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Citations sur Le temps (17)

Bergson objecte à Einstein que le temps mathématique et déshumanisé du physicien n'épuise pas le sens du temps vécu et que, de toute façon, ni la science ni la métaphysique n'ont jamais rien dit qui vaille sur l'expérience du temps, essentiellement parce qu'elles se confient à l'intelligence qui est réfractaire à la durée, dont le sens commun a l'intuition. Nous avons beau porter une montre au poignet, nous ne sommes pas réductibles à un chronomètre, ni même à une horloge parlante. C'est pourquoi la pensée scientifique, et même la pensée tout court, se trompe lorsqu'elle croit dire le temps. N'étant qu'un fragment de la vie, elle n'a pas les moyens de dicter ses règles à la vie. A trop schématiser le temps, on laisse certainement échapper quelques unes de ses propriétés fondamentales. Sur ce point, le débat reste ouvert : lorsque nous examinons la beauté, la puissance et l'efficacité des théories physiques actuelles, oublieuses du temps, nous ne pouvons que donner raison à Einstein ; mais lorsque nous voyons un enfant qui grandit en inventant chaque jour de nouveaux gestes, nous percevons mieux la pertinence des objections de Bergson. Sa philosophie passe probablement comme lettre à la poste auprès des pères de famille attentifs.
Reste que la furtivité de l'instant physique a du mal à rendre compte de l'épaisseur de la durée psychologique. Chronos et tempus rechignent à se confondre, la ponctualité de l'un s'accordant mal avec la continuité de l'autre. Einstein lui-même en convenait : "Il n'y a pas un temps des philosophes ; il n'y a qu'un temps psychologique différent du temps des physiciens." L'opposition des arguments d'Einstein et de Bergson fournit une estimation de la distance qui sépare ces deux sortes de temps. L'affrontement de ces deux géants de la pensée posait indirectement une autre question, celle de savoir qui a autorité pour parler du temps. La réponse est certainement : personne, ou plutôt tout le monde. Dans le domaine de la pensée, le temps incarne la fin des privilèges. Il n'est l'apanage d'aucune discipline et nul ne peut, sur un tel sujet, revendiquer une quelconque préséance. Mais on sait bien que la fin des privilèges ne signifie pas celle des affrontements.
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... . Je reconnais qu'une telle perspective réclame une certaine ouverture d'esprit, mais je te rassure: une ouverture d'esprit n'a rien à voir avec une fracture du crâne.
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Simone Weil faisait judicieusement observer qu'il faudrait dire des choses éternelles pour être sûr qu'elles soient d'actualité.
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Il y a le paradoxe, et même le prodige, de la réalité même du temps. Puisque le passé n'est plus, que l'avenir n'est pas encore, puisque le présent lui-même a déjà fini d'être dès qu'il est sur le point de commencer, comment pourrait-on concevoir un être du temps ? Comment pourrait-il y avoir une existence du temps si le temps n'est ainsi composé que d'inexistences ? Convenons qu'il serait bien hasardeux de fonder la réalité du temps sur une réalité aussi peu réelle que celle de l'instant, qu'on se représente toujours comme une sorte d'atome temporel, de point-limite insécable suspendu entre deux néants : l'instant n'est qu'un frisson, et un frisson n'a guère de poids ontologique. Alors, si « l'instant n'a pas de temps », comme le notait Léonard de Vinci dans ses Fragments, comment le temps pourrait-il être fait d'instants ? Par quelle alchimie ces admirables tremblements de temps pourraient-ils s'épaissir en durée ? À peine né, l'instant neuf doit passer à l'ancien, comme soldé avant l'heure, faisant du présent l'urgence d'un futur frémissant déjà dans les transes de l'imminence.
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Le temps c'est ce qui passe quand rien ne se passe, et c'est aussi le moyen le plus commode qu'a trouvé la nature pour que tout ne se passe pas d'un seul coup.
C'est une façon astucieuse de traduire le fait que s'il n'y avait pas de temps, il n'y aurait pas de durée : tout aurait lieu d'un seul coup, puis plouf, plus rien. Si l'on prend cette hypothèse au sérieux, le temps apparaît comme ce qui maintient les choses qui durent dans la succession des instants présents. Il permet qu'elles soient toujours là.
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On peut bien sûr tenter de définir le temps, dire qu'il est ce qui passe quand rien ne se passe ; qu'il est ce qui fait que tout se fait ou se défait ; qu'il est l'ordre des choses qui se succèdent ; qu'il est le devenir en train de devenir ; ou, plus plaisamment, qu'il est le moyen le plus commode qu'a trouvé la nature pour que tout ne se passe pas d'un seul coup. Mais aucune de ces expressions en forme de pirouette ne rend compte de la nature et de l'intégrité du temps.
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La technique a depuis peu évolué beaucoup plus vite que la culture, au point que nous ne sommes plus en mesure d'élaborer une représentation générale des développements de toute sorte qui sont en train de s'accomplir. Aussi avons-nous désormais le sentiment d'être dans le temps de tous les possibles, qui est aussi, par les choix qu'il offre et les questions qu'il invente, le temps des grands désarrois. Nous en venons à nous demander si l'abus de notre domination sur la nature pourrait conduire à la destruction de tout ce que nous avons appris à dominer. Dans le doute, que devons-nous faire pour garantir que le pouvoir de l'homme ne deviendra pas une malédiction pour lui ?
Cette question tiraille nos consciences et creuse nos traits, car les termes de sa réponse révèlent des antagonismes. D'une part, l'accroissement de notre puissance suppose un accroissement équivalent de nos responsabilités et de notre vigilance. Mais d'autre part, la rigueur obligatoire de la responsabilité est en contradiction avec les discours de libération, d'émancipation, d'évasion, de jouissance qui sont communément tenus. La responsabilité en vient à ressembler à une entrave dont l'immensité même invite à l'esquive, c'est-à dire à son exact contraire, l'irresponsabilité. Nous assistons en sommes au gonflement simultané de deux tendances opposées. D'un côté, une puissance dont les conséquences impliquent qu'on limite son pouvoir d'action. De l'autre, une crise portant justement sur la notion même de limitation, d'interdit, de renoncement. Ce paradoxe est l'un des inconforts de la modernité. Son dépassement reste l'un de ses principaux défis.
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Plutôt que de dire que (l'avenir) est ce qui vient vers nous, il faut désormais le voir comme ce vers quoi nous décidons d'aller. Ce renversement, d'apparence byzantine, n'est pas une pirouette : il modifie notre rapport aux temps qui s'annoncent en nous mettant en demeure de les anticiper. Bien sûr, l'avenir ne sera pas ce que, dans nos rêves les plus fous ou dans nos pronostics les plus optimistes, nous aurions désiré en faire, car trop d'éléments nous échappent pour que nous puissions croire que nous le déterminons.
Mais nous devons réfléchir aux moyens d'empêcher qu'il accouche du pire des mondes. Au lieu d'attendre passivement que l'avenir se contente d'advenir, tentons de faire en sorte que son visage ne soit pas hideux. Un tel voeu pieux est évidemment plus facile à énoncer qu'à réaliser, car les détails de sa mise en oeuvre n'ont pas la simplicité des principes. L'éthique n'est pas toujours à portée de la pratique, et cette dernière n'a pas forcément l'élégance de la première. (...) Néanmoins, nous sentons confusément que tout cela demande de la réflexion, de l'action, peut-être des renoncements, en tout cas une volonté d'anticipation sans laquelle l'avenir perdrait toute conaturalité avec notre présent, lui serait absolument étranger. "L'avenir, c'est du passé en préparation", disait le très regretté Pierre Dac. Cette phrase est vraie au point d'ignorer la flèche du temps : on peut y bouleverser la chronologie en disant , aussi, que "le présent, c'est du futur qui se prépare".
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L'accélération de l'histoire (...) devient encore plus manifeste si l'on inclut dans l'histoire la préhistoire. Cinq cent millions d'années ont séparé l'invention du feu de celle de l'arme à feu, mais six cents ans ont suffi pour passer de l'arme à feu au feu nucléaire. Dans un registre moins guerrier et plus récent, citons l'exemple spectaculaire des transports : avant-hier, Marseille était à une semaine de Paris, hier à une journée, aujourd'hui à quatre heures ; et demain, tout sera à un quart d'heure de tout. Mille autres exemples pourraient venir confirmer que l'idée de progrès contient sa propre amplification et suscite ses propres vertiges. Qu'il s'agisse d'armes, d'outils, d'ordinateurs ou de voitures, on met vite le progrès au rebut. A peine nées, les nouveautés se périment, et rares sont les fabricants qui ne proposent pas chaque année, au mépris du sens des mots, une "nouvelle génération". L'accélération de l'histoire s'accélère donc d'elle-même, victime de sa propre dynamique. A ce rythme, jusqu'où ira-t-elle ? On peut se demander où trouver un point fixe dans un contexte aussi mouvant. Existe-t-il seulement un repère, même mobile, qui puisse nous servir d'assise ? Notre monde, en pur devenir, semble échapper à toute forme d'arrêt et de repos. (...) Simone Weil faisait judicieusement observer qu'il faudrait dire des choses éternelles pour être sûr qu'elles soient d'actualité.
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Cinq cents milliers d'années ont séparé l'invention du feu de celle de l'arme à feu, mais six cents ans ont suffi pour passer de l'arme à feu au feu nucléaire.
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