Entretiens de Jean Klein, datant des années 1970 et 1980. Les premiers, en particulier, évoquent avec une acuité inégalée les fondements de l'advaita-vedanta dans un langage d'aujourd'hui. On conseillerait volontiers de lire ce livre en diagonale, mais avec attention, et de se laisser capter de temps à autre par une réponse qui nous concerne davantage.
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Les âsanas peuvent aussi attirer notre attention sur la lourdeur de notre corps : combien il nous apparaît comme étant épais, encombrant, opaque, non transparent. Vous vous libérez également des encombrements et nourrissez votre corps avec le souffle. Tout cela est vrai, je vous l’accorde, mais à condition que ce soit fait avec beaucoup de justesse. Nous ne devons pas perdre de vue la perspective non objective dont nous avons parlé. Vous ne trouverez pas, grâce à ces exercices, ce que vous cherchez profondément, c’est-à-dire vous libérer profondément de votre anxiété.
Si, le matin, vous ne vous précipitez pas dans un réveil corporel et mental, vous avez ce pressentiment intense de la vérité. Pendant cette courte période, vous n’êtes pas encore totalement sur les rails du conditionnement, et il est très important de se donner pleinement à cet instant. Si vous vous consacrez à cette méditation chaque matin, sans intégrer immédiatement toutes vos facultés, votre personnalité, vous ressentirez dans la journée cet appel en arrière-plan. C’est un émerveillement, mais surtout, ne cherchez pas à l’enfermer dans un concept, à le formuler, à l’expliquer.
Question : Comment décririez-vous la libération ?
Jean Klein : Je vais vous donner une brève réponse.
C'est être libre de soi-même, libre de l'image que l'on croit être soi-même.
Voilà la libération.
C'est une véritable explosion de voir que vous n'êtes rien, et de vivre alors en parfaite harmonie avec ce néant.
L'approche corporelle que j'enseigne est en quelque sorte un beau prétexte, car d'une certaine manière le corps est comme un instrument de musique qu'il faut accorder.
Question : Et nous l'accordons pour interpréter la chanson de notre propre néant.
Jean Klein : Exactement.
La libération, c'est vivre libre dans la beauté de son absence.
Vous voyez en un instant qu'il n'y a rien de vu et pas de voyant. Alors vous le vivez.
Lorsque la pensée a reconnu ses limites, nous sommes amenés à un arrêt de tout dynamisme, de toute volition. Nous ne vivons pas à ce moment-là une absence, mais une présence à la présence ; c’est la fin du méditant comme détenteur de la méditation. C’est cette prise de conscience dans
l’instant présent, abrupte, instantanée, qui nous permettra d’être nous-même, et non une attitude par appropriation. Toute méthode, tout système, est un produit de l’intellect et un aliment servant à perpétuer la notion d’un moi.
Un mental libre de conflit, de peur, de préjugé, laisse l’esprit ouvert pour bien diriger toutes nos énergies qui sont trop souvent perdues dans la poursuite de ces techniques et de ces procédés.
L’enfant doit s’approprier le monde. On le lui enseigne. Mais en même temps, on devrait lui montrer ce qu’il est, profondément. Or, dans notre société, on lui apprend seulement le monde. Celuici existe, certes, et nous devons l’accepter, accepter nos limitations, nos conditionnements, et c’est ainsi que nous pourrons concevoir ce qu’est la libération. L’enseignement traditionnel en Inde éclaire ces deux points. L’homme devient époux, père de famille, puis se retire pour approfondir ce qu’on lui a inculqué dans sa jeunesse. La question « Qui suis-je » se pose alors à lui avec acuité. L’éducation moderne tend à nous enfermer dans les rouages d’un système compétitif, agressif, d’acquisition. L’enseignement du monde, et de ce « je suis » devrait se faire d’une façon concomitante.