Aussi violemment expressif est Georges Rouault. Lui ne s'est pas dégagé de l'emprise de Toulouse-Lautrec, non plus que de celle de Degas. Bien au contraire, il a outré encore le pessimisme de ce dernier. Des filles, il n'a voulu voir que l'effroyable laideur. Son coloris ne sort guère des noirs et des bleus ; il semble n'apercevoir que le côté tuméfié des visages et des corps. C'est une sorte de Léon Bloy de la peinture.
Mais qu'un artiste, combinant l'effet juste de la lumière avec la plus grande hauteur des tons vienne; qu'il réunisse à la vérité du coloris la richesse; qu'il fasse, dans une orchestration superbe, éclater les contrastes et réalise en même temps l'harmonie la plus savoureuse, et ce sera Cézanne. Nul plus que lui n'a patiemment étudié la modulation du ton. Peindre une simple pomme est devenu l'exercice le plus raffiné.
L'impressionnisme a commencé cette conquête et dans le domaine de la couleur, il l'a certainement réalisée. Là est la grandeur de Claude Monet. Car il ne s'est pas contenté d'harmoniser des tons, d'employer une palette quasi féerique, il a aussi donné l'impression du vrai. Rien n'est plus saisissant de vérité que l'harmonieuse ronde des heures autour de la cathédrale de Rouen ; Claude Monet nous a découvert clairement ce que les peintres n'avaient jusqu'alors senti que confusément. Bénéfice incomparable, s'il était permis de suivre son exemple, s'il était possible de trouver dans un musée d'État la magnifique leçon donnée par la série des Cathédrales. Car l'important eût été de posséder la suite entière et non quelques œuvres isolées.
On a souvent erré au sujet de ce moyen. Des artistes fort honorables ont même cru pouvoir le bannir sous prétexte que le trait n'existait pas dans la nature. Incroyable inconséquence !
C'est précisément parce que le trait n'existe pas dans la nature qu'il est le moyen le plus véritablement humain qui nous soit donné pour traduire les formes. C'est notre langage propre, et celui que comprennent d'instinct tous les hommes. C'est par le trait que nos ancêtres ont commencé à dessiner. C'est par lui qu'un enfant s'exprime d'abord. Où il devient inutile, c'est lorsque le modelé arrive à sa perfection par les seules différences de valeurs.
Le Nain, c'est surtout par ses dessins d'une certitude expressive incomparable, qu'il retient l'attention. Dès qu'il trace un trait sur le papier, il en fait une chose extraordinairement vivante. Chaque coup de crayon chez lui est significatif: les yeux clairs de ses Vendéens ont une acuité incroyable. Peu de maîtres français ont possédé une aussi grande faculté expressive. En ce sens, il va bien plus loin que Legros, et il rejoint nos vieux crayonneurs des XVe et XVIe siècles.
POÉSIE 16e – La Naissance du sonnet en France (Chaîne Nationale, 1959)
Un extrait de l’émission « Heure de Culture française », par Tristan Klingsor, diffusée le 10 juillet 1959 sur la Chaîne Nationale. Lecture : Renée Garcia et Bernard Dhéran.
Mise en ligne par Arthur Yasmine, poète vivant, dans l’unique objet de perpétuer la Poésie française.