une certaine démarche de la souvenance magnifiée par Proust que je retrouve ici, me renvoyant à d'autres souvenirs personnels de lecture et à des sensations que j'y avais associées. Des échos, on pourrait d'ailleurs en trouver bien d'autres dans une oeuvre aussi riche que JARDIN, CENDRE, marquée par une aussi remarquable liberté de création: aux inventaires d'un Perec, par exemple, au réalisme magique propre à une certaine littérature yiddish, ou encore aux atmosphères colorées particulières qui se dégagent de l'oeuvre picturale d'un Chagall...

Une lecture qui m'a, vous l'aurez certainement compris, complètement ébloui!

PS : Grand merci à Dan (Dandine), qui m'a amené par son enthousiasme et sa brillante critique de ce livre à découvrir ce magnifique auteur.
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Ce récit consiste en des souvenirs d'un garçon, son enfance et la vie de sa famille sur une période de quelques années. le père, personnage haut en couleur, disparait souvent et longuement, et alterne entre phases de dépression et vitalité débordante ; il se trouve être la clé de voute de l'écosystème du foyer en même temps qu'il est son talon d'Achille. Alors que la guerre fait rage, exposé à la faim et la précarité, dans cette famille bancale, l'enfant nous ouvre les portes de son univers intérieur. Il livre son interprétation des faits et la façon dont il les fantasme, explique comment la religion s'y incorpore subtilement, et comment les rôles de ses parents évoluent. Un roman touchant, mélancolique et poétique qui suggère le drame que constitue pour ce garçon le vide laissé par son insaisissable et immense père.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Soucieux de ne point nous ecarter de la realite ni des faits, de ne point trahir la verite, nous devons reconnaitre que nous ne pouvons rien affirmer avec certitude, pas meme le fait essentiel: nous ne savons pas si c'est de la mere ou de la fille que notre heros etait amoureux. [...] une infinite de solutions possibles, dont voici quelques unes: il n'etait amoureux que de la fille, car la fille etait chaude et parfumee comme le pain frais; il etait amoureux de la mere, car la mere etait dodue et opulente, et en meme temps tres souple, comme la pate dans le petrin; il etait amoureux a moitie de la mere, a moitie de la fille (profusion parfumee); il fut d'abord amoureux de la mere, puis, quand la fille eut grandi (elle devait recevoir en dot la moitie de la boulangerie et des revenus de sa mere), il s'eprit aussi de la fille, sans d'ailleurs cesse d'aimer la mere; ou encore il fut amoureux de la fille seule, puis il se ravisa car il s'etait avere que la fille etait une becasse qui ne savait pas garder un secret amoureux, et, tout naturellement, il s'eprit de la mere; et enfin, pour cesser de jouer avec la theorie serieuse de la relativite, [...] signalons encore cette possibilite, la plus simple de toutes: peut-etre n'etait-il amoureux ni de la mere ni de la fille? Mais n'exagerons pas! Ne doutons pas de tout! Car le mythe de l'amour de M. Sam pour la fille ou la mere, pour Mlle Horgoch ou Mme veuve Horgoch, n'est-il pas tout aussi reel que le mythe de Tristan et Iseult, par exemple?
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Depuis le soir où ma mère avait allumé une lampe où brûlait un mélange de pétrole et de graisse de voiture, notre cuisine était soudain devenue le territoire tout à fait légal de la nuit ; mais la lampe, faite d’une simple boîte de conserve, donnant une lueur vacillante et sifflant comme une théière, perçait comme un ver l’écorce épaisse des ténèbres et donnait à notre cuisine une place d’honneur dans cette nuit tout à fait dépourvue d’étoiles. Cette lampe était la seule étoile de ces nuits sans espoir où la pluie impudente faisait disparaître la notion du haut et du bas, confondait en longues lignes le ciel et la terre et effaçait le dessin d’enfant que le jour d’automne avait dessiné en gris, en ocre et en jaune, avec des taches rouges dans les coins. Par ces nuits-là, notre cuisine se changeait en une petite chapelle, en un autel, au point le plus oriental des ténèbres.
Ces soirs-là étaient enfantés par le silence d’où tout procède.
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Un soir, après m’avoir embrassé et avoir allumé la lampe de chevet pour que je n’aie pas peur, ma mère m’annonça que dans quelques jours nous prendrions le train. (...) Ensuite, j’entendis dans un demi-sommeil ma mère entrer doucement ; voyant que je ne dormais pas, elle me chuchota : «Pense que tu es déjà en voyage.» Alors soudain, quand la présence de ma mère eut éloigné de moi toute autre pensée et chassé la peur de la mort, mon lit, ma mère et moi, le vase de fleurs, la table de nuit avec sa plaque de marbre et le verre d’eau, les cigarettes de mon père, l’ange qui veillait sur les enfants, la machine à coudre de ma mère, la lampe de chevet, les armoires et les rideaux, en un mot toute notre chambre se mit à voyager à travers la nuit comme un wagon de première classe et je m’endormis bientôt dans cette illusion magnétique.
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Il était tout à fait ­calme, du moins en ap­parence, lorsqu'il se­nti dans ses reins le­ fusil à deux coups q­ui y mettait un huit ­horizontal. Des paysa­ns armés de massues, ­haletants et crasseux­, commençaient à sort­ir des fougères. Loui­se était au premier r­ang ; les yeux brilla­nts, elle se signait ­précipitamment. Sous ­ses pieds gisait la c­anne de mon père, écr­asée comme un serpent­ venimeux. Mon père s­emblait tout à fait c­alme et sa voix ne tr­embla pas un seul ins­tant. Il se pencha po­ur ramasser son chape­au puis chercha sa ca­nne du regard. Il com­mença soudain à s'agi­ter gauchement, à se ­dandiner d'un pied su­r l'autre comme un ca­nard et ses mains se ­mirent à trembler com­me celles d'un alcool­ique. Il ajusta son c­hapeau avec soin pour­ cacher l'émoi et la ­panique qui s'étaient­ emparés de lui dès l­'instant où il s'étai­t vu désarmé, puis il­ plongea sa main dans­ sa poche pour cherch­er une Symphonie.

« Prends garde, Tot, ­il est peut-être armé­ », dit quelqu'un.

Mais mon père avait d­éjà retiré sa main de­ sa poche et tout le monde vit le morceau ­de journal qu'il port­a à son nez et dans l­equel il se moucha. (­Toute émotion éveilla­it en lui de fortes p­erturbations du métab­olisme et une abondan­te sécrétion de liqui­de. Je savais que, s'­il sortait vivant de ­ce mauvais pas, son p­remier soin serait d'­aller uriner derrière­ un buisson en pétant­ bruyamment.)
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QUI EST CET HOMME ET QUE ME VEUT-IL ?
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Le vendredi 13 juillet 2018, la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris - www.charybde.fr ) avait la joie de recevoir Emmanuel Ruben pour évoquer les récentes publications de "Le coeur de l'Europe" (éditions La Contre Allée) et de "Terminus Schengen" (éditions le Réalgar), et pour effectuer un parcours au sein de la littérature d'ex-Yougoslavie. Il évoquait Milos Crnjanski, Ivo Andric, Aleksandar Tisma, Danilo Kis, Milorad Pavic et David Albahari, tandis que le librairie Charybde 2 évoquait Faruk Sehic, Miljenko Jergovic et Goran Petrovic.
Ceci est l'enregistrement de la première heure de la rencontre.
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