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°°° Rentrée littéraire 2019 #23 °°°

Voilà un livre qui a du coffre et du coeur, empreint d'un souffle romanesque puissant qui nous emporte de Brooklyn au goulag soviétique, dans le sillon d'une famille juive américaine fracassée par l'histoire, sur trois générations, des années 1930 à 2008. On ne peut qu'être impressionné par l'ambition de cette saga familiale et historique, le premier roman d'une jeune auteure qui a mis neuf années à l'écrire.

Le tour de force est plus que réussi ! J'ai été emportée sur plus de 600 pages. Si la chronologie est quelque peu erratique dans les premiers chapitres, si la narration chorale surprend entre le « je » de la mère et la troisième personne pour le fils ainsi que le petit-fils, on prend vite ses marques dans ce yo-yo temporel et les aller-retours entre les Etats-Unis et l'URSS / Russie. Peu à peu, les intrigues convergent et se font écho. Les trois personnages principaux – la grand-mère, le fils, le petit-fils - sont très intéressants car en constante  évolution, en constante réflexion sur eux-même, en mouvement perpétuel.

Si les passages concernant le petit-fils dans la Russie actuelle m'ont moins intéressée, j'ai adoré suivre la passionnée Florence, jeune juive de Brooklyn. C'est elle qui initie la saga lorsqu'elle quitte New-York en 1934 à bord d'un bateau à vapeur en partance pour la Lettonie puis Magnitogorsk, la ville industrielle modèle de Staline. Elle refuse de se conformer à une société américaine capitaliste en pleine dépression économique. Elle refuse de rejoindre les rangs des indifférents ou des mécontents chroniques. Animée par un besoin irrépressible de découvrir le monde par elle-même et d'être aux premières loges de l'Histoire, l'URSS de Staline lui apparait l'endroit où il faut être pour impulser ce changement. Elle rêve de société sans classe, d'égalité entre les sexes, d'amour aussi. Forcément, les désillusions vont suivre.

Le talent de conteuse de l'auteure nous happe pour suivre Florence dans ses impossibles luttes contre la bureaucratie soviétique, contre les absurdités de la vie quotidienne sous un régime totalitaire, contre le fatalité de la mort programmée au Goulag, sanas que jamais elle ne renie la Révolution communiste. Il est tellement difficile de s'avouer que l'on s'est trompé quand on a tellement cru à des idéaux élevés et que la désillusion vous foudroie. C'est ce que son fils Julian / Ioulik va essayer de comprendre lorsqu'il entreprend de revenir en Russie lorsque le KGB ouvre ses archives jusque là secrètes.

J'ai été sidérée de découvrir comment des citoyens américains avaient été piégés en pleine terreur stalinienne, privés de leur passeport par un tour de passe-passe, avant d'être abandonné par le gouvernement américain.

En fait, tout est passionnant dans ce roman roche et foisonnant tant il pose des questions complexes – tout en se gardant d'y répondre, le lecteur est considéré comme suffisamment intelligent pour éviter tout discours moralisateur ou lourdaud - sur les idéaux et les compromis qui nous font les mettre de côté ; sur la loyauté à sa famille ou à ses convictions personnelles, il faut choisir quitte à faire de lourds sacrifices selon le choix fait ; sur l'identité dans la migration ; sur la filiation aussi avec notamment le personnage du fils, Julian / Ioulik dont l'enfance a été sacrifié par les choix idéologiques de sa mère, lui qui voit son fils prendre le même chemin de révolte que sa grand-mère. Et bien évidemment, lorsque toutes ces histoires intimes rejoignent la grande Histoire enchevêtrée des relations entre l'URSS/Russie et les Etats-Unis, avant la guerre froide, durant la Deuxième guerre mondiale, puis durant la Guerre froide jusqu'à aujourd'hui.

Définitivement passionnant.








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Chez Albin Michel, Terres d'Amérique ambitionne de « dessiner une géographie littéraire forte et sensible à rebours des images toutes faites et des idées reçues sur l'Amérique » : pas de doute, Sana Krasikov y a bien toute sa place. Dans Les patriotes – traduit par Sarah Gurcel – elle nous embarque là où l'on ne s'y attend pas : dans une relecture passionnante et réfléchie de 75 ans de relations USA / URSS (puis Russie), à travers une saga familiale sur trois générations.

Fuyant dans les années 30, les relances incertaines de l'Amérique post-dépression de Roosevelt pour les promesses – encore plus aléatoires – de l'URSS post-révolution de Staline, Florence Fein se lance sur les traces de Sergueï, amour déclencheur de son exil. Des déserts glacés de l'est de la Russie avant de revenir à Moscou, sa petite histoire va traverser la grande (espoirs naïfs du collectivisme, chaos de la Seconde guerre mondiale, purges staliniennes, exils et camps…) et ébranler ses convictions, sans jamais totalement y renoncer.

Paradoxe et double peine, Florence une fois totalement intégrée au régime soviétique devra subir les soupçons liés à son américanité, l'antisémitisme latent là-bas comme ailleurs, tout en perdant un beau matin sa nationalité, devenant une de ces refuzniks abandonnés de tous. Des années plus tard dans la Russie Poutinienne, son fils Julian profite d'un séjour professionnel en Russie pour découvrir les archives enfin exhumées de l'ère stalinienne et à travers le dossier de sa mère, ce pan d'histoire familiale cachée.

Même si l'entrée dans le livre est un peu ardue, le temps de s'habituer au thème, on se laisse vite embarquer dans l'exercice de style réussi de Krasikov : alterner les narrations et les époques ; mélanger faits historiques -sans en faire un cours magistral ni étaler abusivement ses longues recherches- et saga romanesque ; décrire les petites horreurs du quotidien et les exterminations politiques sans tomber dans le pathos ni le sensationnalisme ; soigner son écriture tout en la gardant accessible pour mieux servir son sujet délicat…

Ça fonctionne, et ça fonctionne même plutôt bien, d'autant plus que Krasikov prend le parti de ne rien juger mais de laisser au contraire ouvertes la plupart des interrogations qu'elle suscite. Les tourments de Florence ne tournent-ils pas au syndrome de Stockholm, subissant les coups de ses bourreaux sans aller jusqu'à condamner leur idéologie ? le système corruptif des affaires dans la Russie d'aujourd'hui que découvre Julian n'est-elle pas la forme contemporaine de la société soviétique à deux vitesses d'antan ? Mais aussi comment les choix, entêtements, combats, convictions de Florence ont-ils influé sur la vie de son fils ? Et Julian peut-il interrompre la reproduction d'un tel schéma avec son propre fils ?

Autant de questions qui font de ce livre une lecture riche donc, de celles dont on se souvient.
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Grosse déception avec ce roman que j'avais pris pour une saga familiale passionnante entre les USA et URSS / Russie d'aujourd'hui, enfin c'est du moins ce que j'en avais déduit en lisant le résumé de la quatrième de couverture.

En fait, il n'en est rien, le début de cette lecture est vraiment laborieux et je n'y arrive plus. Je choisis donc d'abandonner ce roman au bout de 150 pages. Abandonner un roman, c'est quelque chose que je n'aime pas, j'aime donner une chance à une lecture mais ici rien ne me plais :
Le rythme est lent, l'écriture sans transition et complètement décousue, les personnages ne sont pas attachants, le roman ne démarre pas car à chaque fois qu'il se passe quelque chose, l'auteure arrive avec un nouveau paragraphe qui parle d'un flashback ou d'un autre personnage et l'on perd complètement le fil de l'intrigue. Dommage !
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Il ne m'a pas été facile de lire ce roman de près de 600 pages qui parcourt plus de soixante-dix ans de l'histoire d'une famille piégée en quelque sorte en URSS. L'auteur a choisi d'alterner les chapitres qui suivent les pérégrinations de Florence Fein à partir du moment où elle débarque en URSS en 1935 et ceux qui voient son fils revenir en Russie en 2008 pour un voyage d'affaires. On a deux histoires : celle de Florence venue en URSS pour retrouver un homme et persuadée que la vie est meilleure sous le ciel communiste. Et celle de son fils, qui vient pour négocier des contrats avec des hommes d'affaires russes qui ressemblent plus à des gangsters d'ailleurs, et éventuellement, obtenir le dossier de sa mère qui dort dans les archives du KGB. Quelle que soit l'époque d'ailleurs, on se dit que vivre dans ce pays relève de la gageure, il ne fait pas bon d'être étranger là-bas, on a l'impression qu'on va se faire embarquer à tout moment et finir dans une cellule.
J'avoue que j'ai eu du mal à comprendre et à m'intéresser aux tractations commerciales entre Julian et les russes, j'ai bien saisi le côté tortueux et illégal de l'affaire mais j'ai trouvé que cela prenait trop de place dans le roman. J'ai préféré, et de loin, tous les chapitres consacrés à sa mère qui a eu cette idée folle de quitter les USA pour l'URSS. Non seulement, elle va de désillusions en désillusions, mais bientôt elle se retrouve prisonnière de ce pays quand une fonctionnaire zélée, lui confisque son passeport, pour lui redonner à la place un pauvre papier stipulant seulement qu'elle est une étrangère. Ce qui la rend suspecte d'autant plus qu'elle essaie un jour de rentrer dans l'ambassade américaine sans succès d'ailleurs, car les USA ne veulent plus entendre parler de ces compatriotes ayant fait de mauvais choix. La Grande Guerre patriotique lui permettra paradoxalement d'être à l'abri mais, avec la Guerre froide, et la paranoïa galopante de Staline, elle est arrêtée et envoyée dans le fin fond de la Sibérie couper des arbres. C'est son fils, qui des années plus tard, comprendra comment elle a pu sortir vivante de cet enfer. J'ai eu du mal en tout cas à éprouver de l'empathie pour ce personnage féminin dur et entêté et dont les actes ne sont pas sans conséquences pour ses proches. Un roman fleuve que j'ai bien aimé. Mais pas un coup de coeur.
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Il s'agit d'une immense fresque, se déroulant sur trois quart de siècle, entre les USA et ce qui était l'URSS et ce qui est redevenu la Russie. Nous suivons les destinées de Florence, depuis le début des années 30 du siècle dernier. Fille d'immigré juifs originaires de Russie, elle fait des brillantes études de mathématiques, mais travailler, surtout pour une femme, est difficile pendant la grande dépression. Elle trouve un peu par hasard, un peu grâce à sa maîtrise du russe, un emploi dans un organisme soviétique, organisant l'import de technologies américaines, et tombe amoureuse d'un ingénieur en visite. Pour le retrouver, pour fuir le carcan de la vie familiale étriquée, par idéalisme et envie de participer à quelque chose qui lui paraît être l'avenir, elle décide de partir pour l'URSS. Elle va découvrir progressivement la réalité du régime, mais le piège s'est refermée sur elle, et elle ne peut plus quitter le pays. Elle va donc vivre toute l'histoire soviétique, jusqu'au début des années 80, où elle finira par rentrer chez elle, avec son fils et ses petits enfants. Elle est le personnage principal du livre, mais à son destin se mêlent les voix de son fils, Julian, et de son petit fils Lenny. Tous les deux nés en URSS, n'arrivent pas d'une certaine façon de s'en détacher : Julian travaille pour une société qui l'y envoie régulièrement et Lenny s'y est même réinstallé. Cela permet d'avoir un aperçu des transformations et de l'histoire plus récente, jusqu'en 2008.

Le petit résumé ci-dessus montre à quel point le livre est ambitieux : il s'agit de balayer l'histoire sur une immense période, et d'aborder tous les incontournables : les purges staliniennes, la seconde guerre mondiale, le complot des blouses blanches et les répressions contre les juifs, le goulag, les transformations des années 80, le fonctionnement mafieux de l'actuelle Russie...Et comme fil rouge, une thématique moins connue, celle des Américains (et plus largement des Occidentaux) venus en URSS et empêchés d'en sortir. Tout cela grâce au destin d'une famille. La construction que entremêle les époques et les différents personnages est très sophistiquée, et permet de maintenir la curiosité du lecteur en permanent éveil : un petit détail lâché ici ou là, nous fait nous interroger sur ce qui s'est vraiment passé à un autre moment, et nous attendons avec impatience d'en savoir plus. C'est très maîtrisé, et cela rend le livre très passionnant à suivre.

J'avoue avoir embarqué quasiment sans restriction au départ, et avoir pris du plaisir à lire ce livre efficace et très bien fait. Mais au fur et à mesure, j'ai commencé à le trouver peut-être un peu trop efficace justement, sans le petit plus personnel réellement inspiré, qui en ferait quelque chose d'exceptionnel. La fin, un peu trop optimiste et volontaire, ne m'a pas non plus convaincue. Voir des personnages tenir tête et d'une certaine façon obtenir gain de cause face aux sbires du NKVD (l'ancêtre du KGB) et de la mafia russe actuelle, est certes réconfortant mais pas très réaliste à mon sens. Je suis donc un peu mitigée : incontestablement un livre bien fait et dans l'ensemble qui se lit très bien, mais qui n'échappe pas à quelques facilités. Sur les sujets abordés dans ce roman, il y a, me semble-t-il des oeuvres plus essentielles, même si peut être plus complexes à appréhender. A réserver surtout à ceux qui connaissent moins le contexte, et/ou qui privilégient le romanesque pour mieux découvrir une époque historique.
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Un sujet très original pour un premier roman impressionnant de maîtrise et de souffle : je ne me souviens pas avoir avant cette lecture entendu parler de ces citoyens américains immigrés volontaires en URSS dans les années 30, qui par conviction politique, qui par opportunisme, qui pour fuir le marasme économique de la grande dépression.
Ou encore, comme Flora, pour respirer à plus grand poumons dans une société nouvelle où les femmes ne sont pas tenues à des rôles subalternes. Vue des années 30, la jeune URSS dans laquelle Staline n'a pas encore produit ses ravages peut paraître une terre vierge et de liberté pour cette jeune juive, un peu à l'image des premiers colons en Palestine. Plus que tout, Flora veut être libre, sans savoir pourtant payer le prix de cette liberté, que le grand vent de l'histoire se chargera de piétiner.
L'angle original de ce gros et dense roman est que l'on aborde le destin de Flora non seulement en la suivant des années 30 aux terribles années 50, mais aussi à travers les yeux de son fils, rentré en Russie en 2008 pour comprendre les choix douloureux de sa mère dans les archives déclassifiées, mais également de son petit fils lui aussi immigré volontaire dans la Russie livrée au capitalisme sauvage du nouveau siècle. C'est ainsi toute l'histoire de la Russie soviétique que ce roman revisite, avec des accents de vérité qui font souvent écho à "La fin de l'homme rouge" de Svetlana Alexievitch.
Un roman passionnant, en dépit de quelques longueurs dans sa partie moderne, autour d'un portrait de femme tragique tout en ombres et lumière.
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J'avais beaucoup aimé L'an prochain à Tbilissi, le recueil de nouvelles de Sana Krasikov, aussi n'ai-je pas hésité à postuler pour lire ce premier roman, sur lequel l'auteure a travaillé une dizaine d'années, et qui n'est pas autobiographique, mais inspiré par la vie de certaines de ses connaissances.
Dans les années 30, Florence Fein, jeune juive idéaliste parlant russe, travaille pour le gouvernement américain en tant qu'interprète. Une histoire d'amour, ainsi que l'image idéalisée qu'elle se fait de l'URSS, la poussent à quitter sa famille, et partir d'abord à Moscou puis à Magnitogorsk, une ville minière éloignée de tout. Elle va rester en Union Soviétique. Malgré les difficultés, la répression, elle semble ne jamais avoir perdu de vue cette image idéale, même lorsque son entourage la pousse à retourner aux États-Unis, bien des années plus tard. En 2008, son fils Julian, qui conçoit des navires brise-glaces, doit se rendre à Moscou pour des négociations qui s'annoncent compliquées.
Il m'a été utile au début d'écrire une petite chronologie des faits, parce qu'entre 1934 et 2008, il se passe beaucoup de choses dans cette famille, un certain nombre de départs et de retours, et le roman fait aussi des allers et retours, mais finalement, avec les dates en début de chapitres (sous forme de visas, c'est original et amusant), il n'est pas compliqué de s'y retrouver.
J'ajoute qu'un roman qui laisse des questions en suspens dès les premières pages, j'aime vraiment ça, à condition que le rythme suive, et c'est ici le cas.

Roman imposant sans être compliqué, il se singularise par ses narrateurs différents. Julian exprime lui-même ses tribulations dans la Russie de Poutine, et Florence est racontée à la troisième personne, sans que cela la rende plus lointaine, mais au contraire lui donne un vrai statut d'héroïne romanesque, embourbée dans l'Union soviétique stalinienne. La Florence que son fils a connue (retrouvée, en réalité, mais c'est une partie de l'histoire qu'il vaut mieux ne pas dévoiler) n'a jamais renoncé à défendre ses idéaux de jeunesse, et n'a jamais non plus répondu à nombre de questions que Julian se posait. Aussi montre-t-il un grand intérêt pour le dossier du KGB de sa mère qu'il va pouvoir enfin consulter. Florence serait à elle seule un superbe personnage de roman, du genre qu'on n'oublie pas, mais avoir ajouté les histoires de son fils et son petit-fils prolonge largement l'intérêt, et fait réfléchir aux répercussions de certains choix radicaux, sur les générations suivantes.

J'ai beaucoup aimé également les portraits des personnages secondaires, souvent acides, et tracés en quelques mots bien choisis, j'y ai retrouvé l'art des descriptions déployé par l'auteure dans ses nouvelles.
Le roman permet aussi d'aborder des aspects historiques passionnants, et que je ne connaissais pas, je l'avoue : l'abandon par leur propre gouvernement de milliers de juifs américains installés en URSS, et, plus tard, la répression stalinienne contre le Comité antifasciste juif, et la « Nuit des poètes assassinés ».
Cette lecture qui m'a enchantée devrait plaire, me semble-t-il, à ceux qui ont aimé Nathan Hill et ses Fantômes du vieux pays et, comme pour ce roman, vous allez peut-être le laisser passer maintenant, trop de sollicitations, trop de tentations, et tout, et tout, mais vous y reviendrez plus tard, je n'en doute pas !
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Les patriotes, c'est une grande fresque familiale qui va s'étaler sur plus de 70 ans (de 1934 à 2008) et nous faire faire un grand écart entre les États-Unis et l'URSS (sur une mappemonde, l'écart n'est pas énorme, mais prenez un planisphère et vous comprendrez).

Florence est comme bien des jeunes, elle a un idéal, a des objectifs nobles, elle veut être utile, elle a de grands idéaux. Bien souvent, les grands idéaux se terminent vite, une fois qu'on a compris que l'on est peu de choses.

Hélas, Florence, est dans le déni et ne veut jamais comprendre que le communisme et l'URSS ne sont pas aussi beaux et grands qu'elle l'avait imaginés, qu'on lui avait vendu. Bien souvent, j'ai eu envie de lui renverser de l'eau sur le crâne, afin qu'elle se réveille.

Dans ce roman, l'autrice met en scène une vie ordinaire, celle de Florence, une immigrée juive en provenance des États-Unis, parlant le russe, ainsi que celle d'autres personnages, qu'elle croisera au fil de sa vie dans cette URSS qui lui a tout volé, dans ce système sans logique, dans cette grande machine à broyer les êtres humains, afin de nourrir la grande machine bureaucratique du parti-État stalinien…

Si j'ai toujours été attirée par la Russie, l'URSS et son système totalitaire, celui mis en place par Staline, me donne toujours envie de vomir et de partir en courant. Dans le récit, l'illogisme des décisions est bien expliqué, il est implacable, vous faisant passer, en peu de temps, de héros à un traitre à la patrie.

Diviser pour régner, régner par la peur, par la force, par les dénonciations, par les purges, pas les ordres implacables, sans logique. Vous contestez ? Paf, une balle. Vous vous plaignez ? Paf. Vous faites preuve de pas assez de zèle dans votre mission ? Paf aussi. Trop de zèle ? Paf, comme le chef du NKVD, Nikolaï Iejov, en fit l'expérience.

La paranoïa règne en maître et dans ce genre de régime, pas de place pour l'entre-deux. Leur vision est primaire, binaire. Vous êtes soit "avec eux" ou "contre eux". "Prosoviétiques" ou "antisoviétiques", cet état d'esprit primitif ne laisse aucune place à la neutralité. Avec eux, c'est l'enfer ou le paradis, pas de place pour le purgatoire, pas de place pour la neutralité, pour le « pas d'avis ».

Hélas, cet état d'esprit binaire n'est jamais loin de nous, on le revoit souvent remonter à la surface lors d'événements importants ou tragiques. La majorité attend de vous que vous suiviez la meute et son opinion générale. Elle n'admet pas que vous soyez le cul entre deux chaises, incapable d'émettre un jugement pour ou contre, alors que vous, vous voudriez juste avoir plus de données, plus de temps, moins d'émotions, pour émettre un avis.

Non, le système binaire n'admet comme réponse que oui ou non, que "je suis avec vous" ou "contre vous" et exclu le "oui, mais…". La diversité d'opinion, ce n'est pas bon, comme ce l'était du temps de l'autre moustachu parano, assassin de son peuple, qui continuait de le révérer, parce qu'il avait été endoctriné, le cerveau lessivé et parce que critiquer le système, le gouvernement, la machine implacable, c'était un aller-simple pour la mort ou pour un camp de travail.

J'ai beau avoir lu des récits des exactions, cette grande machine à broyer les êtres humains, cela me glace toujours autant, surtout quand mon cerveau fait des connexions avec notre époque actuelle, où, comme dans ce système totalitaire, des gens s'arrogent le droit de dire ce qu'il faut expurger de la littérature, en retirer ce qui n'est pas bon, pas propre, pas reluisant, comme des mots insultants (N-word), ou en ôter les pages sombres de l'Histoire humaine. Réécrire les livres, les traduire autrement…

En URSS aussi, des gens disaient ce qu'on pouvait lire ou ne pas lire, de la littérature étrangère et attention, le vent tournait vite. Mais c'est bien connu, ce n'est pas la girouette qui tourne, c'est le vent. Et le système tourne très vite, faisant de vous un traître alors que vous n'avez fait que respecter les ordres donnés. Faisons gaffe de ne jamais faire revivre un tel système chez nous.

Si au départ, j'avais trouvé Florence un peu fade, rêveuse, engoncée dans le déni, à un moment du récit, elle m'a coupé les jambes lorsqu'elle dénoncera une personne, afin de sauver sa famille, parce qu'elle s'est fait un film dans sa tête, parce que le salopard en face d'elle a bien su jouer avec ses peurs primaires. C'est violent, on a envie de l'engueuler, de la clouer au pilori, et puis, vient la question horrible : qu'est-ce que j'aurais fait, moi ? Ce ne serait sans doute pas glorieux !

Dans ce gigantesque récit, il y a eu des passages qui m'ont ennuyés, qui étaient moins intéressants que d'autres, ce qui a rendu cette lecture un peu laborieuse. Nous sommes face à une brique de 608 pages et lorsque le récit n'avance plus, les pages se tournent plus lentement et on ne se voit pas avancer. J'ajouterai aussi que je n'ai eu que peu d'empathie pour les personnages…

Malgré ces bémols, cette lecture m'a remué les tripes, notamment lorsque j'ai encore relu les exactions du système stalinien, porté par toute une horde de sans grades, prêt à faire leur sale boulot et à appliquer les règles iniques, illogiques, pour ne pas perdre leur place, sans aucun doute et se retrouver du mauvais côté de la table. Certains y ont aussi pris goût, à ce petit pouvoir sur les autres…

La propagande du système m'a retourné l'estomac, surtout qu'elle a toujours lieu, et que j'ai vu des jeunes écolières écrire des lettres aux soldats russes qui font la guerre aux ukrainiens. Et il n'y a pas que là-bas que la propagande est toujours en place.

Mettre les pieds à Perm, dans un camp de prisonniers réduit à pire que des esclaves, cela m'a fait frémir à nouveau. Dans ces camps, les morts ne comptaient pas, il y en avait plein d'autres pour les remplacer. En Russie communiste, la vie d'une personne ne valait rien.

Cette lecture me marquera durablement, comme l'ont toujours fait les romans (fiction ou autobiographique) qui parlent du système stalinien, des goulags, des interrogatoires où les agents du NKVD écrivaient l'histoire eux-mêmes et vous extorquait une signature ensuite, sans vous laisser la possibilité de vous en sortir, puisque qu'elle que soit votre réponse, elle était mauvaise, ou alors, ils vous la retournaient dans la figure, transformée, et vous enfonçait encore plus dans l'absurde.

Un roman fort, une grande fresque, où j'ai apprécié les personnages sur la fin, quand je les ai mieux compris.

Lien : https://thecanniballecteur.w..
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Voici le livre de la rentrée littéraire pour ceux qui aiment les fictions historiques et qui ont envie de découvrir une partie méconnue de l'histoire des relations américano-soviétiques, celle de milliers d'américains abandonnés par leur patrie au coeur de la terreur stalinienne.

1930, alors que les Etats-Unis traversent la Grande Dépression, Florence Fein, jeune américaine juive, décide de rejoindre la Russie. Un départ motivé à la fois par l'amour et par l'idéalisme de la jeune femme qui pense trouver là-bas un pays libre dans lequel tout est possible.
Comme tant d'autres ont quitté la vieille Europe pour le rêve américain, Florence fait le voyage à l'envers. Son Eldorado à elle c'est la Russie communiste.
Des années plus tard, son fils Julian reviendra vivre au Etats-Unis et apprenant l'ouverture des archives du KGB, tentera de de reconstituer le parcours de Florence.

Couvrant trois générations, ce premier roman est une évocation fascinante des années de guerre froide, racontée avec perspicacité et habileté.
En alternant les époques, les lieux et les perspectives de Florence et de Julian, « Les patriotes » est une lecture multi facettes: une histoire mère-fils, une histoire d'amour, une histoire de secret de famille, une histoire d'espionnage, une histoire sur ces deux pays liés dans une danse idéologique.
A la fois fois grande épopée à l'ancienne et roman d'idées contemporain, c'est le genre de roman totalement immersif que l'on a du mal à lâcher.

Traduit par Sarah Gurcel.
Merci au Picabo River Book Club pour cette lecture instructive et romanesque.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
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UNE AMÉRICAINE AU PAYS DES SOVIETS.
Elle part par amour et y restera par conviction.
L'autrice, Sana Krasikov, est née en Géorgie, a vécu en Ukraine, puis s'est expatriée aux USA avec sa famille.
Elle est donc bien documentée pour raconter l'histoire de Florence, cette étudiante new-yorkaise qui, à l'occasion d'un petit boulot d'interprète, va rencontrer l'amour de sa vie sous la personne d'un ingénieur soviétique en visite technique en Amérique. de famille juive et idéaliste de gauche, elle n'aura de cesse que de le rejoindre… et y parviendra : 1934, début des purges staliniennes, la machine à broyer déjà est en route et elle n'y échappera pas. Quand elle s'apercoit que le paradis communiste est en réalité un enfer, également pour les américains expatriés, il est trop tard : passeport confisqué et déchéance de nationalité. Ce fut la triste réalité pour nombre d'américains vivant en URSS à cette époque qui se sont vu fermer les portes de leur ambassade car considérés comme traitres et déserteurs. « Ils sont partis, bon débarras. » du McCarthysme avant l'heure ! Malgré emprisonnement, torture, et goulag, elle restera dans le pays même après la mort de Staline, persuadée qu'elle ne s'est pas trompée dans son choix de société.
Malheureusement, l'autrice va entremêler les chapitres de ce destin terrible mais passionnant, à ceux de son fils et de son petit-fils, probablement pour documenter l'évolution socio-politique moderne de la Russie : Eltsine brade les bijoux de famille sous l'influence de l'école néocapitaliste de Chicago et l'économie russe se corrompt. Ça complique un peu la lecture, surtout au début, le temps qu'on s'y retrouve, de cet ouvrage de 600 pages entraînant par-là quelques longueurs.
Dommage, car il s'agit d'un livre passionnant et bien documenté sur le destin méconnu des expats américains au pays des Soviets.
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