![]() |
Suzu, 18 ans, vient de quitter les siens. Désormais, c'est auprès de son mari et de sa belle-famille que la jeune mariée partagera la douce banalité du quotidien. Suzu, rêveuse, enseigne à sa toute jeune nièce l'art de promener une libellule endormie au bout du doigt. Maladroite, étourdie, elle s'égare parfois dans les dédales d'une ville qui n'est pas la sienne, et échange alors d'aimables propos avec de belles étrangères. Altruiste, elle met en oeuvre d'ingénieux stratagèmes pour permettre à sa belle-mère de se déplacer… Étoffons notre propos : 1944 : Suzu, 18 ans, vient de quitter Hiroshima, où vivent tous les siens. Désormais, c'est auprès de son mari et de sa belle-famille, non loin de la base navale de Kure, que la jeune mariée partagera la douce banalité du quotidien. Harumi-Chan, la petite promeneuse de libellules, est, du haut de ses 6 ans, passée maître dans l'art de distinguer croiseurs, porte-avions, cuirassés, parmi les ombres silencieuses qui stationnent dans le port ; la belle étrangère avec qui Suzu échange d'aimables propos n'est autre qu'une geisha, recluse dans un quartier de la ville et veillant au repos des valeureux soldats de l'empire ; quant à la belle-mère de Suzu, c'est avec plaisir qu'elle accepte l'offre toute patriotique qui lui est faite d'assister aux conférences du comité de « volontariat des femmes » pour oeuvrer à la victoire finale du Japon… Par ailleurs, corrigeons également ceci : le quotidien de la jeune épouse est tout sauf « doux » et « banal », restrictions alimentaires et vestimentaires obligent ! Chaque jour, il lui faut faire preuve d'ingéniosité pour affronter, et contourner, les privations. Et Suzu avance dans la vie, vaillante, souriante, portée par une âme bonne et rieuse. Fumiyo Kouno s'est longtemps refusée à mettre en dessins Hiroshima, sa ville natale, devenue pour nous tous bien plus qu'une ville : une date, un point de non retour dans l'histoire mondiale. Elle a sauté le pas en 2004, avec "Le Pays des Cerisiers ». Elle en reprend ici la thématique, mais sous un autre angle. Et c'est à nouveau une réussite absolue. Remarquable artiste, Fumiyo Kouno sait traduire le clapotement de l'eau, la mobilité ondoyante des roseaux, le doux plumage des oiseaux ; elle suggère l'averse, représente le vent, saisit toutes les variations de la mer, du ciel ; elle restitue avec maestria la texture de la vie ; et elle dresse un magnifique portrait, en la personne de Suzu, ce petit canard boiteux que nous apprenons très vite à aimer. le dessin dialogue, fluide, avec le texte, et le tout s'imbrique, comme une évidence, avec une insolente liberté - je vous renvoie aux passages où Suzu prépare les repas… ou comment, d'un habile coup de crayon, rendre savoureux un repas fait de trois fois rien - restrictions obligent ! - par la grâce d'une jeune femme qui oeuvre avec constance pour le bien-être de tous. Mais déjà, des nuages noirs s'amoncellent aux alentours du port… des nuages lourds de menaces qui, on le sait, déverseront très bientôt une pluie maléfique sur une population civile faite de belles-mères un peu handicapées, de petites promeneuses de libellules endormies, de jeunes épouses timides et hardies à la fois. Nous refermons le tome 1 à la date de novembre 1944, le coeur serré, conscients, ô combien, de ne pas lire un simple roman de science-fiction. Et trop conscients, hélas !, de ce que le tome 2 nous réserve. + Lire la suite |