Sa bouche se pinçait comme celle des bourgeoises mal aimées. Il y avait au bord des ses yeux pers l'éclat brillant d'une larme qui ne voulait pas couler.
La gracieuse physionomie de son amie lui revint en mémoire. Son œil fripon, légèrement bridé, l’ovale carré de son visage volontaire, auréolé d’une broussailleuse chevelure. Une personnalité atypique, amorale, dont l’impulsivité et l’humour noir choquaient les bienséants, agressés par son courage de dire tout haut ce qu’ils osaient à peine penser.
Il y avait entre ces deux-là une complicité malsaine. De l’amour sûrement, mais un amour entaché par on ne sait quelle amertume ou quelle rancœur.
« Chaque penseur peint son univers et chaque chose avec moins de couleurs qu’il en existe et il est aveugle à certaines couleurs », disait Friedrich.
Barby, sceptique, lui reconnaissait cependant un talent créatif et un don sans conteste pour fixer sur la toile des ambiances perturbantes. Avec un goût prononcé pour l’esthétique du laid. Bien que l’artiste se montrât dans le quotidien plutôt drôle et avenante, cette facette de sa personnalité n’avait rien d’imprévisible. Ses tableaux, accrochés aux murs ou posés négligemment au sol, voire entassés dans un coin, attiraient le regard. Elle exploitait dans ses œuvres ses pensées funestes, exprimant sa vision quasi surréaliste du monde. Vision qui prenait racine dans son quotidien.
Elle avait tellement besoin d’être aimée même une heure, même un soir. L’amour, rien que l’amour comme réconfort.
Qu’est-ce qu’on peut dire à une fille qui a un chagrin d’amour ? À part qu’on la trouve belle et désirable et que le con qui lui fait de la peine ne la mérite pas. Mais c’est bateau.
L’humeur versatile des femmes n’était pas une légende. Avec cette fille qui passait du rire aux pleurs, ça se confirmait.
Elle n’était pas la compagne qu’il chérissait, pas même Barby Blue, mais juste la fille en bleu. Avec tout ce que cette appellation contenait d’imposture. Une imposture qui avait débuté dans les sphères et les bulles de champagne d’une soirée parisienne.
De toute part, les enceintes faisaient résonner le morceau « Unchain my heart ». La voix cassée du crooner enlaçait la femme fatale de modulations érotiques. Un acte d’amour fusionnel, dont l’ultime murmure plaqua le corps en transe aux barres verticales. Le souffle irrépressible qui soulevait la poitrine sublima ce final improvisé. Voluptueux et fascinant. À la hauteur de ces quelques minutes hors du temps. Les applaudissements crépitèrent. On pouvait deviner dans cet enthousiasme bruyant l’admiration de ses futures comparses.