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Critique de michfred


Avec le déplacement de l'adjectif qui en débanalise le sens ( la familia grande et non la grande familia)  Camille Kouchner attire l'attention sur le titre, inattendu, de son retentissant bouquin,  elle donne le "la"  et livre  une des clés de sa lecture.

La Familia Grande n'est pas un livre sur la pédophilie ni sur l'inceste. Même si c'est ce qui fait son succès commercial, compte tenu de l'identité de ceux qu'elle dénonce.

 C'est un livre sur un de ces microcosmes autoproclamés de non conformisme et de relation "libérée" , un de ces "entre-soi" élitistes et privilégiés auxquels ses membres-sans jeu de mots douteux- sont fiers d'appartenir par choix et par cooptation - tellement plus chic que le lien congénital- :  cette familia grande, cette famille au sens large , comme les idées qu'elle professe.

Comme tout microcosme, fût- il "grande" , celui-ci tient de la secte.
Tu y viens, tu y es adoubé, tu y entres, tu  suis les codes et tu fermes ta gueule.

Cette familia grande c'est celle d'un microcosme germanopratin qui a ses quartiers libres- et aussi d'été - à Sanary. 
C'est celle d'intellectuels de haut vol - une féministe, ancienne maitresse de Castro, une actrice de talent, un politologue, prof de droit dans une pépinière de futurs dirigeants, chouchou des medias, des amis, "rich and famous" de préférence,  et puis des enfants, des enfants de toutes provenances, adoptés,  affiliés, rattachés par leurs parents à la sphère artistique, journalistique ou politique...On est nudiste, libéré, libéral au sens noble, on est ouvertement tendre, gaiement non conformiste.

Tellement plus intelligente que les familles nombreuses, tellement au-dessus des grandes familles , la familia grande!

 Mais comme une secte, elle manipule , elle  asservit, la familia grande, elle réduit au silence puis abandonne ceux qui se rebellent et sortent du cercle pour tenter d'en dénoncer les rituels toxiques.

Ceux-là sont des traîtres  qu'on abandonne à leur double culpabilité : avoir subi, avoir trahi. Dont on refuse de relayer la parole alors même qu'on la sait fondée.
Dont on s'écarte comme de pestiférés.

La familia grande est l'histoire d'une culpabilité qui étouffe, d'un silence que l'on brise alors qu'on n'est même pas la victime du viol, de l'inceste, de la prédation.
Juste un témoin, pire, une complice . Et que parler est donc doublement difficile.

Le courage de Camille est d'avoir osé voler la parole à son frère. 

D'avoir dit son terrible sentiment de culpabilité quand son beau-père,  Olivier Duhamel pour ne pas le nommer, sortait de la chambre de son frère jumeau de 13 ans " apres s'être fait sucer" pour passer dans la sienne, plein "d'odeurs inconnues et aussitôt détestées",   pour s'assurer,  avec une tendresse toute paternelle, de sa collaboration et de son silence.

Le courage de Camille a été de tenter de parler à sa mère. Sans succès,  si ce n'est une incompréhensible solidarité avec son pédophile de mari.

Le courage de Camille est celui d'avoir écrit ce livre.

Il n'a ni la force, ni la clarté,  ni les qualités litteraires du Consentement de Vanessa Springora, ni le  brio  ni l'argumentaire fouillé de la Fabrique des pervers de Sophie Chauveau.  Ni la violence des récits d'Angot, ou de Féroces  de Robert Goolrick

La Familia Grande est un cri, parfois diffus, entrecoupé, encore teinté d'un reste de joie enfantine et de puérile admiration. le cri d'une ancienne petite fille de 45 ans qui n'a pas pu avoir confiance en sa maman, et qui, par-delà la mort, lui écrit une dernière lettre d'amour trahi et d'abandon douloureux .

C'est le cri de colère d'une petite fille qui avait peur de son vrai père (terrible portrait de Bernard Kouchner,  éruptif et cassant) et qui s' en etait choisi un autre, gentil, séduisant, attentionné.  Lequel a massacré son enfance et celle de son frère.

La Familia Grande devrait aider tous ceux et celles que musèlent la pression de l'amour  et le poids de leur culpabilité/complicité,   réelle ou figurée. 

Elle devrait les pousser  à  prendre la parole et à dénoncer  tous ces prédateurs au loup de velours  qui avancent masqués dans toutes sortes de familles, les  normales, les petites, les recomposées. 

Et les grandes aussi.

Et pour ce courage ,  nous pouvons la  remercier tous. .

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