Le jeu du chapeau

C’est assez logique quand on y pense : pour créer, il faut se renouveler. Comme avec une bulle de savon. Vous soufflez pour la gonfler, parce que vous avez besoin de créer la plus belle bulle, et quand elle a éclaté, vous regrettez ! Sauf que voilà, pour nous, il n’y a plus de bulle !

Je t’ai quittée parce que j’avais besoin de chaleur, de rires, de partage. Tu es toujours dans la retenue, il n’y avait jamais de cris et si peu de joie. J’ai besoin de sentir la vie autour de moi. Avec mes médicaments, tout est devenu tellement gris, si terne. J’ai cru que ça venait de toi et j’ai fait la plus grosse bêtise de ma vie. En réalité, j’ai compris trop tard que tu mettais beaucoup d’énergie pour que mon cadre de vie soit calme, sans stress. J’ai été égoïste, parce que je trouvais injuste d’être malade. Une malade mentale en ménage avec une psy, un vrai cliché !

— Elle te cacherait des choses sans le savoir ?

— En quelque sorte. C’est, dans le cas de chocs trop violents, un mécanisme de défense psychique. Comme certaines formes d’amnésie partielle après un accident. L’hypnose me permettrait d’accéder à ce souvenir sans briser les éventuelles barrières destinées à protéger son esprit.

Malgré un mental bousculé par les événements, son esprit est fort. Cette gamine est dans le contrôle, en permanence. Je n’arriverai à rien si je me limite aux méthodes classiques. Qui plus est, certains traumas sont refoulés du conscient, ce qui empêche l’individu réveillé d’y accéder.

Une part de l’empathie que nous développons utilise cette communication pour modifier notre gestuelle et l’intonation de la voix. Margareth paraît ne pas savoir répondre à ces stimuli, un peu comme ce que l’on constate chez les autistes. Par exemple, elle m’a raconté tout l’épisode de l’incendie sans cesser de sourire…

Rien n’était logique dans cette histoire. Mina était intelligente, jolie, polie et appréciée de tous. D’après les clichés, elle savourait les moments en famille, surtout en l’absence de sa sœur. Comment avait-elle pu passer de fillette aimante à incendiaire ?

Ce qui ressortit de ces enquêtes de proximité était que l’aînée, Mina, avait toujours protégé sa petite sœur et jouissait d’une solide popularité. Le portrait d’une gamine charmante, polie et intelligente. Tout l’inverse de ce que j’avais collecté à propos de la plus jeune ; Margareth était réputée stupide, colérique et cruelle.

C’était frustrant de constater qu’elle essayait de me cacher des choses car cela me poussait à me poser des questions sur son rôle dans la tragédie. Ou était-ce qu’elle protégeait quelqu’un d’autre ? Je devais en avoir le cœur net.

Ils me laissèrent entrer seule, car c’était l’une de mes exigences afin que l’enfant ne puisse pas imaginer de complicité entre moi et les Stavinsky. Un premier pas vers une confiance réciproque indispensable dans ce type de procédure. Ceci permettait également, dans le cas d’affaires judiciaires, de garantir que les éléments recueillis étaient fiables et non altérés par la présence de tiers.

L’attitude de cette enfant était étonnante car Mina s’était comportée comme une adulte à un premier rendez-vous. Elle m’avait donné l’impression de tout contrôler, ses mots, ainsi que ses gestes. Lorsque je complétais mes notes, elle m’observait en prenant soin de ne pas être insistante. Sa posture, le timbre de sa voix, tout était maîtrisé. Une attitude que j’avais souvent vue chez des patients ou des condamnés plus âgés mais jamais chez de très jeunes enfants ; le souci de l’apparence ne venant qu’à l’adolescence, et ce, même si ce soin de gestion de l’image varie selon le profil des individus ainsi que le contexte. Toutefois, les premiers rendez-vous apportent souvent de nombreuses informations pour qui sait lire entre les lignes. Qu’il s’agisse d’un rencard ou d’un entretien, les personnes ne sont jamais sincères. Souvent parce qu’elles veulent masquer les défauts ou les faiblesses, parce qu’on leur a répété que la première impression est toujours la bonne, ils s’acharnent à penser que cette image restera gravée.