Selon
Georges Nivat, le grand expert suisse de la littérature russe, qui a écrit un bref avant-propos au présent ouvrage,
Marina Tsvétaïéva fait partie du quatuor des grands poètes russes du XXe siècle avec
Boris Pasternak,
Ossip Mandelstam et
Anna Akhmatova.
L'auteure,
Irma Koudrova, qui a un doctorat en
lettres russes, est une spécialiste de la vie et l'oeuvre de la grande poétesse et a pu éplucher les archives du NKVD (le précurseur du KGB) avant que Poutine n'en interdise l'accès, pour préparer sa biographie, sortie en 1995 à Moscou et traduite en Français et annotée efficacement par
Hélène Henry-Safier, en 2015.
Dès son retour en Russie en juin 1939, après 17 ans d'absence, Marina a tout de suite pu se rendre contre de l'ampleur catastrophique des activités incompréhensibles de ce NKVD, sous l'horrible Staline, de 1936 à 1939, la période noire des grandes purges et procès bidons.
Arrivée à Moscou, sa fille,
Ariadna Efron, surnommée Alia, apprend à sa mère la longue série d'arrestations et disparitions mystérieuses, parmi lesquelles sa propre soeur aînée, Anastassia
Tsvétaïéva, et son neveu Andreï Troukhatchev, mais il y a également tous ses ami-e-s connus à Prague et Paris.
Dans la maison de bois attribué à son mari, Sergueï Efron qu'elle avait épousé très jeune en 1912, règne la peur. La petite colonie de Bolchévo, où Marina allait rester 5 longs mois, se trouve à 28 kms de Moscou, mais constituait une enclave isolée, que Nina Klépinina, une amie, a décrite comme un "établissement carcéral préventif".
Le 27 août 1939, sa fille Ariadna de 27 ans est arrêtée et peu après, le 10 octobre, son mari Sergueï Efron. Les 2 sont transférés dans les caves de l'épouvantable Loubianka, siège du NKVD à Moscou et "forcés" à des aveux : elle d'espionnage pour les services de renseignements français ; lui pour haute trahison et complot en faveur de Trotsky, l'ennemi numéro 1 de Staline.
Les 2 mandats d'arrêt portent la signature de Lavrenti Beria, l'homme le plus puissant et bras droit du tsar rouge.
Les soi-disant aveux ont été obtenues par les méthodes classiques dans ces services : chantage, tortures, menaces, privations de sommeil etc.
On peut s'étonner que dans ces temps de folie furieuse
Marina Tsvétaïéva ne fût pas arrêtée à son tour, d'autant plus qu'elle avait osé écrire 2
lettres à Staline pour demander la clémence pour son mari. Est-ce qu'elle a bénéficié d'une protection en haut lieu ou est-ce tout bêtement de la négligence du NKVD ? Même
Irma Koudrova, malgré ses recherches, ignore la réponse.
Entretemps, la vie de Marina et de son fils Gueorgui de 14 ans, était précaire et pénible. Sans ressources propres, elle devait traduire pour survivre, entre autres des oeuvres de
Vaja-Pchavéla, Géorgien comme Staline. Et l'aide de Pasternak, qui avait réussi à permettre
Tsvétaïéva de s'installer à Golitsyno, près de Moscou dans une maison de repos des écrivains, où elle était au centre de l'intérêt.
Fin 1939 et 1940, Marina n'écrivait plus
de la poésie. Comme elle l'a noté dans son cahier, avec "la surabondance" de sentiments de rancoeur, d'amertume, de solitude et de peur, elle n'y avait plus le goût.
En fait,
Marina Tsvétaïéva était suicidaire et elle l'a noté dans ce même cahier : "Personne ne voit, personne ne sait que depuis un an à peu près je cherche des yeux un crochet..." (pour se pendre).
Ses 2 rencontres avec
Anna Akhmatova, en janvier 1941, ne changeront rien à son moral. Il est vrai que les 2 grandes poétesses étaient bien trop différentes pour devenir proches et cela en dépit du fait qu'elles avaient le même âge (Anna n'avait que 3 ans de plus) et qu'
Akhmatova avait aussi connu la douleur avec l'arrestation de son compagnon et de son fils.
Peu après l'attaque nazie de la Russie, Marina et son fils sont transférés de Moscou à Ielabouga au Tatarstan, soit à plus de mille kilomètres à l'est de la capitale. Arrivé dans ce désert le 17 août 1941, 2 semaines plus tard, le 31 août,
Marina Tsvétaïéva se suicide par pendaison. Elle n'avait que 48 ans.
Dans un très long chapitre l'auteure analyse les différentes interprétations du suicide de cette grande poétesse. J'apprécie les efforts d'
Irma Koudrova d'avoir interrogé une multitude de personnes en vue de reconstituer les derniers jours de Marina
Tsvétaïéva et ainsi ses motivations profondes, mais la lettre d'adieu qu'elle avait posée sur la table, dans laquelle elle explique qu'elle s'est retrouvée "dans une impasse" est à mon avis assez explicite.
Surtout si l'on situe ses derniers mots à la lumière de ses malheurs depuis son retour en Russie, en particulier l'arrestation de son mari, de qui elle n'avait plus aucune nouvelle, et de sa fille.
Ariadna Efron a été condamnée, le 2 juillet 1940, pour activités d'espionnage à un camp de correction par le travail pour une durée de 8 ans. Libérée en 1947, elle est de nouveau arrêtée en 1949 et libérée définitivement 2 ans après la mort de Staline, en 1955. Avant de mourir, 20 ans plus tard, elle a écrit plusieurs ouvrages, dont "
Marina Tsvétaïéva, ma mère".
Gueorgui Efron, son fils, sera tué au front en 1944, il n'avait même pas 20 ans.
Sergueï Efron, son mari, a été fusillé le 16 octobre 1941, 2 mois après le suicide de sa bien-aimée épouse.
La vie, l'oeuvre et le drame de Marina
Tsvétaïéva ont inspiré divers auteur-e-s.
Je signale de
Véronique Lossky "
Marina Tsvétaïéva : Un itinéraire poétique", de Maria Belkina "Le destin tragique de Marina
Tsvétaïéva" et de
Vénus Khoury-Ghata "
Marina Tsvétaïéva, mourir à Elabouga".
Je laisse le mot de la fin à la grande poétesse (une note de 1939, à la p.132) :
Dans l'enfer des non-hommes
De vivre - je refuse !
Avec les loups des rues
De hurler - je refuse !