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Critique de nebalfr


Lu dans la réédition dite "édition originale" (2018).

La réédition en version dite « originale » de la fameuse série Gunnm, de Kishiro Yukito, ayant été achevée, Glénat s'est lancée dans celle de sa suite controversée, Gunnm Last Order – parallèlement à la publication continue de la troisième phase de la série, Gunnm Mars Chronicles.



Gunnm Last Order répond à un regret de l'auteur : vers le milieu des années 1990, quelque chose qui ressemble fort à une dépression, à vue de nez, a abattu l'auteur, qui n'était plus en mesure de continuer à livrer les épisodes de sa série phare – aussi a-t-il décidé d'en précipiter la fin, bien plus tôt qu'il ne le pensait initialement : la série devait emmener Gally dans l'espace, mais cela n'était tout simplement plus envisageable dans ces conditions – Gunnm s'est donc achevée sur Terre, et les divers personnages ont connu leurs ultimes moments de manière parfois bien précoce. On a vu tout cela dans le dernier tome de la série originelle, soit le neuvième. Mais Kishiro Yukito n'était vraiment pas satisfait de cette fin improvisée et précipitée… Quelques années plus tard, au tournant du millénaire, après une expérience vidéoludique qui l'a confirmé dans cette voie, l'auteur propose de livrer la « vraie fin » de la série, projet qui tourne bientôt à la série à part entière, et finalement plus longue que la série originelle. La « fin » dans le tome 9 est invalidée : Gunnm Last Order n'en constitue pas une alternative sur le mode de l'uchronie fictionnelle, elle est, même invraisemblablement dilatée, la « vraie fin », ainsi que l'auteur le martèle sans cesse – celle qui permettra enfin à Gally d'aller dans l'espace, en quête d'elle-même.



Disons-le : Gunnm Last Order se paye une assez sale réputation… Les camarades qui m'en parlaient, tandis que je relisais la série initiale, étaient unanimes sur ce point – ce qui avait de quoi décourager toute tentative de lecture, hein ! Je me suis quand même lancé dans la lecture de ce premier tome, par curiosité un peu perverse sans doute, mais aussi parce que le dossier consacré à Kishiro Yukito dans le n° 8 d'Atom avançait que les premiers tomes, dans la continuité de la série originelle, étaient tout à fait honnêtes – à en croire ce dossier, les choses dégénéreraient progressivement… surtout à partir du moment où des vampires se mettraient de la partie, et j'en frémis d'avance. Je doute donc de poursuivre l'expérience bien loin, hein…



Tenons-nous-en donc à ce premier tome – qui « annule » donc la fin du tome 9 de Gunnm : les dernières séquences « validées » sont celles où Desty Nova, le savant fou amateur de flans qui a plus ou moins joué le rôle de Némésis pour Gally, ramasse les morceaux de la cyborg après une explosion. Les premières séquences de Gunnm Last Order alternent deux narrations : l'une voit Desty Nova, associé à un jeune scientifique prometteur autant qu'ambitieux, du nom de Jim Roscoe, reconstituer le corps de Gally – ou, plus exactement, lui en créer un autre, l'Imaginos, reposant sur des découvertes nanotechnologiques ; les motivations du savant fou sont forcément un peu nébuleuses, mais semble dominer l'idée qu'il est curieux de voir comment Gally ressuscitée changera le monde autour d'elle – ce qui s'inscrit dans ses considérations un peu fumeuses sur une science du karma… L'autre narration consiste en un flash-back, qui voit Gally, ou plus exactement Yoko, revivre une scène particulièrement traumatisante de son enfance sur Mars – car il s'agira aussi pour elle, tâche qui avait dû être abandonnée dans la série originelle, en dépit de quelques développements tardifs d'essence militaire, de découvrir véritablement qui elle est : c'est, après tout, sa principale raison de quitter la Terre.



Mais nous n'en sommes pas encore là : la suite voit Gally se réveiller, avec son nouveau corps, dans une Zalem en proie au chaos et à la destruction – à vrai dire, une des premières choses sur lesquelles elle tombe… n'est autre que le cadavre horriblement mutilé de Desty Nova. Maintenant, nous sommes dans un univers baignant dans le transhumanisme, hein – vous savez déjà que la mort n'a pas forcément la même signification dans ce contexte…



Quoi qu'il en soit, Gally découvre bientôt qu'elle se trouve sur Zalem, la cité flottante inaccessible. Et Desty Nova y a foutu le bordel, en révélant aux habitants de Zalem qu'ils n'étaient « pas totalement humains », dans la mesure où les adultes, au travers d'un rite d'initiation dont les véritables tenants et aboutissants sont tenus secrets, se voyaient remplacer le cerveau par une sorte de puce électronique. Et cette révélation, pour des raisons que je ne perçois pas très bien à titre personnel, les a rendus complètement dingues : l'utopie céleste a bientôt tourné au bain de sang… Quand Gally s'éveille, elle se retrouve bien malgré elle impliquée dans la guerre qui oppose les adultes désireux semble-t-il d'accomplir une sorte de grand suicide collectif, et les enfants et adolescents, qui ont toujours leurs cerveaux, et qui, même terrifiés par ce qui se passe autour d'eux, s'envisagent néanmoins comme « davantage humains » que les adultes. Or les enfants ont un allié de poids… en la personne de Jim Roscoe, devenu fou lui aussi et prêt à tuer tout le monde autour de lui – « juste pour voir » ; oh, tiens, un robot géant !



Par la force des circonstances, Gally, qui ne brille pas exactement par l'empathie, et est surtout obsédée ici par la découverte de son nouveau corps, qu'elle ne connaît pas, littéralement, Gally donc se retrouve dans le camp des enfants, mais « c'est pas sa guerre ». Ce qu'elle aimerait faire, c'est retrouver Lou – son amie (et/ou collègue/associée du temps où elle était tuned). Elle n'a plus la moindre trace de la jeune femme : l'ordinateur central de Zalem pourrait lui en apprendre davantage, encore faut-il parvenir jusque-là… et la guerre des adultes et des enfants n'est pas la seule chose à lui barrer la route : certains de ses clones, datant là encore de son passé tuned, sont parvenus sur Zalem – la plus dangereuse, qui s'est rebaptisée Sechs, est obsédée par le désir de tuer « l'originale » ; mais Desty Nova forcément ressuscité a également son mot à dire, avec deux autres clones à son service, Elf et Zwölf, en gardes du corps improbables… encore qu'il s'agisse surtout pour lui d'observer ce qui se passe plutôt que d'y participer.



Que penser de ce premier tome ? le bilan est assez mitigé – ce n'est pas une purge, ça se lit plutôt bien en fait, mais il y a un certain nombre de défauts, clairement. J'évacue d'emblée ma bête noire dans les mangas de ce type : les notes de bas de page/case bourrées de pseudo-science-techno-mes-couilles teinté de mystique-mes-couilles-aussi-probablement-plus-grosses-et-qui-plus-est-velues – il y en avait un peu dans Gunnm, mais beaucoup plus ici, et aussi inutiles/pénibles/creuses/rayez-la-mention-inutile-ah-mais-y-en-a-pas que dans les horreurs type The Ghost in the Shell.



Les autres défauts sont probablement moins criants, mais un peu déstabilisants quand même. Parmi lesquels un dessin, qui, en l'espace de quelques années à peine après la « fausse » conclusion de Gunnm, me paraît avoir perdu en personnalité, en âme, en précision aussi parfois. On reconnaît grosso merdo la patte de Kishiro Yukito, ça reste globalement d'un bon niveau, mais… il y manque quelque chose. Notamment dans la représentation de Gally, plus fade, et le dynamisme mollasson des (nombreux) combats. Ceci étant, les autres personnages (Roscoe excepté en ce qui me concerne) bénéficient dans l'ensemble d'un character design assez soigné, tout particulièrement les trois ados qui restent tout le temps dans les pattes de Gally. J'avoue avoir un faible pour le gros connard de prof de sport moustachu, aussi… (Bon sang que cette phrase était bizarre à écrire.) Les clones sont…corrects, allez – y compris dans le fan service kawaii des jumelles girly-petits-coeurs Elf et Zwölf, qu'on avouera rigolo si un peu navrant (côté kawaii improbable, il faut d'ailleurs accorder une place particulière au flash-back martien, avec une petite Gally chibi invraisemblablement craquante dans un contexte parfaitement cauchemardesque…).



Et le scénario ? du bon et du moins bon. Si la folie des Zalémites me paraît toujours aussi difficile à comprendre (ça doit être que j'ai une puce à la place du cerveau et que, comme Gally ici et plus que jamais, je ne carbure pas à l'empathie), j'ai apprécié l'atmosphère de chaos urbain de ce premier tome, oppressante, et qui rapatrie du Mad Max (déjà très présent dans Gunnm) dans un environnement artificiel cauchemardesque, qui doit aussi sans doute pas mal de choses au Néo-Tôkyô chaotique d'Akira. L'idée de cette utopie qui n'a eu besoin que de quelques heures pour se muer en un théâtre de guerre ruisselant de sang me parle pas mal. Les gags fonctionnent assez mal, par contre – et les combats cannibalisent un peu trop le récit. Mais il y a de bons moments, oui : des petites touches qui, ponctuellement, rappellent que Gunnm, même Last Order, n'est pas un manga lambda.



Bilan mitigé, donc – mais pas déshonorant. La qualité a un peu diminué par rapport aux derniers tomes de Gunnm, ça me paraît clair, mais à ce stade Gunnm Last Order demeure au-dessus du lot, et j'ai globalement lu ce premier tome avec un certain plaisir – je lirai donc probablement le deuxième, et on verra bien quand viendra le moment d'arrêter les frais.



Oh, PS important : ce premier tome se conclut sur un bonus tout ce qu'il y a de sympathique, à savoir « Hito (Le Peuple Volant) », une histoire courte réalisée par Kishiro Yukito en début de carrière. Ça ne fait pas partie de Gunnm, c'est bien antérieur à la création de Gally, et pourtant, même si le ton est autrement plus léger et même régulièrement humoristique (avec une certaine poésie par ailleurs), ça y fait beaucoup penser ! Tout spécialement, en fait, au tome 2, avec le personnage de Yugo, qui a clairement ici son premier modèle – un jeune homme obsédé par le désir de voler… Mais il y a aussi cet ange blond, aux traits remarquablement définis, qui ne veut pas voler, tiens, et un univers urbain à part, qui préfigure tantôt Zalem, tantôt Kuzutetsu, et probablement bien d'autres choses. C'est un peu brouillon parfois, probablement pas tout à fait abouti, et le dessin est clairement plus simpliste que ce que l'auteur a accompli ultérieurement, mais c'est une chouette lecture – un bonus tout à fait bienvenu !
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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