« Seigneur, comment faire pour défendre cette âme si sensible de l’ignominie du monde ? »
Une vaste émotion m’a parcourue et habitée pendant la lecture de cet ouvrage.
Janusz Korczak est un homme qui sait faire preuve d’empathie, de compassion et d’altruisme envers les enfants.
Et donc forcément plus généralement envers le genre humain.
Korczak est né en Pologne en 1878 ou 1879. Il a fait des études de médecine vers 20 ans et s’est occupé d’enfants toute sa vie : colonie de vacances, orphelinat, internat, hospices pour enfants.
Il a eu affaire souvent aux plus déshérités d’entre eux.
Ce livre réunit deux textes.
« Comment aimer un enfant ? » en quatre parties :
« L’enfant dans sa famille », « Internat », « Colonie de vacances » et « La Maison de l’orphelin ».
Janusz Korczak nous offre une profonde réflexion sur la véritable nature de l’enfant, usant d’un regard lucide sur lui-même, lui-même en tant qu’homme, en tant qu’adulte :
« C’est une erreur de croire que la pédagogie est une science de l’enfant et non pas de l’homme.
Dans un moment d’emportement, un enfant violent frappe ; un adulte violent tue. A un enfant candide on soutire son jouet ; à un adulte naïf on fait signer des traites. Un enfant déraisonnable dépense en bonbons l’argent du cahier ; un adulte irresponsable dilapide au jeu son patrimoine. Enfant ? Adulte ? Il y a seulement des êtres humains. Seule existe une différence d’échelle entre les idées, les sentiments, les impulsions, les expériences de chacun d’eux. N’oublie pas que nous ne les connaissons pas. »
Partant de quelques constats que nous voudrons bien adopter si nous acceptons de faire preuve d’un peu de lucidité, nous voilà prêt à remettre véritablement en cause notre façon d’éduquer, notre rapport au respect, notre vision de l’autorité.
Janusz Korczak est un pédagogue, mais loin des dogmes, il ne nous proposera pas de méthode d’éducation.
Nous suivons sa pensée, exposée en toutes petites parties, une à deux pages, qui découlent les unes des autres.
Par exemple, sur les punitions, admettons qu’il nous ait convaincu que les châtiments corporels sont à proscrire, mais ensuite il attire notre attention sur les châtiments disons d’ordre psychologique :
« A changer un châtiment de forme ou à l’atténuer, tu n’y as pas renoncé pour autant. Qu’un châtiment soit grave, léger ou seulement symbolique, les enfants le craignent toujours. Tu le sais et ton raisonnement est le suivant : si les enfants ont peur, la discipline est sauve.
On peut fustiger la sensibilité, l’amour-propre de l’enfant, comme, dans l’ancien temps, on fustigeait son corps. »
Si nous adoptons la résolution de nous surveiller alors et de ne plus user de cette sorte de correction, une nouvelle claque nous fera ouvrir le deuxième œil sur notre comportement :
« On peut, par la menace, maintenir un enfant dans l’obéissance ; mais croire que c’est là une méthode non répressive prouve un singulier manque de discernement : l’intimidation par menace constitue une grave mesure de sévérité. »
Si alors nous nous promettons de bannir toute forme de punition, corporelle ou morale, sans pour autant avoir réfléchi encore à la manière d’obtenir l’ordre autrement, nous voilà encore bien loin du bout de notre réflexion :
« Tu décides de te montrer magnanime et tu pardonnes sans poser d’autres conditions. Tu crois avoir bien agi. Tu te trompes. »
Fort de ses nombreuses expériences avec des enfants en collectivité, Korczak réussit ce tour de force de percevoir l’enfant en tant qu’individu mais aussi au sein du groupe, avec toutes les contradictions que cela implique dans son éducation.
La puissance de ce livre réside dans le fait qu’il nous accompagne dans des pensées, celles-ci restent souvent ouvertes. D’ailleurs, plusieurs paragraphes ne font état que de questions :
« Mais si cette liberté, en avantageant les uns, limitait les droits des autres ; si certains enfants, jugeant inutile de travailler eux-mêmes, voulaient en empêcher les autres ; si, en laissant leurs lits défaits, ils encourageaient leurs voisins à en faire autant ; si, en perdant leur manteau, ils trouvaient naturel de s’emparer de celui d’un camarade ? Comment faire ? »
Pour autant, les réflexions offertes sont parfois très concrètes car Janusz Korczak a toujours tenu des journaux lors de ses expériences en internat ou en orphelinat.
Ce livre est donc plein d’exemples, de choses qui marchent mais aussi de choses qui ne marchent pas car Korczak est un homme qui sait dire « je me trompe ».
Il cite le tableau mis en place pour faire passer des messages aux enfants, la vitrine des objets trouvés, la mise en place d’horaires pour la distribution du matériel...
Mais bien sûr, au-delà de l’aspect matériel, il tente de grandes expériences pour faire fonctionner la vie en communauté de « ses » enfants.
La Maison de l’orphelin accueillait environ 150 enfants, garçons et filles, d’âges très variés, encadrés par un personnel tout de même très restreint et il fallait trouver des solutions pour que ces êtres humains vivent au mieux ensemble.
Cela l’amène à réfléchir sur le rythme de l’enfant (il constate l’absurdité d’un horaire unique pour le dortoir quand il faut concilier de gros et de petits dormeurs), sur sa physiologie (même réflexion sur la ration unique quand on a affaire à de petits ou de gros mangeurs, d’où sa défense du principe du pain à volonté).
Il fait état de ses essais de tribunaux tenus par les enfants eux-mêmes, relatant avec une grande sincérité son manque de réussite :
« Je sais que le tribunal est nécessaire et que, d’ici à cinquante ans, pas une école, pas un établissement pédagogique ne saura plus s’en passer. Il n’y a que la Maison de l’orphelin où il apparaît comme nuisible, parce que nos enfants ne veulent pas se comporter en hommes libres, ils préfèrent demeurer esclaves. »
« Le droit de l’enfant au respect » est un texte plus court, décliné lui aussi en quatre parties :
« Irrespect et manque de confiance », « Le ressentiment », « Le droit au respect » et « Le droit de l’enfant à être ce qu’il est »
C’est une affirmation que le respect de l’enfant est indissociable du véritable amour que l’on peut lui porter.
Je ne peux bien sûr pas vous décrire à quel point ce livre m’a bouleversée, émue, mais fait du bien, comme si une telle générosité pouvait m’atteindre après un siècle.
Et après tout, c’est peut-être le cas.
Ne vous privez pas d’une telle lecture si vous avez affaire à des enfants.
Inspiration musicale…
“[…]
Emancipate yourselves from mental slavery
None but ourselves can free our minds
Have no fear for atomic energy
'Cause none of them can stop the time
How long shall they kill our prophets
While we stand aside and look? Ooh
Some say it's just a part of it
We've got to fulfil the Book
Won't you help to sing
These songs of freedom ?
'Cause all I ever have
Redemption songs
Redemption songs »
Extrait de “Redemption Songs”, Bob Marley :
https://www.youtube.com/watch?v=OFGgbT_VasI
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