Quand un contrebandier chargé de tabac, d'alcool et de portraits polissons, un pasteur convaincu d'être guidé par le Seigneur vers l'Eden primitif et un médecin s'efforçant de prouver l'inégalité des races montent dans un bateau, qu'obtient-on? Rien de moins qu'un roman étourdissant, qui mène son lecteur par le bout du nez jusqu'à sa fin logique et pourtant inattendue.
Tandis que la "Sincérité" vogue toutes voiles dehors vers la Tasmanie, Peevay, l'aborigène blond, raconte sa vie dans le bush, puis la disparition inéluctable de son peuple, massacré, déporté, malade.
Bien sûr, l'aborigène, le médecin, le contrebandier et le pasteur finiront par se rencontrer. Chacun prend la parole à tour de rôle, ainsi qu'une bonne douzaine de comparses, tueur de phoque, gouverneur, dévote, l'un puis l'autre apportant sa pièce au puzzle, enfermé dans ses considérations personnelles et convaincu de sa bonne foi. Outre le tour de force stylistique, et la montée du suspens, le procédé rend sensibles les certitudes fanatiques des uns et des autres. Seul le lecteur a -croit-il- une vue d'ensemble, jusqu'à ce que les toutes dernières pages lui laissent un goût amer en bouche.
Souvent hilarant, toujours captivant, maîtrisé de bout en bout, ce page turner moraliste a l'élégance de nous faire réfléchir sans oublier de nous faire jubiler.
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Ce roman hilarant met en scène une invraisemblable compagnie partie, au beau milieu du XXe siècle pour la Tasmanie sur un rafiot affrété par un contrebandier mannois fuyant la justice britannique. A la recherche des lieux renseignés dans le texte biblique qu'un invraisemblable raisonnement lui fait situer aux antipodes, un pasteur déséquilibré emmène le groupe sans savoir que chacun des personnages poursuit en fait ses propres objectifs. Les dialogues sont drôles, les situations cocasses et les réflexions des protagonistes, tout empreintes de morale victorienne, en complet décalage par rapport à leurs comportements.
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Voici un remarquable roman polyphonique (une vingtaine de voix) dans lequel l'auteur, en combinant un humour décapant et une érudition sans faille, raconte une épopée maritime haute en couleur, l'histoire de la colonisation de la Terre de van Diemen (bientôt rebaptisée Tasmanie), les méthodes d'évangélisation ayant cours au 19e siècle, la destruction quasi-totale des populations aborigènes, l'enfer des colonies pénitentiaires et l'émergence des théories sur la supériorité raciale supposée des Blancs.
Pas étonnant qu'un livre aussi passionnant qu'ingénieusement construit, qui réussit le pari d'être à la fois un récit d'aventures (à la mode d'antan) et une réflexion morale (sans avoir l'air d'y toucher), ait récolté autant de distinctions littéraires en Angleterre et à l'étranger.
Très chaleureusement recommandé !
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Vraiment, c’était un drôle de mystère qu’ils avaient jamais pu tuer tous les miens pour voler le monde, et même pourquoi ils avaient voulu le prendre, puisque c’était pas un endroit qu’ils pouvaient supporter. Ils pouvaient même pas vivre là tout seuls mais devaient transporter ici et là des morceaux de la ville de Hobart avec eux. Chaque soir les muletiers montaient les tentes pour dormir dessous, malgré qu’on était en été maintenant et qu’il faisait chaud. Ils avaient des tables et des chaises pour s’asseoir, des tasses pour boire du cognac, et les muletiers allumaient de grands feux pour faire cuire dessus leur nourriture d’hommes blancs qui venait de boîtes de conserve, de la viande gluante et salée aussi répugnante que d’habitude. Les nôtres ne portaient jamais que des brandons, les étuis de nos morts chéris pour porter bonheur et des histoires à raconter. On pouvait trouver ou fabriquer tout le reste en chemin. Mais qui était le chef maintenant ? Pas moi, le seul Palawa, mais eux, qui savaient rien. Ils avaient des fusils et étaient nombreux, alors que moi j’étais seulement un serviteur. Et ils riaient quand je vivais comme on doit le faire, dormant près du feu, sous les étoiles que je connaissais et trouvant la bonne nourriture, les racines, le gibier, etc…
En vérité, ils sont devenus encore plus haineux maintenant qu’on était tout seuls dans le monde, loin des autres hommes.
Il s'agissait en fait d'une existence d'isolement perpétuel. Après quelques semaines de ce régime, une séance de fouet pourrait même être accueillie comme un chaleureux contact humain.
Une Pure Affaire, film (2011) réalisé par Alexandre Coffre et avec François Damiens, Pascale Arbillot, Laurent Lafitte, Gilles Cohen, Didier Flamand. Le scénario est adapté de la nouvelle Powder de Matthew Kneale. Primé au 14ème Festival International du Film de Comédie de l’Alpe d’Huez.