Ma mère m'a donnée

Le prologue écrit par Catherine Combe semble vouloir nous préparer psychologiquement et émotionnellement à la lecture du témoignage de Nour. Ce prologue est très beau. Très beau car empreint de sincérité et empli d'empathie, d'amitié et de soutien. On sent ce lien palpable qui s'est créé entre les deux femmes avant même d'avoir commencé le livre.

Mais dès les premières pages, on comprend qu'on ne peut pas se préparer à ce genre de témoignage. Même en ayant vécu une enfance similaire, chaque mot est lié à une sensation, à une émotion unique. Celles de Nour. Sa souffrance est terrible et unique. Chaque mot choisi est précis, c'est ce mot et pas un autre qui décrit ce qu'elle a enduré. Ses souvenirs sont lourds et extrêmement douloureux. Chacune de ses paroles ne peut qu'être entendue.

La violence est une histoire de famille pour Nour. Dans sa famille, la violence semble héréditaire et tout ce qu'il y a de plus normal. Sa mère a enduré une vie de violence et de maltraitances physiques et psychologiques, sans aucune chance d'oubli ou de réparation, par la condamnation ou les aveux. Aucun soutien d'aucune sorte, aucune communication, aucun secours possibles.
De grossesses en accouchements toujours plus nombreux, c'est une multitude d'enfants que la mère de Nour lâche dans une vie de violence et de maltraitances. Au milieu de tous ses frères et soeurs, Nour est celle qui a eu le courage de se confier et de témoigner de l'horreur, de l'indicible, de la violence des parents exercée sur leurs propres enfants.

Chaque nouveau passage est un coup au coeur. On aimerait prendre Nour dans nos bras et lui effacer tous ses terribles traumatismes...

Ce père si incapable, si médiocre, englué dans sa pitoyable violence ne cessait de harceler ses filles. Il était scandalisé et déçu d'avoir tant de filles et si peu de fils pour faire sa fierté. Il traitait ses filles comme des esclaves, leur refusant le chemin de l'école pour mieux les faire travailler sans relâche. Nour a eu la chance d'aller à l'école. Son père n'habitait alors plus sous le même toit.

Il a dû être difficile d'être la seule à détester ouvertement ce père pourtant tyrannique et extrêmement violent. de ne pas pouvoir se confier à ses soeurs, de ne pas avoir d'échanges à son sujet, de ne pas pouvoir partager sa souffrance. Nour a fait preuve d'un immense courage. Aucun exemple ne lui a jamais été donné pour qu'elle puisse dénoncer et simplement dire la vérité sur son vécu.
Ne pouvant plus supporter l'ampleur des violences subies par ses filles et elle-même, la mère de Nour décide de fuir. C'est ainsi que Nour a pu éviter ce déchaînement de violence paternel. Elle était trop petite pour subir les foudres de son père. Ce nouveau départ va pourtant sonner le glas pour Nour. Se croyant enfin sauvée de la violence, sa mère va décider de la donner, de la céder, comme une marchandise si encombrante, qu'il nous arrange de s'en débarrasser. Ce moment de l'abandon de Nour par sa mère, restera pour moi le pire moment du livre. Et pourtant, bien des passages sont d'une violence et d'une abomination extrêmes. Mais aucun enfant ne devrait avoir à vivre l'indifférence et la traîtrise de sa mère, à vivre son abandon du jour au lendemain, sans même un dernier regard, lui ayant affirmé qu'elles rentreraient à la maison toutes les deux. Ce court passage m'a anéantie. La peur, le chagrin, la panique, l'incompréhension, l'injustice, l'acharnement du sort, puis la prise de conscience de la trahison maternelle. Quelle horreur...

Son arrivée dans cette nouvelle maison, qu'elle considère pourtant comme bourgeoise et donc plus que confortable, est le début de son nouvel Enfer. Un Enfer quotidien, sans aucun répit à espérer, qu'elle va devoir endurer jusqu'à ses dix-huit ans.

Ce livre est terriblement beau... Impossible de ne pas être submergé par toutes les émotions qui nous traversent. Il est difficile de trouver les mots tant ce que j'ai ressenti est profond et ancré en moi. J'aurais tant voulu être auprès de Nour et la protéger, l'emmener avec moi et la submerger de câlins et de chatouilles. Son témoignage est si précieux, si crucial pour donner la parole à toutes ces victimes de la violence familiale ; pour dénoncer tous ces arrangements entre familles, cet esclavage moderne sidérant et désespérant.

J'aimerais que tout le monde dans le monde lise ce que Nour a voulu partager. Que son courage puisse être récompensé et serve à sauver d'autres vies, à rassurer d'autres victimes...
Un véritable coup porté à mon coeur qui restera toujours en moi.

Comme l'a si bien dit Boris Cyrulnik et que Catherine cite dans le livre : "ces blessés de l'âme ont transformé leur souffrance en une rage de vivre" ... car "la vie ce n'est pas d'attendre que les orages passent, c'est d'apprendre comment danser sous la pluie".