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Critique de Blok


Ce livre est le témoignage émouvant, le cri de douleur d'un être blessé.

Le thème est connu : les abus sexuels établis et non contestés commis par Olivier Duhamel sur son beau-fils « Victor » Kouchner ; (on s'interroge sur l'utilité de ce changement de prénom,alors qu'il suffit de consulter la notice Wikipédia de son père pour connaître son vrai prénom)

Il convient de bien resituer les faits dans leur contexte :
Tout part de Paula Pisier, épouse de Robert Pisier, fonctionnaire colonial, en poste en Indochine pendant la guerre, puis en Nouvelle-Calédonie (voir sur cette période « Le Bal du Gouverneur » de Marie-France Pisier). Robert Pisier est très maltraité dans le livre. Aprés l'avoir quitté, son épouse a en effet appris à ses filles à le détester en raison de son passé ; elle lui reprochait d'avoir été collaborateur et maurrassien ; en fait, s'il est exact qu'il est resté à son poste sous le régime de Vichy, il n'a été accusé d'aucun fait de collaboration à la Libération. Quant à son maurrassisme, il était partagé par François Mitterand... En tout cas, il est interdit de rapports avec ses filles ; il semble qu'il soit resté amoureux de son ex-femme jusqu'à son suicide.
Cette haine sera transmise aux petits-enfants du couple.
Paula Pisier a une personnalité hors norme et mène une vie très libre ; elle fait l'objet d'une véritable vénération de la part de ses enfants et petits-enfants .Cependant le livre donne à voir des aspects déplaisants de sa personnalité ; ainsi lors du divorce entre Bernard Kouchner et Evelyne Pisier, Camille et son frère, âgés de six ans, vont chercher du réconfort auprès d'elle, après leur avoir expliqué que leur chagrin est anormal, elle les plante là, sur le trottoir (à six ans...) en leur enjoignant de rentrer seuls chez eux.

Cette mère toxique élève donc ses enfants dans une totale absence de contrainte, sauf celle, paradoxale, d'être « libres » ; elles sont tout à fait prêtes pour la « libération » de 1968 dans laquelle elles se donnent à fond.
Il est intéressant de rappeler que ladite « libération » implique le rejet de tous les tabous.
Notamment celui de la pédophilie.
On se souvient du livre où Cohn-Bendit (par ailleurs amant de Marie-France Pisier) affirme avoir pratiqué des attouchements sur les enfants d'une crèche allemande où il était employé ; il voudra s'en dédouaner par la suite sous le prétexte qu'il s'agissait d'affabulations destines à « choquer le bourgeois ». Admettons.
De même on vit à l'époque Bertrand Boulin (le fils du ministre), rédiger une « Charte des Droits de l'Enfant » (dont celui à des relations sexuelles avec des adultes) que certaine presse prit au sérieux.
Et jusque dans les années 90, Matzneff, qui bénéficia une génération durant d'une bienveillance unanime, tant de la droite en raison de ses opinions réactionnaires que de la gauche pour ses moeurs « libérées ». On se souvient du tollé soulevé par Denise Bombardier qui s'était permis de l'attaquer sur ce point dans les années 90 sur le plateau d'Apostrophes, et fut pour cela l'objet d'une condamnation presque unanime dans les milieux branchés.
Mais l'inceste aussi, et on s'en souvient moins, a bénéficié d'une certaine complaisance
Ainsi le film de Louis Malle « le souffle au coeur » qui décrit, entre autres choses, la relation incestueuse d'un garçon de 14 ans, avec sa mère, et cela de manière très positive.
Ainsi encore un débat de la même époque ; il portait sur le tabac, opposant un cancérologue qui aurait souhaité voir la cigarette bannie des écrans à divers intervenants partisans de la « liberté » ; l'un d'entre eux, Pierre Dumayet, eut alors cet argument que je cite de mémoire «mais, professeur, imaginez un film montrant un inceste père-fille ; la scène est très belle, la morale n'y trouve rien à redire ; et, après l'amour, le papa allume une cigarette ; vous censurez ? ».
Ce propos semble extravagant, il ne l'était pas à l'époque.
Et tout ceci nous permet d'arriver au phalanstère de la « Familla Grande », sur lequel règne le Patriarche Olivier Duhamel. La liberté règne, dans tous les domaines ; on mange, on boit , on fume un peu de tout, on refait le monde, on se permet toutes les libertés, on réalise tous les fantasmes, « il est interdit d'interdire », il faut « vivre sans temps mort et jouir sans entraves » y compris avec les enfants, qu'on laisse par ailleurs entièrement livrés à eux-même dans un bâtiment séparé.
Bref l'ordre du désordre organisé. Et l'utopie finit en dystopie, comme toutes les utopies.
Bien sûr Duhamel bénéficie dans ce milieu,artificiel et privilégié des mêmes louches complaisances que les autres
Mais attention ! le contexte n'excuse rien,, comme certains ont tenté de le faire valoir. Même, il aggrave, car le contexte n'a existé que par la décision collective et le consentement de ceux qui en ont profité.
Et le péché de ces gens-là est d'avoir manqué à ce qu'Orwell appelait la « Common decency », la décence des gens ordinaires, de ce peuple qu'ils prétendaient défendre et qu'en réalité ils méprisaient, de ce peuple que la pédophilie et l'inceste ont toujours révulsé, cette décence qu'Orwelle définissait ainsi en 1939 :« Tout le message de Dickens tient dans une constatation d'une colossale banalité : si les gens se comportaient comme il faut, le monde serait ce qu'il doit être »
Pauvre « Victor » ! Pauvre Camille ! Qui dénonce les bourreaux, mais qui, victime de quelque syndrome de Stockholm, pleure aussi sur eux et avec eux, qui garde un certain amour pour son monstrueux beau-père.
Pauvre Evelyne!Victime de l'éducation insensée que lui a donnée sa mère, éducation qu'elle a donnée elle-même à ses propres enfants. Pauvre Evelyne, pas toujours sympathique, n'en déplaise à l'auteur, Evelyne qui néglige ses enfants jusqu'à la maltraitance, qui refuse à sa fille le piano qu'elle a largement les moyens de lui offrir parce que c'est « bourgeois », qui est tellement sectaire qu'elle refuse d'aller voir sa soeur jouer Claudel, ce « réactionnaire », Guitry, ce « misogyne ».
Un seul personnage, quoiqu'il ne soit pas si bien traité dans  le livre, apparaît de manière vraiment positive:Bernard Kouchner, qui est le seul à tendre la main à son beau-père, dont tout le sépare pourtant, qui a une réaction vraie et humaine en voulant casser la gueule à Duhamel.
On rappellera quand même que Kouchner était cosignataire de l'odieuse pétition en défense de la pédophilie parue dans le Monde en 1977. On y trouve du beau monde..il est d'ailleurs curieux que la quasi-totalité desdits signataires disent aujourd'hui avoir signé la pétition sans la lire (ce qui en ferait, au mieux, des imbéciles). Rappelons encore que Sainte Dolto, qui apprit aux autres à élever leurs enfants en négligeant totalement son propre fils, tint elle aussi des propos très ambigus sur la pédophilie.
En conclusion, le livre de Camille Kouchner est utile, par ce qu'il nous dit explicitement , en apportant sa pierre à la condamnation de l'inceste et de la pédophilie, que notre époque a désormais actée ; et aussi par ce qu'il nous dit implicitement sur la génération 68, à qui ses enfants viennent maintenant demander des comptes.
Pour la"génération 68", on s'en souviendra sans doute comme d'une génération super-privilegiee qui détruisit d'abord l'ordre social qui lui avait permis d'être ce qu'elle était, fut incapable de lui trouver une solution alternative, se recycla faute de mieux dans le socialisme mitterandien et se convertit avec lui au libéralisme économique le plus éhonté, donnant ainsi naissance à une société, la nôtre, beaucoup plus éloignée de toute forme de socialisme que celle des années 60. Qui se souvient que De Gaulle voulut instaurer sous le nom de participation la co-gestion dans les entreprises ?
Par ailleurs réjouissons nous que la justice ait apparemment trouvé un moyen de poursuivre Duhamel.



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