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Critique de Osmanthe


Une affaire de famille, c'est d'abord la Palme d'or du festival de Cannes 2018. J'avais prévu de voir le film, et j'étais pour le coup assez hésitant sur le livre, pensant qu'il se limiterait à la reprise, sans surprise et sans saveur propre, du scénario. Et puis je me suis décidé…livre entamé au tiers…visionnage du film…reprise et achèvement du livre, faute d'avoir décidé par lequel commencer, c'est l'éternel problème ! Bien m'en a pris. Si Kore-eda est un maître réalisateur, il s'avère aussi avoir d'authentiques talents d'écrivain. Les deux sont magnifiques, et constituent un couplage parfaitement complémentaire.

D'emblée, nous sommes immergés dans une petite maison où vivent cinq personnes un peu entassées. La maison appartient à Hatsue, une vieille dame aux allures de grand-mère. On dirait bien qu'elle héberge un fils en la personne d'Osamu, et sa femme Nobuyo. Et puis il y a Shôta l'enfant du couple, et Aki, qui pourrait être la jeune soeur de Nobuyo…Tout ce beau monde vit dans l'impécuniosité et une relative oisiveté (Nobuyo travaille comme ouvrière en blanchisserie, Osamu fait des petits boulots quand il en a le courage, Aki fait des heures en maison de plaisirs, et tous comptent sur la retraite de la vieille Hatsue). Bref, une famille unie, malgré quelques prises de bec finalement gentilles, inhérentes à la promiscuité sans doute…Leur spécialité, car il faut bien vivre, le vol dans les magasins. Osamu est un expert de la fauche, et a bien éduqué Shôta à ce « travail ». Ils forment une fine équipe. Comme dit Osamu, « Tant que les marchandises sont dans le magasin, ça n'appartient à personne ». Un soir de sortie, Nobuyo et Osamu trouvent une petite fille abandonnée à son sort devant chez elle…les parents se battent. Ils vont récupérer cette petite Yuri…Mais comme dit Nobuyo, « C'est pas un enlèvement, on n'a pas demandé de rançon ». Après quelques hésitations vite dissipées, Yuri va être intégrée dans cette curieuse famille et vivre quelques mois de bonheur…avant qu'un incident, survenu pas si innocemment que ça à Shôta au « travail », déjà accompagné de Yuri, ne mette au grand jour cette énorme mascarade familiale.

L'auteur fait basculer l'histoire dans le tragique, lorsqu'il apparaît que tout ce que nous avions lu, et vu, était factice, les membres de cette « famille » (les guillemets sont à dessein) cachant de terribles secrets…Si dans le film, c'est la surprise totale, les clés de l'histoire étant livrées après le basculement dans le tragique, le romancier distille des signes avant-coureurs. En effet, Kore-eda réalisateur ne propose pas de flash-backs ou de plans révélant la vie intérieure des personnages, alors que Kore-eda le romancier, s'il laisse la place principale aux dialogues, s'intercale avec discrétion comme narrateur, sans excès, pour distiller avec finesse leurs sentiments. le livre éclaire ainsi certaines facettes de l'intrigue restées plus obscures dans le film, proposé en version originale sous-titrée et mené tambour battant. D'un autre côté, la diffusion progressive dans le roman de certains éléments de réponse à l'énigme, avant même que le drame n'éclate véritablement, amoindrit un peu le bel effet de surprise qui intervient à l'écran.

Une oeuvre d'une grande sensibilité, émouvante mais subtile, d'une rare intelligence, qui fait réfléchir sur de multiples questions existentielles universelles, comme la frontière parfois fort ténue et subjective entre le bien et le mal, sur ce qui construit une famille, sur l'incarnation du sentiment maternel, sur la difficulté d'être parent, sur la responsabilité, la culpabilité…La psychologie des personnages est plus fouillée qu'il n'y paraît. Si criminels soient-ils, ils pensent oeuvrer pour le bien, et on se surprend dans l'indulgence et la compassion, tellement ils sont d'un naturel confondant, simples, pudiques, et surtout, remplis de blessures internes. Ils veulent croire en leur rêve malgré leurs faiblesses et leur pauvreté, et si le besoin d'argent est leur moteur, finalement le rire et la joie maladroitement exprimée d'être ensemble leur suffit pour être heureux. Bref, ils me sont apparus étonnamment sympathiques, alors que leur histoire pourrait les faire passer pour machiavéliques. Car on sourit beaucoup aussi au fil de ces pages, comme devant le film, tellement les acteurs sont rayonnants. Il faudrait parler des acteurs, de Osamu alias Lily Franky, parfait dans le rôle du père immature et flemmard, de Nobuyo alias Sakura Andô, qui accumule les récompenses d'actrice et crève l'écran en femme qui croit jusqu'au bout en son rêve de mère, ou de la vieille Hatsue, alias Kiki Kirin, décédée d'un très long cancer en septembre 2018, très aimée au Japon et particulièrement appréciée du réalisateur qui l'avait déjà fait tourner dans Still walking.

Cette oeuvre illustre aussi ce qui ne tourne pas très rond dans la société japonaise, cette solitude intérieure vertigineuse qui touche tant de monde dans les univers ultra-urbains, et une précarisation, une pauvreté longtemps cachée mais malheureusement de plus en plus problématique au pays du soleil levant.

Croyez-moi, ça vaut vraiment la peine de découvrir une affaire de famille. de le lire pour toutes les raisons évoquées, et pour la traduction qu'on devine remarquable puisqu'elle est signée de l'experte Corinne Atlan, et de le voir pour apprécier l'incarnation fantastique de ces beaux acteurs (en VOST, pour ne rien perdre de l'atmosphère japonaise). Il m'étonnerait fort que vous soyez déçus !
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