« Ding-Dong ! » (Bruit de carillon). « Un colis pour vous, tenez, signez ici… Tiens, encore un Étienne Klein ? Vous auriez dû faire une commande groupée avec
Les tactiques de Chronos et
le temps et sa flèche ! Car vous savez, je ne sonnerai pas les prochaines fois… ». Cette scène, hélas, est totalement imaginaire, car à chaque fois que le reçois un livre par courrier, j'en suis quitte pour me rendre moi-même à La Poste avec l'avis de passage du facteur. Et effectivement, j'aurais peut-être dû acheter ces trois livres en une seule commande, vu ma consommation effrénée d'Étienne Klein ces temps-ci…
Une fois le jeu de mot cinéphilique du titre savouré à sa juste mesure, notons que
le facteur temps ne sonne jamais deux fois fait aussi référence à un autre ouvrage du même auteur,
Les tactiques de Chronos, dont il constitue une sorte de prolongement. Ces deux livres peuvent toutefois être lus indépendamment l'un de l'autre et dans un ordre indifférent.
Chaque chapitre aborde une question particulière relative au temps, clairement annoncée dans son titre. Les questions qu'Étienne Klein se pose sont a priori plutôt étranges (*). Étienne Klein endosse ici la toge du philosophe, qu'il porte d'ailleurs avec autant d'aisance que sa blouse de scientifique. Pour appuyer ses raisonnements « philosophiques » – il se réfère à des courants de pensée et à des thèses qui ne sont pas nécessairement les siennes, mais qui ont été énoncées par d'autres scientifiques (ou philosophes) qu'il cite – il convoque la science. Celle-ci apporte parfois sa caution, mais peine le plus souvent à départager les thèses concurrentes, tant les doctrines philosophiques sur
le temps restent une question de points de vue, d'opinions personnelles, ou tout simplement parce que la science, impuissante, reste muette sur les questions posées.
On dit que
le temps passe ou s'écoule, mais dans quoi s'écoule
le temps ? Par rapport à quoi ? Étienne Klein met en garde contre l'utilisation de la métaphore du fleuve, image trompeuse. La philosophie, tout comme
le temps, n'est pas un long fleuve tranquille.
Un chapitre entier éclaire la distinction entre « cours du temps » et « flèche du temps ». le sens de l'écoulement du temps, symbolisé par la petite flèche au bout de l'axe des temps en bas à droite n'est pas la flèche du temps. Vous pensiez qu'il s'agissait de la même chose ? Grave erreur ! Il convient de distinguer le devenir et l'avenir (arrivé à ce stade de la réflexion, j'avoue, il faut un peu s'accrocher).
Quelques évidences parfois passées inaperçues (en ce qui me concerne) surgissent au détour d'une réflexion. Par exemple, qu'est-ce que l'instant présent ? Qu'est-ce que « maintenant » ? Curieusement, les théories scientifiques n'apportent aucune réponse à cette question. En effet, sur l'axe des temps,
le temps t0 peut être choisi arbitrairement, mais rien ne permet de le distinguer, au niveau de ses propriétés, du temps t1, choisi un peu plus loin (plus tôt ou plus tard)… le « présent » est une notion fugitive que l'on peut arbitrairement fixer sur un axe, mais qui ne correspond à aucune définition profonde et scientifiquement établie. Étonnant, non ? Concept évanescent, à peine le présent est-il désigné qu'il appartient déjà au passé. Quant à notre passé, existe-t-il encore quelque part ? Dans un endroit désormais inaccessible ? Ou le passé (tout comme l'avenir) est-il une illusion ? Deux théories s'affrontent : celle de « l'univers-bloc » et celle du « présentisme ».
Le plus long développement concerne la physique statistique, la thermodynamique, la réversibilité des phénomènes et la notion d'entropie, qu'Étienne Klein aborde avec le débat (passionnant) qui opposa
Ludwig Boltzmann et Wilhelm Ostwald au XIXe siècle. La réversibilité est-elle liée à la possibilité d'inverser le sens du temps ? Certains le croient, et, parmi eux, il y a…
Ilya Prigogine, l'auteur de la fin des certitudes, qui non seulement sème le doute (normal, vu le titre de son livre !) mais semble aussi raconter beaucoup de bêtises sur le sujet, et en prend donc pour son grade (prix Nobel de chimie 1977).
L'ensemble, comme toujours chez Klein, est in fine agréable à lire, mais les idées « philosophiques » exprimées sont parfois assez pointues, et obligent à relire certains paragraphes afin d'en comprendre toutes les subtilités. Vous voilà prévenu, malgré sa petite taille, ce livre ne manque pas d'épaisseur et n'est pas aussi léger qu'il y paraît. Afin d'éviter d'être sonné, il est prudent de prendre son temps pour le lire, et pourquoi pas deux fois.
(*)
le temps s'écoule-t-il par rapport à quelque chose ? L'écoulement du temps a-t-il une vitesse ?
le temps se suffit-il à lui-même ? L'espace-temps serait-il un déploiement de la causalité ? Qu'est-ce que le moteur du temps ?
le temps a-t-il connu un premier instant ? Quel temps nous a précédés dans
le temps ? D'où vient notre présence à l'instant présent ?... etc.