C'est d'une plume de journaliste,
Phillip Knightley, associée à celle de
Colin Simpson, que jaillit cet ouvrage : The secret lives of Lawrence of Arabia. Une plongée dans les archives de la Bodleian Library d'Oxford ; celles du War Office, du Foreign Office, du Colonial Office et de l'India Office ont été mises à contribution, ainsi que celles de la Royal Air Force, et leur exploitation a permis la rédaction de cette biographie de
T.E. Lawrence (1888-1935), menée comme une enquête avec appel à témoins : on peut dire que John Bruce qui fit des révélations fracassantes sur l'habitude prise par Lawrence de se faire battre à coups de fouet selon un rituel de punition qui aurait été ordonné par un membre imaginaire de la branche paternelle de sa famille, montra la facette la plus sombre de la personnalité de Thomas Edward (on fit un peu après le lien avec les corrections administrées par sa mère, Sarah, pendant son enfance, comme si Lawrence avait voulu revivre ces moments à l'âge adulte) ; l'intérêt du livre tient aussi aux recherches entreprises pour retrouver la trace du gouverneur de Deraa en 1917 et qui conduisirent les auteurs sur la piste de Hacim Muhittin Bey, malheureusement mort en 1965 ; Knightley et Simpson firent la preuve que la personnalité du gouverneur décrite dans la scène de sévices corporels dont Lawrence aurait été la victime, si l'on suit le récit qu'il en fait dans
les Sept Piliers de la Sagesse, son oeuvre maîtresse, ne correspond pas à ce que nous savons de Hacim Muhittin Bey, qui était plutôt un hétérosexuel connu pour ses tendances et non l'homosexuel décrit par Thomas Edward.
Les hypothèses, depuis vont bon train, et l'on peut dire que Knightley et Simpson ont touché là un point sensible de la biographie de Lawrence.
Il y a aussi la question des rapports de Lawrence avec les Arabes et de la sincérité ou non de son combat en faveur des Hachémites, révoltés contre les Turcs en 1916 et devenus par ce geste des amis des Alliés et des ennemis des empires centraux, de l'Allemagne et de son alliée la Turquie. Ces amis arabes furent trompés par les Anglais et les Français, qui s'entendaient en réalité, secrètement, pour se partager les dépouilles de l'Empire ottoman et notamment plusieurs provinces arabes toutes comprises dans cet empire, hormis la péninsule arabique promise à l'indépendance (ces accords franco-britanniques portent le nom des négociateurs, sir Mark Sykes et François Georges-Picot). L'interrogation porte ici sur l'honnêteté personnelle de Lawrence, qui se serait fait un garant de celle des Anglais dans leurs relations avec les Arabes. On ne savait pas tout à ce sujet quand Knightley et Simpson s'en saisirent, et l'on pouvait alors soit trouver toutes les excuses à Lawrence ou au contraire le regarder comme un menteur sur commande et consentant. Aujourd'hui, après enquête (voir les travaux de
Jeremy Wilson, et ma propre biographie de Lawrence), on s'aperçoit qu'il faut être extrêmement nuancé, d'autant que Lawrence espérait inverser la tendance en faveur des Arabes sur le terrain en Syrie face aux ambitions françaises (car il n'y avait pas d'enjeu pour la Grande-Bretagne sur cette zone) et qu'en Mésopotamie (autrement dit en Irak), il était plutôt ambigu voire complice d'une solution peu avantageuse pour les autochtones et utile seulement aux intérêts britanniques (et en tout cas dangereuse pour la famille hachémite car c'était l'exposer au mécontentement des Irakiens).
L'ouvrage de Knightley et de Simpson permit d'orienter la recherche sur des pistes ciblées.
Francois Sarindar, auteur de :
Lawrence d'Arabie. Thomas Edward, cet inconnu (2010)