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Outre le fait que depuis que je suis gamine j'adore le film de Kubrick avec l'indestructible Kirk Douglas, Spartacus est une figure historique qui, par ce qu'il symbolise, fait vibrer mon petit coeur d'éternelle gauchiste. Dès le 18ème siècle, il est utilisé comme référence politique progressiste. Ainsi, il devint le symbole de la lutte en faveur de l'abolition de l'esclavage. On peut citer Lamartine qui, dans une pièce de théâtre, compare Toussaint Louverture à Spartacus. Par la suite, il incarnera la figure de l'exploité qui se révolte contre le puissant, son combat devenant celui du prolétariat face au capitalisme. Ce n'est pas pour rien que Rosa Luxembourg et ses amis ont choisi d'appeler leur mouvement la ligue spartakiste.

Le roman de Koestler s'inscrit dans cette veine politique. Il ne s'agit pas ici de raconter la vie de Spartacus comme s'il s'agissait simplement d'une figure historique ayant eu une vie mouvementée et romanesque. Koestler propose ici d'avantage le récit de l'échec d'une révolution qu'un simple récit biographique. D'ailleurs, son roman démarre alors que les 70 gladiateurs viennent de s'échapper. La jeunesse et la capture de Spartacus n'intéressent pas l'auteur. Koestler est avant tout un intellectuel engagé qui n'a cessé de questionner le monde et de questionner ses propres convictions. Très tôt, il a eu une conscience sociale aigue, qu'il a toujours tenté de mettre en pratique. Il est un penseur qui agit. A 21 ans il participera même à une expérience collectiviste d'un kibboutz en Palestine où il travaille en tant qu'ouvrier agricole. Revenu en Europe, il adhère au Parti communiste allemand en 31. En premier lieu car il en voit en cette idéologie une opposition au nazisme qui commence à prendre de l'ampleur et également car il est sensible au modèle égalitaire promis. Très vite, il va de désillusions en désillusion, la déception culminant en 35 au moment où commencent les procès de Moscou. C'est à cette époque qu'il commence la rédaction de « Spartacus ». La révolte tragique du gladiateur lui offre le point de départ idéal pour s'interroger sur la façon dont se déroule une révolution, comment, inévitablement, confrontée à la réalité elle se dénature jusqu'à se trahir elle-même. Koestler n'achèvera son roman qu'en 1938 (entre-temps il a été prisonnier des franquistes lors de la guerre d'Espagne qu'il couvrait en tant que journaliste) après avoir quitté le Parti communiste. S'il y a donc un sens évident à lire « Spartacus » en faisant le lien avec la vie et les engagements de son auteur, le roman se suffit à lui-même et peut se lire sans cet éclairage.
En effet, il n'est nul besoin de connaitre les détails de la vie de l'auteur pour apprécier les réflexions du roman. le texte parle de lui-même e a une portée universelle et intemporelle. A travers la révolte de Spartacus, c'est toutes les révolutions que Koestler évoque, pas seulement celles qu'il a vu. « Spartacus » est une lecture stimulante, intelligente. le lecteur réfléchit, se pose des questions, longtemps après avoir fini le livre.

Si Koestler fait appel à l'intelligence de son lecteur, il n'en oublie pas pour autant son coeur. « Spartacus » n'est pas un roman désincarné. le récit est parcouru de moments d'émotion. Mais l'auteur ne cherche jamais les émotions faciles. Il ne va donc pas jouer sur un registre romantique exalté. A ce titre, la fin du roman est remarquable ; L'émotion que Koestler distille au cours de son récit est plus subtile. Ce qui marque le plus, c'est le ton désespéré du roman. L'auteur est tellement désabusé, tellement déçu qu'il semble nous dire que toute révolution est vouée à l'échec. Cette absence d'espoir est bouleversante. Mais si je comprends le pessimisme de l'auteur vu son parcours, je n'ai pas envie de le partager. Peut-être, sans doute Koestler a-t-il raison, mais je me refuse à admettre cette idée. S'il n'y a plus d'espérance, il n'y a plus rien. Et d'une certaine façon, rien que cette espérance qui ne s'éteint pas totalement, c'est une victoire.

Au-delà de son fond très politique « Spartacus » se lit très facilement. le récit est très bien mené et est passionnant de bout en bout. La plume de koestler est fluide et agréable.
Cette lecture m'a donné envie de revoir le film de Kubrick (dont je ne me souviens quasiment plus de rien) et surtout de lire le « Spartacus » de Howard Fast dont il est l'adaptation. Howard Fast, encore un autre homme engagé au destin singulier (membre du parti communiste américain, il sera inscrit sur les fameuses listes noires de la commission des activités anti-américaines lors du Maccarthysme).
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Quand on a pour objectif de lire un péplum, on réfléchit d'abord à ceux qui nous viennent immédiatement à l'esprit. Mon amour pour les Nobels me guidait naturellement vers le Quo Vadis de Sienkiewicz, grand best-seller à son époque… sauf que je l'avais déjà lu et que je n'aime pas trop me répéter dans mes lectures, il ya tant à découvrir. Une figure s'imposa rapidement : Spartacus, le gladiateur révolté. La couverture du roman parla bien à ma mémoire qui gardait en elle quelques images de l'adaptation cinématographique avec Kirk Douglas : des combats avec filet, fourche, bouclier et tout l'attirail.

Je n'ai sans doute pas pu aller plus loin que ces quelques images étant enfant, la violence de ce genre de film ayant dû m'interdire une vision en intégralité, même si la vigilance parentale était plus lâche à mon époque. D'où ma surprise à la lecture du livre de Koestler ! Aucun combat entre les différents gladiateurs ici, mais bien la fuite face à la violence et le fait de s'entretuer que le public avide de sang leur imposait.

J'ironise bien sûr, cette fuite est épique et cette liberté n'est gagné qu'au prix de combats successifs face à l'oppresseur politique et militaire, mais il s'agit de combats militaires, de batailles rangées, pas de spectacles. Les affrontements successifs sont parfois assez répétitifs et lassants, mais le message adressé est de plus en plus clair. Koestler est un ancien militant communiste, né à Budapest. Il quitte le parti en 1938 à la suite des procès de Moscou et en opposition avec le stalinisme. Spartacus est publié en 1939…

Comment ne pas donc voir dans cette belle idée de départ de la lutte des esclaves qui finit par se transformer en tyrannie une transposition trait pour trait de la trajectoire de l'idéologie marxiste et de sa réalisation concrète manquée dans le communisme russe ? le message parait évident… mais n'est-ce pas aussi l'histoire qui pousse à ce parallèle, dans son éternel recommencement ? Car l'histoire de Spartacus et de sa révolte n'est pas une fiction. La guerre servile qu'il a mené contribuera à fragiliser une république romaine remplie d'injustice et d'inégalités…. et à faire tomber le peuple dans les bras de l'Empire. Et comment ne pas y voir aussi un parallèle avec cette Révolution Française qui accouche d'une première république dans le sang…. pour se réfugier elle aussi dans les mains de l'empereur pour le retour à un ordre rassurant ?

Cette lecture date de plusieurs mois et mes impressions sont donc trop floues pour constituer une critique cohérente. Au-delà de certaines lenteurs du récit, ce roman m'aura plongé dans des réflexions politiques et historiques bien plus profondes que celles que je m'attendais à trouver dans un péplum. Comme pour tous les genres littéraires, il est dangereux de généraliser, les plus grands représentants de chaque genre le sont souvent devenus parce qu'ils savaient apporter plus que les autres, refléter à travers eux bien plus loin que le sable des arènes et le sang des combattants.
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« Nous vivons au siècle des révolutions avortées » c'est le constat d'un avocat romain au 1er siècle avant JC. L'empire romain connaît alors une grande période de désordre politique, économique et social. C'est dans ce climat troublé que Spartacus va entraîner avec lui gladiateurs et esclaves dans une révolte qui aura fait trembler Rome.
Cependant le Spartacus d'Arthur Koestler n'est pas un banal roman historique bourré d'actions et d'aventure. Il se veut plutôt une analyse et une réflexion sur le processus de la révolution, son mécanisme et tente d'expliquer pourquoi toute révolte semble être vouée à l'échec.
Bien entendu, le soulèvement opéré par Spartacus est pour Koestler un exemple de base autour duquel il construit son argumentation mais le propos s'applique de façon plus générale. S'agissant de Koestler, on pense notamment au cas de la Russie d'autant plus que Koestler profite de la légende de la Cité du soleil pour aborder le sujet du communisme et de son utopique mise en oeuvre.

La démonstration est menée avec habileté. Arthur Koestler met d'abord en scène un simple fonctionnaire de l'Etat romain, un greffier de province ambitieux qui cherche les honneurs et à gravir les échelons après de nombreuses années de bons et loyaux services. Il se fait témoin extérieur des évènements mais pourtant constitue à lui seul l'exemple même du citoyen moyen condamné à la médiocrité. Par le cas de ce greffier, Koestler permet une généralisation du type même du candidat à la révolte mais qui se résigne à son état.

« Car, aux débuts du monde, les dieux ont privé les hommes de la joie sereine et leur ont enseigné qu'ils devaient obéir aux interdictions et renoncer à leurs désirs. Et ce don de la résignation, qui rend l'homme différent des autres créatures, est si bien devenu chez lui une deuxième nature qu'il en use comme d'une arme contre ses semblables, d'un moyen infaillible d'oppression.
La nécessité de se résigner, de renoncer s'est, depuis les origines, si profondément ancrée dans les hommes qu'ils ne tiennent plus pour noble que l'enthousiasme de l'abnégation. Peut-être ainsi expliquera-t-on que l'humanité s'ouvre tous les jours à l'enthousiasme qui puise ses sucs dans la mort et qu'elle reste sourde à l'enthousiasme de la vie. »

Spartacus, lui, ne se résigne pas et veut recouvrer sa liberté, il refuse que sa vie soit vouée à servir de divertissement aux « maîtres romains ». Il rejette sa condition d'homme asservi courbant l'échine. Dans un premier temps, nombreux sont ceux qui le suivent. Puis la désillusion et le découragement plus que les tentatives de matage des forces romaines ont raison du mouvement. Nombreux le désertent et retournent chez leurs anciens maîtres.
Pourquoi la révolte s'essouffle-t-elle et se saborde-t-elle elle-même ?

« Il y a deux forces agissantes : le désir de changement et la volonté de conservation. Celui qui part reste attaché par les liens du souvenir, celui qui reste s'abandonne à la nostalgie. de tout temps les hommes se sont assis sur des ruines et ont gémi … »

Koestler pointe alors du doigt la frilosité de l'homme face à l'incertitude du changement. Par sa nature, il préfère un état qui lui est défavorable mais qu'il connaît à une possible meilleure situation dont il ignore tous les tenants et toutes les difficultés qu'il lui faudra affronter pour y parvenir. On sait ce qu'on perd mais on ne sait pas ce qu'on trouve.
Autre raison invoquée par l'auteur : l'étroitesse de la conception que se fait la masse de la liberté :

« Pour l'homme moderne, la liberté ne signifie qu'une chose : ne plus être obligé de travailler. »

Et Koestler d'expliquer par la bouche de Crassus comment Spartacus aurait du s'y prendre. A cette occasion le discours de Crassus n'est d'ailleurs pas sans rappeler les valeurs stakhanovistes prônées sous le régime stalinien :

« Si réellement vous aviez voulu des solutions sérieuses, vous auriez dû prêcher une nouvelle religion élevant le travail au rang d'un culte. Vous auriez proclamé que la sueur du travailleur était un liquide sacré ; que c'est uniquement dans le labeur et la souffrance, dans le maniement de la pelle, du pic ou des rames que s'affirme la noblesse de l'homme, tandis que la douce oisiveté et la contemplation philosophique sont méprisables et condamnables. »

Bref, Arthur Koestler analyse de nombreux éléments, s'arrête aussi sur l'importance du meneur de la révolte, sur son attitude et la mentalité qu'il se doit d'avoir. Il retrace le schéma type du déroulement d'une révolte incluant les querelles de partis au sein du mouvement, la scission etc… Il fait intervenir de nombreux protagonistes d'horizons différents : l'homme de religion, le philosophe, le militaire, le simple citoyen, le magistrat... le contexte politique, économique et social est minutieusement étudié. Koestler prend d'ailleurs la peine d'écrire une postface dans laquelle il raconte la genèse du roman, son contexte d'écriture et dans laquelle il souligne l'importance qu'il a accordé à la rigueur historique dans tous les détails ( jusqu'aux descriptions vestimentaires).

Spartacus est à l'image du Zéro et l'infini, un roman d'une grande richesse où la réflexion et l'interrogation est constante. Toutefois, j'ai trouvé la première moitié assez longuette et parfois maladroite au niveau du style ( ou de la traduction ?) mais la deuxième moitié redresse la barre et compense largement tant elle pousse au questionnement. le sujet m'intéressant particulièrement, je ne vous cache pas qu'encore une fois je suis comblée par ma lecture.

Arthur Koestler est décidément un auteur qui me plaît de plus en plus. J'ai repéré à la bibliothèque La lie de la terre ( roman autobiographique dans laquelle il relate son expérience du camp) mais aussi une biographie d'Arthur Koestler par Michel Laval, je vais donc m'empresser de les emprunter !



Lien : http://booksandfruits.over-b..
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Spartacus, où pourquoi les révolutions n'ont aucune chance d'aboutir.

Pourtant, au début de cette histoire, on pourrait y croire (on y croit toujours au début, me direz-vous) : face à un pouvoir romain déliquescent, ce sont plus de cent mille hommes, esclaves qui s'affranchissent de leurs chaînes, fermiers, bergers et artisans qui se libèrent du joug économique qui les asservit pour suivre Spartacus, le gladiateur rebelle, et construire ensemble la cité du Soleil.
C'est compter sans les chaînes invisibles et profondes qui continuent de les asservir et les ramèneront dans les mains des puissances de l'argent auxquelles décidément, aujourd'hui comme hier, on ne la fait pas.

Un récit assez académique mais à la portée universelle où le soleil de l'espoir ne brille pas fort, et jamais longtemps.
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Sylla est mort depuis cinq ans. les temps heureux sont loin. le monde romain est plein de confusion.
Pourtant bientôt s'annonce la fête de Minerve et Lentulus Batuatus, le propriétaire de la plus grande école de gladiateurs de la ville, a l'honneur d'inviter le public capouan à une exhibition monstre dont le clou des combats sera la rencontre entre Crixus, champion des Gaules et Spartacus le Thrace aux bracelets.
Mais en compagnie de soixante-dix fugitifs dont Castus le gringalet, adroit et rusé comme une hyène, Ursus le géant, Oenomaüs un débutant prometteur, les deux hommes ont pris la fuite. D'abord se dirigeant vers la Lucanie, ils ont, devant l'aridité des terres et un butin moins facile, rebroussé chemin et pris la direction de la Campanie, grenier fertile convoité et arraché aux fermiers par les grands propriétaires aristocrates.
Spartacus va mener cette révolte, volant des armes et ralliant à sa cause, sur son passage, de plus en plus de combattants. Bientôt ils furent cent mille et firent trembler Rome.
Mais le rêve prend fin dans l'hésitation, le doute, la violence et la tragédie, dans une dernière bataille interminable....
Arthur Koestler , à la veille de la seconde guerre mondiale nous fait le récit de l'aventure d'un homme épris de liberté. Condamné à mort par les franquistes en Espagne, dissident du parti communiste allemand qu'il a quitté en 1931, Arthur Koestler est lui-même un homme d'idéal, un combattant engagé pour ses idées et il brandit la silhouette du géant roux vêtu d'une peau de bête pour réaffirmer son amour de la liberté.
Ce personnage,par son aventure et sa haute ambition de créer l'État du soleil, est devenu, grâce à ce livre, le symbole, dans notre monde contemporain, de la justice frappée à mort et de la liberté bafouée. L'on ne peut s'empêcher de voir, à la lecture de ce magnifique ouvrage, les yeux de son auteur se porter vers l'Est de l'Europe.
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Morituri te salutant

Lorsqu'il décida de se rebeller, Spartacus fit rapidement des ravages à Rome laissée dans un piteux état après la mort de Scylla. Les chefs romains, Crassus le premier, et le Sénat ayant des blessures intestines plus préoccupantes à panser ont toujours sous-estimé le gladiateur.

Mais, pire encore, ils ne l'ont pas compris. Pas plus que ne l'ont compris les nombreux peuples rebelles avides de vengeance envers Rome-l'orgueilleuse qui se sont joints peu à peu à la révolte montée par Spartacus.

Notre héros se retrouve donc bien malgré lui le chef de plus d'une centaine de milliers d'hommes, des barbares pour la plupart, dont la seule ambition est de faire chuter Rome.

Spartacus, le gladiateur qui demandait seulement à franchir les Alpes pour recouvrer son statut d'homme libre.



J'ai bien aimé ce roman.. On apprend donc quel homme était Spartacus ; à savoir un être humain n'aspirant qu'à la liberté. Il n'était pas plus intelligent que la moyenne. Non, d'ailleurs les décisions les plus importantes lui étaient souvent soufflées par sa femme. Il avait simplement un charisme naturel, ce qui faisait de lui un chef-né.
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A travers cette fresque historique relatant la révolte des esclaves menée dans les années 70 avant J.C. par deux gladiateurs du cirque Lentulus, Spartacus, le thrace, et Crixus, le gaulois, Arthur Koestler évoque une tentative remarquable de création d'une ville libre nommée " la cité du soleil", fonctionnant en marge de la société romaine de l'époque, mais aussi son impossibilité à tenir sur la durée et bien évidemment sur les conséquences de cet échec sur les populations concernées et sur les meneurs. Ces derniers, après la destruction de cette "cité du soleil", prirent alors des chemins différents.
Cette révolte avortée, à laquelle s'étaient joints les citoyens les plus pauvres de Rome, restera pourtant dans l'Histoire de l'Antiquité l'image d'une des premières secousses marquantes, par sa durée, son organisation et la personnalité de ses instigateurs, auxquelles le monde romain eut à faire face de l'intérieur. et qui révèlera la fragilité de cet empire.
Au delà de la narration de cet évènement historique, l'auteur incite le lecteur à une réflexion sur le véritable sens de la liberté et sur ses limites.
Un très beau livre.
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Arthur Koestler nous retrace ici l'histoire de Spartacus, le gladiateur thrace qui a provoqué une terrible guerre civile à la fin de la République Romaine. Écrit après la seconde guerre mondiale cette fresque semble retentir d'avertissements liés à l'histoire du XX° siècle.

L'intrigue est construite telle une tragédie classique : on sait tout de suite que l'affaire va mal tourner... Spartacus hésite entre plusieurs voies... Et finalement choisit celle qui consiste à faire le bonheur de ses "soldats" malgré eux ; ce qui n'est pas sans rappeler le stalinisme et que toute utopie mène, si on y prend garde, à la dictature.

Les mécanismes économiques et politiques qui mènent à la révolte sont parfaitement décrits de même que les agissements De César pour faire tomber la République. On apprend ainsi que les importations "gratuites" de blé et d'esclaves depuis les colonies romaines impliquaient un chômage massif et une grande misère pour les citoyens romains obligés de s'engager dans la légion...

Dans un style à la fois à la fois épique et didactique, Arthur Koestler nous livre ici un roman est d'une très grande modernité et très riche d'enseignements.
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Spartacus / Arthur Koestler

Je viens de relire pour la troisième fois l'oeuvre magistrale d'Arthur Koestler éditée pour la première fois en 1939 et rééditée plusieurs fois. La dernière réédition date de 2006. Très belle et scrupuleuse reconstitution historique mais pas seulement, ce roman raconte l'histoire épique d'un impossible rêve de liberté, celle de la révolte servile de Spartacus le Thrace et des siens, gladiateurs, esclaves et tous les laissés pour compte. En 73 avant J.C., soixante-dix gladiateurs décident de s'enfuir de l'école de Lentulus afin de ne plus combattre contre les fauves lorsqu'ils sont vainqueurs. Et la horde de belluaires va grossir au cours de pérégrinations à travers la Campanie et la Lucanie jusqu'à compter plus de 6000 esclaves. Les faits ont été relatés avec soins par les historiens antiques tels que Florus, Appien et Eutrope. Pendant trois ans, les légions romaines vont être taillées en pièces par cette armée de va-nu-pieds, redoutable, courageuse mais souvent indisciplinée et rétive, emmenée par Spartacus.
Mais en 71, dans la région du Brutium, les troupes de Crassus vont avoir raison des procrastinations de Spartacus. Six mille esclaves seront crucifiés tout au long de la Voie Appia entre Rome et Capoue.
Aujourd'hui, le nom de Spartacus est symbole de révolte, de révolution et de liberté. Né libre en Thrace vers 100 av J.C., il fut fait prisonnier et enrôlé de force dans la légion romaine, puis vendu à Lentulus qui en fit un gladiateur. La personnalité de Spartacus est complexe et composite. Révolté mais avec des faiblesses, une certaine indécision liée aux doutes qui l'assaillent quant à l'attitude à adopter avec ses hommes : toutes ces données expliquent l'échec de cet homme courageux qui en vérité pécha par idéalisme excessif en voulant créer la cité utopique de ses rêves. Il eut fallu qu'il devînt un dictateur pour venir à bout de ses troupes désobéissantes. Il refusa de se laisser aller à une tyrannie implacable et impitoyable : en hésitant, il condamna la révolution.
Au fil des chapitres, Koestler tisse une trame idéologique qui fait de ce roman très bien écrit une oeuvre de référence, un chef d'oeuvre aux accents philosophiques. C'est un récit d'aventures autant qu'une tragédie politique, presque classique, une histoire saisissante de cruauté et de brutalité.
Quelques extraits : « Ce sont les circonstances qui font les héros et l'inverse n'est pas vrai. Seulement, les circonstances choisissent aussi l'homme qui convient. »
« L'héroïsme est le produit de l'inaptitude de l'homme à soutenir son idéal contre des forces étrangères. »
« Maint ami du peuple s'est mué en tyran, mais l'histoire ne saurait citer un tyran qui ait fini dans la peau d'un ami du peuple. »
« Un tyran plein de bonnes intentions est infiniment plus dangereux qu'un fauve carnassier… »
Grandiose.
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Six mille rêves expirent le long de la voie Appienne. Six mille croix dressées pour la propagande d'un homme, Marcus Crassus, dont l'action militaire offre un secours salutaire, mais temporaire, à une République romaine engagée dans son dernier siècle. de Spartacus et de sa révolte d'esclaves, il ne reste ni hommes pour la conter, ni vestiges pour témoigner auprès des générations futures de ce qu'elle fut. Pourtant, l'Italie trembla du parcours de cette horde qui contenait en elle tout l'empire, et menaçait de le renverser. Arthur Koestler, en s'emparant de pareille figure historique, n'écrivit pas seulement un roman historique d'une minutie extraordinaire quant au rendu de l'époque ; davantage, ces trois cents pages sont le prétexte d'une interrogation profonde des systèmes politiques et sociaux. de l'éthique politique aurait pu être un sous-titre pour cette anabase dramatique dans laquelle les damnés de la terre semblent proche de jeter à bas le monde qui les opprime. Et si Koestler fait de cette aventure historique une lecture éminemment politique et contemporaine - le livre est publié en 1939 -, il ne prend pas la liberté d'en changer la fin, manière aussi d'opposer au monde des idées celui des réalités matérielles. L'homme est ennemi de l'homme, y compris de lui-même.

En 73 avant JC, plusieurs centaines de gladiateurs s'évadent de l'école du capouan Lentulus Batiatus. Menés par le Thrace Spartacus et le Gaulois Crixus, les gladiateurs ravagent d'abord les environs de la petite cité campanienne, amenant à eux esclaves, valets et autres travailleurs de la terre. Trouvant refuge dans le cratère du Vésuve, les révoltés mettent en déroute une petite troupe romaine conduite par Claudius Glaber ; puis, après avoir ravagé diverses cités du centre italien, ils assiègent Capoue, échouent, puis traversent la Campanie et s'établissent en Lucanie, dans l'extrême sud de la botte italienne, près de l'antique cité grecque de Thurium. Ils y construisent l'Etat du Soleil, utopie urbaine où s'érigent toutes les origines, toutes les cultures, toutes les bâtisses du monde romain : de la Gaule à la Thrace, du Samnium à l'Etrurie, de l'Ibérie à la Numidie, l'Etat du Soleil est une cité de broc et de brac dont les rues droites conduisent à la tente de celui qui imitent les consuls romains. Entouré de licteurs qui n'ont pas la hache, mais une chaîne brisée comme symbole, Spartacus négocie d'abord avec Thurium pour la subsistance de son Etat, puis avec les grandes puissances politiques qui s'opposent à la République romaine : le roi Mithridate VI du Pont, le rebelle Sertorius en Espagne, les pirates de Méditerranée. Malgré les victoires militaires contre les deux légions romaines lancées contre lui, malgré le nombre impressionnant de cent mille désoeuvrés qui obéissent à Spartacus, l'Etat du Soleil est de plus en plus isolé. Aucune cité italienne ne s'allie à lui, aucune autre troupe servile ne rejoint les révoltés. Bientôt affamés par un accord secret entre Thurium et les pirates, les esclaves de Spartacus s'en vont ravager Métaponte, et le sac sonne le glas de la révolte. Ayant échoué à changer le monde, les esclaves songent à regagner, chacun, leurs patries. Mais les rives du Pô seront l'ultime frontière septentrionale des esclaves. Spartacus veut alors rejoindre le sud, et la Sicile mais, poursuivis par Marcus Crassus et littéralement assiégés par lui dans le Bruttium, les esclaves sont réduits à livrer une dernière bataille, funeste pour tous. Ensemble ils trouvent la mort, sur le champ de bataille ou sur les croix.

Davantage que la réflexion philosophique sur l'éthique politique, ce qui marque d'abord, à la lecture du roman, est la restitution minutieuse de l'époque républicaine de la Rome antique. le souci du détail est porté à un niveau remarquable, du vêtement (et là encore, selon les classes sociales) à l'alimentation (les spectateurs qui mâchent des pois chiches lors du spectacle de gladiateurs), Arthur Koestler ne prend pas simplement le parcours et le personnage de Spartacus comme prétexte. Son récit forme ainsi un tout cohérent, et c'est aussi parce qu'il ancre si fort son récit au premier siècle avant notre ère que Koestler donne à celui-ci un caractère intemporel. Il dit : les hommes sont différents, voyez les à travers mes descriptions ; ils ne mangent, ni ne s'habillent comme nous, et leurs habitudes sont bien différentes des nôtres. Mais leur souci éthique, philosophique et moral est le même que le nôtre, vingt siècles plus tard. Par-delà le décor, Koestler reconstitue aussi un univers mental lié à des mécanismes sociaux bien établis dans la République romaine. Prenant de la hauteur, Koestler développe les rivalités politiques du temps. Rome, en ce début de premier siècle, connaît une crise politique et sociale qui dure déjà depuis presque un siècle. La concentration des richesses entre les mains de quelques-uns a favorisé le développement d'une classe sociale pauvre mais libre ; elle se traduit politiquement par la lutte entre factions dont émergent de charismatiques dirigeants, tels Marius ou Scylla, qui annoncent le temps de Pompée, de Crassus et de César. En Italie, la population servile est aussi deux fois plus nombreuse que la population libre. Sa composition traduit les succès de Rome dans l'ensemble du monde méditerranéen : Grecs, Thraces, Gaulois, Ibères ou encore Syriens et Parthes sont partout dans la société italienne : unique dans les foyers modestes, pléthoriques dans les latifundia, en rangs serrés lorsqu'ils servent la municipalité. le monde romain est un monde dur, où hommes et femmes peuvent être des meubles, et où même les libres doivent rechercher la protection des puissants. Ainsi Quintus Appronius, greffier de province à Capoue, qui traîne sa vieille carcasse aux thermes pour y solliciter quelque faveur de Batuatus ou de Rufus, ou bien même leur protection. de la même façon, ce monde est celui des opportunités tant politiques qu'économiques. Lorsque les nouvelles de la révolte servile parviennent à Rufus et à Batuatus, ceux-ci commencent à spéculer sur les cours du blé. Car Rome, en vérité, est devenue un parasite pour son empire. La Ville au million d'habitant ne travaille pas, et compte sur ses possessions pour la nourrir.

Que le monde romain connaisse alors une crise morale et éthique, même les Romains - certains d'entre eux, en tout cas, tel Caton le Jeune - l'admettent bien volontiers. La dépravation morale est même l'objet de discussions et d'un certain désespoir pour ceux qui la clament. Ainsi la crise sociale, politique et économique prend-elle des accents philosophiques, puisque l'effondrement des valeurs morales commanderait, selon Caton, celui, futur, de l'empire. Lui répondent d'autres accents, cyniques ceux-là, et extrêmement pragmatiques, de Crassus, dont la constitution de la fortune a reposé sur des procédés ô combien immoraux. Ces deux hommes, pourtant, le rigide et vertueux Caton et l'omnipotent et amoral Crassus, sont les deux faces de la même Rome. La République s'est faite empire par le biais de ces deux visages. La révolte servile conduite par Spartacus remet brutalement en question ce succès apparent. Plus que la liberté, Spartacus cherche à trouver une nouvelle voie. Car la liberté seule ne suffit pas. Tant d'hommes libres sont en fait les obligés d'autrui. La révolte provient du plus profond de ce système. Ceux qui l'initient sont des gladiateurs, c'est-à-dire des hommes promis à la mort pour égayer la population. A l'absurdité de leur sort répond la violence qu'ils répandent. A leur mort dans l'arène répondent les morts sur les pentes du Vésuve, sur les champs de bataille ou dans les cirques improvisés par les anciens esclaves pour que les légionnaires s'y entretuent. Pourtant, Spartacus récuse la violence dont ses troupes font preuve à l'occasion de la destruction des cités italiennes. Car il ne s'agit pas tant de se venger que de proposer un nouveau modèle, fondé sur un égalitarisme qui rappelle fortement le communisme idéal, et qui, excluant la propriété privée et les échanges monétaires, veut abattre les rapports de force entre les hommes.

Pourtant, la révolte servile de Spartacus connaît un terrible échec. Fulvius, l'historiographe de la horde, s'en étonne d'abord. Pourquoi les esclaves de Capoue défendent-ils leurs maîtres ? Plus tard, près de Thurium, Spartacus s'afflige de ce qu'aucune nouvelle horde, venant de Ombrie, d'Etrurie ou de Campanie, ne les rejoigne. Les circonstances, pourtant, étaient favorables : crise morale à Rome, ennemis intérieurs et extérieurs à la République, succès militaires des débuts. L'échec s'explique de façon extrinsèque et intrinsèque. Les causes extérieures tiennent d'abord au conservatisme social et politique. le changement fait peur, y compris à ceux que le système exploite. Ensuite, c'est aussi la supériorité militaire de Rome qui finit par s'exprimer, après que Sertorius a été vaincu en Espagne. Toutefois, les causes de l'échec sont aussi intrinsèques. La violence de l'Armée des Esclaves, qui effraie les cités italiennes, provient, il est vrai, des contingents celtes qui se reconnaissent davantage en Crixus qu'en Spartacus. Si la violence initiale était nécessaire, elle finit par desservir le mouvement, comme le pressent Spartacus lorsqu'il apprend le sac de Métaponte. Il y a ici l'idée que les hommes libres n'agissent pas forcément selon leur intérêt ; là demeure un paradoxe, qui débouche sur un reproche que font les anciens esclaves à Spartacus. Libres, les hommes doivent pouvoir agir comme ils l'entendent, mais Spartacus désapprouve leur conduite, et leur demande une soumission la plus totale afin, pense-t-il, de leur offrir un monde meilleur. Ainsi la conquête de la liberté conduit-elle à la recherche d'un asservissement nouveau, ou d'une mort certaine. Au-delà de cela, on observe aussi une certaine rupture entre Spartacus et ses hommes. Son rôle nouveau lui fait chercher les alliances des puissants - les pirates, Sertorius, Mithridate VI - et la personnalisation, en lui, du mouvement, le coupe socialement et topographiquement de ceux qui l'ont suivi ou rejoint. Après le monde de la révolte, Spartacus entre dans le monde de la politique, qui est celui du consensus et, donc, du renoncement. Ainsi les négociations avec Thurium, durant lesquelles Fulvius assure aux édiles de la cité la perpétuation de la propriété privée, représentent-elles un renoncement qui limite, et donc condamne, la révolte servile. La fin justifie-t-elle les moyens ?, demande Koestler dans la postface. L'instauration d'un monde nouveau légitime-t-elle la crucifixion des Celtes après Métaponte ? La recherche de l'égalité entre les hommes autorise-t-elle l'omnipotence de Spartacus ? du haut de sa fortune et de son cynisme, Crassus tance Spartacus : il ne s'agit pas de changer le monde - son inertie est trop forte - mais les idéaux. Faire du mal de ce monde - le travail et ce qu'il induit : le rapport de force entre les hommes - une idée à poursuivre.

De cette révolution avortée demeure toutefois deux éléments intéressants. D'abord, la révolte servile bouleverse durablement la société romaine qui, bien qu'elle ne change pas radicalement - César et Auguste seront bien plus riches et puissants que ne le furent Pompée et Crassus, ou Marius et Scylla - prend conscience de ce terreau social instable. le deuxième élément tient à la personnalité de Spartacus dont le caractère tient du héros messianique. Sur les pentes du Vésuve, un juif essénien lui parle du Fils de l'Homme, venu pour délivrer l'humanité. Quelques décennies avant la délivrance du message christique en Judée, l'épopée de Spartacus annonce un renversement des valeurs en promettant d'abord, et pour l'essentiel, la dignité à ceux qui le suivent. Que le monde demeure tel qu'il est, que les forces en présence fassent tout pour que le système dans lequel elles sont les élites perdure ne change rien à l'affaire. La dignité est un combat qui jamais ne se finit ni se perd. Lorsqu'un homme tombe, un autre reprend, tôt ou tard, le flambeau.
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