j'ai acheté ce livre lors d'un bref séjour à Vilnius, à la librairie française de la ville (oui, il y a une librairie française à Vilnius, c'est l'info de cette critique ;-) ).
J'avoue que j'ai eu un peu de mal à entrer dans ce livre mais, petit à petit, je me suis attachée à plusieurs des protagonistes. Notamment à Andrius, qui pense pouvoir gagner sa vie en France en faisant le clown, dans les rues ou dans les hôpitaux. Il fait montre de générosité et d'empathie et fait de belles rencontres, et lui et sa compagne parviennent à faire un bout de chemin en France, avec l'espoir d'une vie meilleure. Deux autres couples ont des destins différents, l'un part en Grande-Bretagne et s'y perd quelque peu. Celui qui reste en Lituanie passe par des péripéties déroutantes et j'avoue qu'au début j'ai eu du mal à supporter le. personnage de Vitas et ses idées absurdes comme de teindre en couleurs les animaux familiers. Et puis le personnage évolue et mon opinion a évolué avec lui. J'ai beaucoup aimé le personnage de Renata, soucieuse des autres, de son grand-père, du chien de celui-ci…
Ce serait trop long (et en dirait trop sur l'intrigue) d'en dire beaucoup plus mais ce roman mérite d'être lu pour la vie dans la campagne (souvent enneigée) de Lituanie, pour le personnage énigmatique de Kukutis le voyageur missionnaire, et pour tous les espoirs souvent déçus qui constituent un tableau contemporain d'une partie de l'Europe.
Bref, j'ai bien aimé ce livre, à partir du moment où j'ai adopté les personnages et leur (fréquente) mélancolie.
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Un joli roman fait d'histoires humaines et touchantes. Kourkov est définitivement l'écrivain de la tendresse.
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Dans ce roman fort et onirique, l’Ukrainien Andreï Kourkov entremêle quatre histoires aux portes de Schengen.
Lire la critique sur le site : Liberation
Šeštokai. 20 décembre 2007
La Terre n’est pas aveugle, même la nuit, elle garde les yeux ouverts. Elle contemple de ses immenses pupilles – lacs, mers et océans – les ténèbres et le ciel. Elle voit et reflète tout. Seulement, personne ne sait très bien si elle garde en mémoire ce qu’elle a vu. Et si oui, de quelle manière ? Et où sa
mémoire est-elle cachée ? Peut-être ces questions sans réponse expliquent-elles que l’homme se prend souvent pour les yeux de la Terre et tente de retenir ce qu’il voit, de le raconter, de le consigner dans des archives. Et ainsi croit-il écrire l’histoire du monde, alors qu’en réalité il ne rend compte que de l’infime part qu’il en entrevoit.
Mais le regard humain est une chose, celui de la Terre en est une autre, immense et insondable. La Terre a toujours le sien levé en l’air, braqué sur le ciel, alors que l’homme ne regarde qu’autour de lui. Parfois il scrute l’horizon, parfois la voûte céleste, quand il se sent observé de là-haut, mais la Terre ne regarde toujours que le ciel. Elle se moque de tout, sauf de
ce qui se trouve au-dessus d’elle. Or au-dessus d’elle, ce n’est toujours que du bleu, du noir ou du gris. Et aussi du soleil de temps à autre, et aussi des nuages, le feu clignotant d’un avion de ligne ou quelque point scintillant en mouvement parmi les étoiles, lancé par les hommes, espion cosmique fait
de métal brillant qu’on appelle « Spoutnik ». Ces Spoutniks – « compagnons de route » en russe – sont l’unique tentative de l’humanité pour tourner son regard vers le bas. Sans doute les premiers savants rêvaient-ils que le regard de la Terre et celui de son compagnon de route finissent un jour par se croiser. Et que le spoutnik parvînt à photographier la réaction de notre
planète à cette plaisanterie d’hommes de science. Les premiers savants sont morts déjà. Et leurs successeurs ont tout oublié ou bien n’ont jamais rien su de leur projet. Ils ont bien essayé, au moyen des spoutniks, de repérer tous les sentiers dans les forêts, et tous les navires, surtout de guerre, sur les océans.
Et il n’y avait pas pour eux de plus sérieux obstacle à leur observation que les lourds nuages chargés de neige, pressés d’emmitoufler la Terre d’une pelisse immaculée pour qu’elle pût hiberner au chaud.
Ainsi, le spoutnik qui survolait cette nuit-là la Lituanie orientale ne pouvait rien en distinguer. Il n’avait même pas remarqué que depuis un mois déjà, les premières neiges étaient enfouies sous des couches nouvelles.
Le 20 décembre 2007, à minuit moins le quart, un vieil homme s’approchait sans hâte d’une barrière, près du village de Šeštokai perdu quelque part entre Kalvarija et Lazdijai, juste à la frontière du territoire lituanien, bien loin de la forêt d’Anykščiai. D’un pas assuré, mais curieusement chancelant,
il s’approcha et fit halte à cinq ou six mètres, au beau milieu de la route dont l’accès était défendu par une flèche bicolore.
Une maisonnette peinte en vert se dressait à côté, dont deux fenêtres étaient éclairées. Une lumière, légèrement tamisée, presque intime, s’en échappait. Et même la barrière scintillait, éclaboussée par ricochet par cette lumière jaune dont l’éclat, frappant d’abord la neige, s’éparpillait sur toutes les vitres alentour.
La porte grinça. Un garde-frontière parut dans l’encadrement de bois. Il leva la tête, regarda l’ampoule pendue sous l’auvent. Elle doit avoir gelé, songea-t-il. Empoignant la douille d’une main et l’ampoule de l’autre, il les fit tourner dans les deux sens. Et, réveillée par les mains du garde-frontière, la
lampe se ralluma. Le soldat, manifestement content de lui, sourit, inspira l’air glacé et l’expira sous forme de vapeur.
Il s’appliqua pendant trente bonnes secondes à ne pas remarquer le vieil homme que la soudaine lumière de l’ampoule ressuscitée forçait à cligner des yeux. Puis, mal à l’aise, il finit par adresser un signe de la tête à l’étranger. L’homme, qui l’observait, opina à son tour, tira de la poche de son manteau gris au col relevé une montre de gousset à l’ancienne mode et
en ouvrit le couvercle. Minuit moins huit.
« Peut-être voulez-vous entrer ? demanda poliment le garde-frontière.
– Peut-être, oui, répondit le vieillard sans pour autant bouger.
– Eh bien, venez. Nous avons du thé, et même un truc un peu plus fort !
– Comment ça ? s’exclama l’autre, surpris. Vous êtes prêts à inviter tout le monde à la file ? Et puis, est-il bien permis de boire à la frontière ?
– Aujourd’hui, on peut, soupira le soldat. Aujourd’hui, c’est une journée comme ça, où c’est possible. »
Il s’engouffra dans la maisonnette. À sa suite, le vieux gravit les trois marches en posant avec précaution sa jambe droite dont le genou ne pliait pas et qui se terminait non par une lourde bottine, comme la gauche, mais par une rondelle de caoutchouc clouée à un talon de bois.
Dans la grande pièce régnait une odeur de cannelle et de clou de girofle. Sur une plaque électrique, une petite bouilloire émaillée soufflait par son bec des nuages de vapeur.
Une bouteille trapue de Žalgiris trônait sur l’appui de fenêtre entre deux pots d’aloès guère plus grands qu’elle. À côté, plusieurs verres à alcool. Et sur le mur, au-dessus du bureau, était accroché un portrait du président Adamkus.
Le vieillard considéra tour à tour le président et les trois gardes présents dans la pièce.
« Est-ce ainsi qu’on surveille une frontière ? demanda-t-il, perplexe.
– Nous fermons, expliqua le plus gradé, d’une voix pleine
de tristesse, en écartant les bras en signe d’impuissance.
– Vous fermez la frontière ?
– Au contraire. Nous l’ouvrons. Mais nous fermons le postefrontière,
dit le deuxième.
– Et où va-t-on vous affecter ?
– Ce sera différent pour chacun, soupira le troisième. Mais moi, je m’en irai sûrement de l’autre côté, à l’étranger. »
Il jeta un regard désabusé par la fenêtre.
« Oui, il y a sans doute des pays qui manquent de gardesfrontière, déclara le vieil homme d’une voix songeuse après un bref silence. Mais ces pays-là ou bien sont malades ou bien sont trop grands… Si ce n’est pire ! »
Si Dieu, créateur de la Terre, avait été allemand, la Terre serait carrée. Tous les angles seraient droits, et il serait beaucoup plus facile de s'y déplacer. Il y aurait beaucoup plus de gisements de fer et de charbon. Et toutes ces précieuses ressources reposeraient à une profondeur commode, au voisinage d'une route permettant d'y accéder.
Seulement, personne ne sait très bien si elle [la Terre] garde en mémoire ce qu'elle a vu. Et si oui, de quelle manière ? Et où sa mémoire est-elle cachée ? Peut-être ces questions sans réponse expliquent-elles que l'homme se prend souvent pour les yeux de la terre et tente de retenir ce qu'il voit, de le raconter, de le consigner dans des archives. Et ainsi croit-il écrire l'histoire du monde, alors qu'en réalité il ne rend compte que de l'infime part qu'il en entrevoit.
Le poste de radio diffusait de la musique de Debussy, si légère et si douce, qu’on pouvait l’attraper et la porter à son oreille sur le bout d’un petit doigt.
- Et à quoi croyez-vous ?
- A Dieu, au bien, et au fait que le but de tout voyage est de sauver un être en détresse.
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