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EAN : 9782020225946
295 pages
Seuil (12/05/1993)
3.55/5   10 notes
Résumé :
Dans la Prague des années quatre-vingt, un écrivain célèbre tombé en disgrâce abandonne temporairement l'essai qu'il rédige sur Kafka. Tous les matins, à six heures, il endosse la veste orange des balayeurs et, en compagnie de son équipe, arpente les rues de la ville.

Ponctuées par le rythme régulier du balai, les pensées se succèdent. Et la quête des ordures quotidiennes fait place à une exploration du passé - souvenirs déchirants du camp de Terezin ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Dans ce livre au titre surprenant, Ivan Klima convoque très souvent Kafka.
Le héros d'« Amour et ordures » est un célèbre écrivain qui a dû laisser momentanément de côté un essai qu'il rédigeait sur Franz Kafka. Ivan Klima est tombé en disgrâce par le régime politique en place, et il se retrouve balayeur. Il arpente les rues de Prague en cherchant ses souvenirs, tout comme les déchets. Ponctuées par le rythme du balai, ses pensées explorent le passé : souvenirs douloureux du camp de Terezín, où il fut déporté enfant, et méditations sur la littérature de Kafka.
Ce héros est aussi un homme qui est déchiré entre deux femmes et qui est dans l'impossibilité de faire un choix.
En fait, on peut dire que ce balayage est un balayage d'étude !

Quand on connaît un peu l'histoire d'Ivan Klima, on comprend que ce roman est très autobiographique. La dictature du prolétariat est instaurée dans la Tchécoslovaquie sous la tutelle de Moscou en 1948, et les textes qu'il écrit se heurtent à la censure omniprésente.
Pendant vingt ans, il n'a pas le droit de publier. « J'ai continué à écrire tout au long des années où pas une ligne signée de moi ne pouvait paraître chez nous, où des gens que j'avais connus naguère m'évitaient, craignant qu'une rencontre avec moi ne porte atteinte à leur respectabilité. J'écrivais avec obstination, mais parfois j'étais accablé par le poids de l'abandon dans lequel je vivais. »
Ce n'est qu'à partir de la Révolution de Velours de 1989, après la chute du régime communiste, que ses oeuvres écrites ont enfin pu être diffusées.

Ne pouvant alors exercer sa profession d'écrivain, il a eu toutes sortes de métiers de courte durée, et, comme le héros de son roman, il a été balayeur pendant quelques jours. Tant qu'à faire, il s'est dit que ce type de travail lui permettrait au moins de pouvoir penser et écrire.
Son thème principal est le problème amoureux du héros qui est déchiré entre sa femme et sa maîtresse, ce qui est une affaire tellement banale, qu'il a voulu à travers cette histoire dire quelque chose sur notre monde contemporain, et c'est là qu'il a eu l'idée que les ordures étaient une métaphore pour notre civilisation. « Tous les objets du monde ne suffisent pas à combler le vide de l'âme ». Parce qu'avec cette civilisation qui fabrique toutes sortes de choses, et donc énormément d'ordures, se pose le problème de comment ensuite s'en débarrasser, de savoir quoi faire de ces ordures matérielles. Mais il y a aussi la production d'ordures de l'esprit, d'ordures spirituelles… alors lorsqu'il a eu cette idée, il s'est demandé comment faire rentrer cette métaphore dans son roman, et justement il a trouvé ce moyen d'interpréter cette idée par le truchement du balayeur.

Ce balayeur, cet homme à la veste orange, est un écrivain très actif et observateur.
Cette manière de se promener dans les rues, d'accompagner cette équipe de balayeurs, qui sont comme lui, tous plus ou moins des marginaux, c'est l'occasion de faire remonter et revivre les souvenirs, et on a le sentiment en lisant ce livre, que c'est un peu un collage.
Pour Klima, un auteur doit prendre plaisir à écrire un livre. Il doit trouver quelque chose de nouveau, et justement cette méthode du collage l'a beaucoup passionné.
Ainsi, le narrateur ne choisit pas l'ordre de ses souvenirs. Ses souvenirs d'enfance avec ses parents, ses rencontres amoureuses, avec celle qu'il épousera et lui donnera deux enfants, sa rencontre avec une artiste-sculptrice qui va devenir sa maîtresse, ses souvenirs de Terezín, et l'élément déclencheur qui l'a motivé tout à coup à devenir écrivain, alors qu'il était très malade dans ce camp de concentration.

Souvent Klima parle de sa condition d'écrivain et s'interroge sur la raison de l'acte d'écrire. Et il prend pour exemple Kafka : « En écrivant, Kafka non seulement échappait à ses tourments, mais trouvait la force de vivre ».
« Il ne fait aucun doute que Franz Kafka a été un des écrivains les plus remarquables qui aient vécu et créé en Bohème. Il maudissait Prague (…) mais il ne se décidait pas à s'en arracher. Elle l'a imprégné de la multiplicité de ses voix, de sa mélancolie, de son crépuscule, de sa faiblesse ». Comme Kafka, Ivan Klima se sent angoissé. Il est épuisé par ses indécisions. Il est constamment dans l'introspection. Il est miné par ses perpétuelles sautes d'humeur. Comment être à la fois un écrivain et un amant honnête ? Ecartelé qu'il est entre sa passion pour sa maîtresse Daria qui représente le feu et les excès, et sa femme Lida, qui elle, est toute en tendresse, en attention et en protection.
Tous ses souvenirs intimes, ses réflexions profondes, et l'actualité politique se mêlent et s'entremêlent, et donnent une image du monde tel qu'il était alors dans les années 80 en Tchécoslovaquie.

Ivan Klima a expliqué que les histoires, les sorts de ces balayeurs, et des autres personnages de ce roman, sont en grande partie inventés, pour que le livre soit intéressant. Pour lui, ce n'était pas une nécessité au sens social d'écrire ce roman présentant des marginaux, mais nombre de ses collègues écrivains, comédiens, et artistes, ont dû faire aussi de tels métiers (à cause du régime politique en place qui leur imposait) et donc Ivan Klima a voulu raconter l'histoire d'un intellectuel de cette période qui est en fait une histoire tout à fait exemplaire et typique, et lorsqu'il a balayé des rues où habitaient des diplomates, et qu'on l'a vu dans sa veste orange passer dans la rue, une dame qui passait, s'est écriée « Voilà, il y a un écrivain, là, qui est entrain de balayer ». Il a expliqué que c'était pour écrire un roman, pour qu'on ne raconte pas qu'il était devenu une victime de la situation, qu'il était vraiment obligé de faire le balayeur.

Klima est un auteur sensible aux problèmes des simples gens. Depuis sa jeunesse, il manifeste une grande admiration pour l'oeuvre de Karel Čapek, qui exerce une influence majeure sur sa propre oeuvre. Comme Čapek, Ivan Klima montre une grande compréhension pour les problèmes quotidiens des gens ordinaires, héros de ses contes et romans. Parmi les grands thèmes de ses oeuvres, il y a aussi le conflit entre la foi fanatique et la connaissance, et la recherche difficile de la vérité et du sens de la vie.
Ivan Klima a 90 ans cette année, en 2022. Il a été souvent comparé à Milan Kundera (qui aura 93 ans au mois d'avril prochain), étant donné des similitudes entre leurs oeuvres, en particulier parce que leurs héros sont souvent coupables d'adultère.

Aujourd'hui encore, Klima n'est pas prêt d'oublier l'ivresse retrouvée et le sentiment de gratitude profonde envers les soldats russes qui ont libéré le camp de Terezín, où il avait passé trois ans et demi avec sa mère.
Cette ivresse est d'ailleurs une des sources de l'illusion dangereuse que le salut pourrait venir de l'Est, et que le monde déchiré par la guerre pourrait être régénéré par l'idéologie communiste. Fils d'un scientifique communiste, pendant un temps il partage aussi cette illusion.
Il l'explique par le manque d'informations et le fait que la guerre ait obligé les gens à simplifier les choses, à diviser le monde en deux catégories -les forces du bien et -les forces du mal : « Il fallait donc vivre l'expérience du communisme et au bout de quelques années tous les gens raisonnables ont fini par comprendre qu'il s'agissait d'une supercherie monumentale. »

Ivan Klima voit aujourd'hui d'un oeil critique le siècle dans lequel nous vivons. Il le qualifie de « siècle pressé » et suit avec inquiétude la vitesse vertigineuse avec laquelle nous nous précipitons tous vers un avenir incertain. Sa longue vie lui a appris qu'il faut avoir de la patience, qu'il faut réfléchir avant d'agir, qu'il faut se méfier des idées reçues, qu'il faut parfois aller à contre-courant et ne pas céder au conformisme qui est une faiblesse. « L'humanité a vieilli mais n'est pas devenue sage, ou elle a dépassé l'âge de la sagesse pour entrer dans celui de la folie. »
La critique a loué ce livre largement autobiographique, « Amour et ordures », comme le roman le plus important sur la Tchécoslovaquie de l'avant Vaclav Havel.
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Etrange roman tchèque, écrit dans les années précédant le "printemps de Prague"(1967/68) : le narrateur passe sans arrêt du coq à l'âne, c'est-à-dire d'un sujet à un autre, d'une époque à une autre, d'une conversation à une autre ; la lecture demande donc une bonne attention (ce n'est pas un défaut !)
Le principal sujet semble être surtout ses relations avec son amante ; ce chassé-croisé entre ses deux femmes est très mal vécu par le narrateur, comme d'ailleurs par sa maîtresse : il est ressenti douloureusement, de manière obsessionnelle, comme une faute - même lorsqu'il se réfère (se réfugie) à l'histoire amoureuse de Kafka qui lui n'a pas réussi à s'engager. Un narrateur qui m'apparaît être d'une grande faiblesse morale, alors qu'il a vécu les camps nazis et l'exil intérieur communiste. Ce ressassement me laisse dubitatif, tant ce narrateur me semble lié malgré tout par un jugement d'ordre social et semble incapable d'accéder à une autonomie morale, à une liberté individuelle.
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Monsieur quitte un emploi très comme il faut aux Etats-Unis pour prendre un poste d'éboueur dans sa ville natale sous l'emprise du régime communiste, Prague. Etrange décision se disent ses collègues. C'est qu'ils n'ont pas compris le sens de l'existence et qu'ils sont, comme tous les autres, étouffés par le jerk. Eux aussi, sans doute, pensent remplir le vide de leur âme par des choses et des objets qui, de toute façon, finiront à la décharge. Non, pas du tout, au vide de l'âme, à la solitude, l'humain, qui lui non plus ne résiste pas à la transformation en déchet imposée par le jerk, ne répond que par ce qui ne se change pas en ordure : l'amour. C'est très beau.
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
« Kafka s’est efforcé d’être vrai dans son écriture, dans sa profession et dans son amour. […]
Il ne pouvait être en même temps un véritable écrivain et un véritable amant ou, qui plus est, un époux, même s’il le souhaitait ardemment. Pendant de brefs moments, il se laissait aller à l’illusion répétée qu’il pourrait atteindre à l’un et l’autre état et c’est alors qu’il écrivit la plupart de ses œuvres. Mais à chaque fois, redécouvrant la vérité, il demeurait comme paralysé, immobilisé dans la souffrance. Alors, soit il abandonnait son manuscrit pour ne plus y revenir, soit il rompait tous ses engagements en demandant aux femmes qu’il aimait de lui pardonner. »
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Jamais je n'ai été si proche de personne, jamais je n'ai connu un être capable de m'être si proche, capable de tant de passion, de tant d'intensité. Peut-êtra avons-nous toute notre vie emmagasiné des forces pour ce temps-ci, pour cette rencontre, c'est vers elle que nous tendions dans nos rêves, vers cette minuscule chambre, vers cet espace maritime où se confondent l'eau, le sable et le ciel, où le temps s'écoule avec une silencieuse pureté...
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Nous ne pouvons nous emparer de la vie d’autrui et, même si c’était possible, nous ne trouverions pas de nouvelle histoire. Le monde compte près de cinq milliards d’êtres humains et chacun croit que de sa vie on pourrait tirer au moins une histoire. C’est une idée qui donne le vertige. S’il naissait - ou plutôt s’il l’on fabriquait - un scribe assez fou pour enregistrer cinq milliards d’histoires et biffer ensuite tout ce qu’elles auraient en commun, que resterait-il ? A peine une phrase par destin, un instant comme une goutte dans la mer, l’expérience unique d’une angoisse ou d’une rencontre, un moment de vision ou de douleur à mais qui pourrait reconnaître cette goutte du dehors, la séparer du déferlement de la mer ? Et il faudrait encore inventer de nouvelles histoires ? 
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A un tournant du sentier, je vis apparaître un aide-infir-mier qui poussait un chariot métallique, ce plumier de métal dans lequel on range les morts. Moi aussi, j'avais poussé ce chariot. Je m'écartai de son chemin, mais j'étais obsédé par l'idée qu'il se dirigeait vers le tas d'ordures pour y vider son chargement.
Je retournai au pont de bois.
Tout en bas, le train arrivait à grand fracas, le chapeau se souleva, puis flotta de-ci de-là dans les nuages de fumée.
Papa se mit à rire et je fus soulagé. Nous étions totalement proches, un bref instant de communion qui se dressait au-dessus de nos vies, que rien n'avait effacé ou sali pendant toutes ces années.
Papa se pencha dans les profondeurs, y repêcha le chapeau noirci de suie. Il n'hésita pas à le coiffer, me refit un signe et s'éloigna lentement; il partit en riant.
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Pourquoi vivre ? Que pouvais-je lui répondre ? Nous vivons parce que telle est la loi de l’espèce, nous vivons pour transmettre un message dont le sens nous échappe - tant il est incommunicable et mystérieux.
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Ivan Klima à propos de "Amours et ordures"
Interview de l'écrivain tchèqueIvan KLIMA à propos de son roman "Amours et ordures".
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