C'est drôle comme certaines lectures ne tiennent à rien, comme le hasard fait les choses parfois...
Je fouillais dans les rayons de la librairie, à la recherche de "La Première Veine" de Yannis Makrivadis (que je n'ai pas trouvé) espérant commencer par là mon initiation à la littérature grecque contemporaine (dont ne je connais fichtre rien) et je suis tombée sur "
Gioconda". Un résumé dévoré plus tard et j'ai renoncé (momentanément) à Makrivadis pour rentrer chez moi avec
Nikos Kokantzis. Je crois que j'ai bien fait.
"
Gioconda", ce n'est pas un roman, c'est une histoire vraie. Quant à
Nikos Kokantzis, c'est l'homme d'un seul livre, c'est l'homme de cette "
Gioconda", émouvante. Incandescente.
"
Gioconda", c'est le récit d'un amour adolescent et sans doute sublimé, d'une passion que rien n'a entaché -ni le quotidien et ses petites lâchetés, ni le réel tristement prosaïque, ni la jalousie ou pire le désamour- vécue par l'auteur lors de son adolescence, passion sur laquelle il revient trente ans après l'avoir vécu, parce qu'il n'a jamais vraiment cessé d'aimer
Gioconda, parce qu'il éprouve le besoin de coucher sur le papier ce qu'ils ont vécu, de peur de l'oublier un jour...
C'est que Nikos et la belle
Gioconda n'ont pas eu le temps de s'aimer toujours ou de vieillir côte-à-côte. Leur histoire est né à Thessalonique en 1942. En ce temps-là, qui n'est pas si lointain, le nord de la Grèce était occupée et
Gioconda était juive.
Le texte dans une langue lumineuse, d'une sensualité qui m'a parfois rappelé "Appelle- moi par ton nom" retrace l'histoire d'amour qui unit Nikos à sa voisine, de ses débuts incertains et maladroits à son éclosion, au plus fort de la chaleur et de la guerre. Texte singulier qui est autant une célébration de l'être aimé que le récit du désir naissant et complètement fou, "
Gioconda" est un récit magnifique, lumineux, voluptueux et torride parfois, un chant d'amour et de désespoir qui interroge aussi le rapport des êtres au temps qui passe et à la mémoire: les années qui passent n'embellissent-elles pas les amours du temps passé et les souvenirs dorés, brûlants qu'on en garde? La réalité était-elle aussi intense, sublime que ce qu'on en garde d'impalpable et de puissant? On ne le saura sans doute jamais vraiment et au fond, ce qui compte c'est la certitude d'avoir aimé et d'avoir vécu. Ainsi en est-il pour Nikos qui nous offre
Gioconda.
En creux de son histoire d'amour, qui a la douceur et la mélancolie des premières amours qu'on croyait éternelles, de ces premières amours qu'on aimerait revivre juste pour ce parfum entêtant d'absolu qu'elle répandaient et dont on apprend à se méfier en grandissant, "
Gioconda" est un témoignage historique poignant. A titre personnel, je ne savais pas grand chose des conséquences de la seconde Guerre Mondiale en Grèce, pas plus que je savais qu'une importante communauté juive s'était établie à Thessalonique et ce depuis des siècles. Il est toujours bon d'apprendre et de se souvenir. A cet égard, la scène de l'arrestation de
Gioconda et des siens est bouleversante, d'une beauté douloureuse, d'un calme étrange.
Une tragédie grecque où les amants sont déchirés par des forces plus grandes qu'eux. Elle les broiera: il y a le martyr de
Gioconda que Nikos ne racontera pas et sa douleur à lui, la blessure qui ne se referme pas.