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Pierre Deshusses (Traducteur)
EAN : 9782748900132
562 pages
Agone (07/02/2005)
4/5   10 notes
Résumé :
ET SI SURTOUT la perte de la culture n'était pas achetée au prix de vies humaines ! La moindre d'entre elles, ne serait-ce même qu'une heure arrachée à la plus misérable des existences, vaut bien une bibliothèque brûlée. L'industrie intellectuelle bourgeoise se berce d'ivresse jusque dans l'effondrement lorsqu'elle accorde plus de place dans les journaux à ses pertes spécifiques qu'au martyre des anonymes, aux souffrances du monde ouvrier, dont la valeur d'existence... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
“La langue est la mère, non la fille de la pensée.” Karl Kraus
Malgré deux préfaces, celle du traducteur et celle de Jacques Bouveresse, philosophe du langage, la lecture en est difficile et le compte rendu également.
Aussi je vais faire comme à l'école.
Le flambeau :
Kraus créa en 1899, Die Fackel… le Flambeau, revue dont il fut souvent le seul rédacteur pendant trente-cinq ans. Celle-ci anima la vie intellectuelle et culturelle de Vienne de l'époque.
Ecrit en 1933, édité pour la première fois en 1952 en Allemagne, puis en France en 2005. « Troisième nuit de Walpurgis » est l'un des derniers textes de Kraus.
Le style satirique de troisième nuit de Walpurgis:
Kraus y dénonce la corruption dans le monde littéraire mais aussi politique, judiciaire et économique. Il y utilise un genre très utilisé à Vienne : celui de la presse satirique, et notamment l'imitation ironique. N'hésitant pas à nommer les personnes et journaux qui en sont l'objet.
Ce style trouvera probablement ses limites face au langage Nazi. Celui-ci étant déjà une caricature.
Description de la situation en Allemagne
Alors même qu'il n'était pas très favorable à la démocratie parlementaire, on est stupéfié de ses dénonciations.
Dès 1933 donc, Kraus parle des préparatifs de guerre de l'Allemagne nazie, de l'antisémitisme brutal, des camps de concentration, des tortures, des exécutions sommaires, des sévices perpétrés contre les femmes accusées de « se commettre » avec des Juifs, de la « détention préventive »permettant de mettre rapidement les opposants à l'écart. « C'est un moment, dans la vie des nations, qui ne manque pas de grandeur dans la mesure où, en dépit de l'éclairage électrique et même de tous les expédients de la radiotechnique, on renoue avec l'état primitif et où un bouleversement de toutes les conditions de vie passe souvent par la mort. »
Comment prétendre alors qu'on ne savait pas?
Pour Kraus, on ne voulait pas savoir. Ne pas admettre les choses tant qu'elles ne nous touchent pas personnellement. C'est ainsi que le président du Pen Club autrichien, déclare : « je suis juif et jamais encore je n'ai été interrogé sur ce sujet en Allemagnes »
« Les Allemands ne se rendent-ils pas compte - car les autres s'en rendent compte - non seulement qu'aucune nation ne se réfère aussi souvent qu'elle au fait qu'elle en est une mais que le reste du monde n'emploie pas aussi souvent en une année le terme de "sang" que ne le font les radios et les journaux allemands en une journée ? »
Ou à propos de Hitler : « L'observateur ne ressent-il pas des brûlures d'estomac quand notre homme apparaît en public, affable et surtout débordant d'amour pour les enfants ?
Critique du journalisme
Kraus n'avait pas de sources d'information privilégiées. Il lisait simplement les journaux, écoutait la radio.
Pour lui la régularité de la parution est déjà le signe d'un mensonge car, bridant toute hiérarchie, la presse met au même niveau guerres et mariages princiers.
«La presse est-elle un messager? Non, elle est l'événement! Un discours? Non, la vie ! Elle ne se contente pas de prétendre que ses dépêches constituent les véritables événements, mais elle provoque aussi cet inquiétant amalgame qui fait croire que les actes sont toujours rapportés avant même qu'ils se produisent, qu'elle les rend possibles aussi …].»
Allant jusqu'à dire : «Le national-socialisme n'a pas anéanti la presse, mais la presse a créé le national-socialisme.»
Destruction de la langue
Pour Kraus, la langue doit permettre à chacun de répondre à l'autre.
Or le discours national-socialiste dit une chose et son contraire. Il se réduit à une incantation.
C'est l'enchaînement d'énoncés sans lien logique les uns avec les autres, c'est le mauvais usage des mots, ce sont des faux sens, des slogans. Bref, c'est tout ce qui embrouille l'esprit et empêche de percevoir au-delà du mot écrit la réalité bien plus complexe qu'il prétend restituer.
Ainsi le national-socialisme exploite-t-il la dichotomie entre ses paroles et ses actes, coupant court à toute objection satirique consistant à le confronter à ses incohérences.
« Il y a une chose pire que le meurtre, c'est le meurtre avec mensonge ; et le pire de tout, c'est le mensonge de celui qui sait : prétexte d'une incrédulité qui ne veut pas croire au forfait mais croire le mensonge ; docilité de celui qui se fait aussi bête que le veut la violence. »
La langue n'a plus de sens, elle ne parle plus. elle devient un acte.
Fin
Après les élections de mars 1932 Hitler est nommé chancelier. le parti nazi remporte les élections du 5 mars 1933 avec près de 44 %des voix. En juillet 1933 le parti nazi devient parti unique.
Entre fin décembre 1932 et octobre 1933, Die Fackel ne paraît pas.
Mi-septembre 1933, Troisième nuit de Walpurgis est prêt à être imprimé, les dernières épreuves ont été corrigées, mais finalement Karl Kraus renonce à le publier
La satire n'est plus possible si la parole n'est plus parole mais acte.
Tel le psychiatre qui ne doit pas essayer de raisonner son patient psychotique car il sera inefficace.
Conclusion :
Le contenu de ce livre, notamment dans son analyse de la parole et du langage, rejoint l'actualité.
La confiance dans la parole des hommes politiques et dans celle des journalistes s'est fortement amenuisée
Mais tout le monde est devenu « journaliste » et à l'époque ou le twitt tend à remplacer les élections, tout le monde est comme un homme politique.
Le discours rationnel et scientifique peine et plus particulièrement devant le discours religieux et simili.
Et c'est l'affolement




Ps : dans le même domaine « La fausse Parole » du poète Armand Robin qui a passé une grande partie de sa vie à l'écoute des radios étrangères et notamment de la propagande soviétique.



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Des mois entiers d'une lecture fébrile, harassante, sans cesse abandonnée puis reprise, rougissant de l'évidente certitude que la note, pas même écrite, qui en fixerait la trace point trop labile, serait ridiculement inappropriée, vague, point digne de ce lanternarius que doit être le critique véritable, vrai cicérone devant connaître par coeur, faute de buter sur une pierre et de se blesser voire de chuter lourdement et de tomber dans un gouffre, le terrain difficilement parcouru par l'auteur ne sachant rien de son enfer, ou plutôt ne pouvant disposer du savoir, de la lumière dont celui qui viendrait après, bien tranquillement au milieu de ses livres, sachant tout ou presque de ses livres justement et même de sa vie et du chemin immense parcouru dans la peur, la rage et l'épuisement, ferait un usage dispendieux peut-être mais nécessaire afin d'alléger, un peu, quelque temps, les épaules du vagabond avançant dans les ténèbres déchirées par les cris.
Lien : http://stalker.hautetfort.co..
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Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
Le docteur Ernst Echkstein, ’l’un des premiers fonctionnaires politiques ’à être placé en détention préventive (carrément une mesure de protection donc) ‘avait du mal à se faire aux conditions de détention’’
On avait fait circuler le bruit que ces conditions étaient les suivantes : travail forcé, coups de crosse, coup de fouet sur le visage, absorption d’huile de ricin, participation à des chœurs parlés et autres malentendus. Mais il y avait aussi de temps en temps des tours en ville dans un petit chariot avec, dit-on, des combattants nationaux en train de chanter des tyroliennes tandis que d’autres spectateurs, bouleversés, pleuraient.
‘’Il y a quinze jours encore, il était occupé à des travaux pour le camp de concentration de Breslau »
‘’Pour’’ et non pas ‘’’dans’’ : une sorte de travail de bureau. Bien sûr, non, sans un encouragement physique que le vigoureux Heines, qui a lui-même donné autrefois l’exemple, prévoit pour ses protégés.
‘’Il devait transporter de lourdes pierres dans une brouette alors que nous étions au repos et il avait ordre de laver les latrines. Pendant qu’il était en train de se colleter avec ce travail, on l’a montré à des visiteurs du camp. ‘’
Mais, comme ça arrive et en dépit de ce genre de passetemps, il s’est laissé aller à la mélancolie, tendance naturelle chez lui. Et, dans un accès de dépression, il s’est suicidé.
On fit l’impossible, on appela les médecins. Ils en ont conclu que son décès ‘’était du d’abord et avant tout à une démission volontaire qu’il préférait, hélas, aux missions plus importantes qui l’attendaient.
……………..
La faible capacité de résistance des détenus donne souvent lieu à des plaintes. Certains sont dans le camp depuis quelques heures à peine et déjà’’ il a fallu le transporter à l’hôpital’’
…….. Il y a un cas qui a donné lieu au rapport légal suivant (police de Bochum) établi sur la base des dires de l’équipe qui accompagnait le prisonnier ‘’ son corps présente un certain nombre de lésions dues à des coups. On a également constaté par moment des pertes de mémoire et de conscience. Pour l’instant l’homme n’est pas en danger de mort. Jusqu’à présent il a été impossible de dire dans quelle circonstances ces blessures ont été faites puis que le prisonnier n’est pas encore en état d’être interrogé’’. L’individu n’a jamais repris connaissance et l’affaire n’a jamais été élucidée. Même l’enquête la plus minutieuse conduit parfois à une absence de résultat.
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Dans tout le périmètre de son horreur, une seule personne est venue s'inscrire contre cette façon de penser qui sidère moins par sa façon d'agir que par la simultanéité de l'accord dans lequel est placée. Une personne a osé agir et faire preuve d'esprit face à la menace physique. Rapport d'un civil inconnu:

" Dernièrement, sur le Kurfürstendamm, des SA ont fait irruption dans un magasin bien connu. Ils se sont comportés de façon extrêmement menaçante, tant et si bien que le fils du propriétaire a couru chercher l'aide de la police, pendant que son père était retenu dans la boutique. Il a dit à la patrouille de police que des communistes avaient fait irruption dans le magasin. Face aux SA, il a répété qu'il les tenait pour des communistes déguisés et des provocateurs vu que, à en croire ce que disaient les communiqués officiels, les SA se comportaient toujours de façon correcte et respectaient la loi. Après de longues palabres, les policiers n'eurent d'autre solution que de conduire les SA au poste de police."
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Je veux croire, en tout cas, qu'il y a aujourd'hui en France une possibilité de réception pour une oeuvre comme celle-là, même s'il m'arrive parfois de partager le sentiment de Voegelin sur ce qu'il appelle "le problème de l'illettrisme spirituel" et de penser que, même dans un pays comme le nôtre, où le culte de la littérature prend la plupart du temps une forme qui s'apparente assez fortement à celle d'une religion, on pourrait être confronté à "un phénomène particulier de déclin intellectuel et spirituel qui rend les gens qui en sont atteints incapables de lire, d'assimiler et d'utiliser la bonne littérature en général". L'illettrisme, en ce sens-là, n'a, bien entendu, pas grand-chose à voir avec le degré de culture, et en particulier de culture littéraire et philosophique, que l'on possède : sur la question dont traite la troisième nuit de Walpurgis, les gens les plus cultivés et les intellectuels les plus réputés en ont donné souvent et continuent encore aujourd'hui à en donner des exemples tout à fait remarquables.
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Le problème n'est évidemment pas que Kraus ait refusé d'épargner certaines de ses cibles privilégiées, comme Moritz Benedikt, le tout-puissant propriétaire et directeur de la Neue Freie Presse, parce qu'ils étaient juifs, comme l'exigeait le genre de solidarité qu'il reprochait à ce journal et au milieu concerné en général de prêcher et de pratiquer de façon systématique, mais qu'il n'ait pas hésité, dans certain cas, à se servir, pour les discréditer, d'un vocabulaire, de clichés et de jeux de mots plus que contestables qui étaient également utilisés par les antisémites.
Scheichl me semble faire une des remarques les plus pertinentes qui aient jamais été écrites sur ce genre de sujet quand il suggère que Kraus n'a tout simplement pas respecté, sur ce point, son principe fondamental, qui était de faire toujours travailler activement son imagination, au lieu de laisser faire la phraséologie et de se laisser faire par elle : "Dans son propre système de concepts, on pourrait objecter à Kraus qu'il n'a pas eu assez d' "imagination" (Phantasie) pour reconnaître le caractère dangereux de cet usage linguistique. "Imagination" est chez lui le contraire de "phrase" (Phrase) ; se celle-ci est le moyen utilisé par les médias, à cette époque-là avant tout les journaux, pour représenter la réalité dans sa totalité à l'aide d'un petit répertoire de formulations figées, de façon déformée et indifférenciée, celle-là, l' "imagination", pense à toutes les conséquences possibles d'un mot, d'une phrase. Kraus n'a pas satisfait à sa propre exigence : il ne pouvait pas s'imaginer que l'on concevrait ses décalrations dépréciatives sur un milieu viennois déterminé comme des attaques globalement hostiles aux juifs, son "imagination" ne réussissait pas à aller jusque-là. C'est seulement après 1920 qu'il a commencé à soupçonner la possibilité de cette erreur de compréhension et à éviter les formulations de cette sorte. " En 1933, Kraus déplore la pauvreté de l'imagination, qui a pour conséquence que l'on ne parient pas à croire que ce qu'on ne peut pas imaginer peut arriver, y compris quand on sait et même voit que cela arrive bel et bien. Mais, comme le suggère Scheichl, on peut sans doute dire qu'il a été lui-même victime d'une certaine paresse de l'imagination qui l'ont empêché pendant un temps d'apprécier correctement le danger du discours antisémite, dans la mesure où il lui paraissait inpensable qu'il réussisse un jour à se transformer réellement en action.
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Jamais encore les concepts de "combat" et de "pouvoir" n'ont été à ce point dégradés au rang de scribouillage bureaucratique, à ce point dégénérés par un mauvais usage des caractères d'imprimerie comme c'est le cas dans la classe dirigeante qui, lorsqu'elle craint de se railler ainsi de la patience prolétarienne, lui parle, pour changer, d'isegorie, d'isonomie et disotimie, concepts créés pour conduire la "libre concurrence des idées", le "combat intellectuel des convictions" afin que tous, y compris ceux de la croix gammée, puissent participer à cette concurrence; car rien ne serait plus urgent que de répondre à la violence par la "démocratie", afin qu'elle se serve d'elle pour mieux la détruire. On est à mi-chemin entre un intenable serment de Rütli (cf note II). Du nom de Rütli, une prairie au bord du lac des quatres-Cantons où aurait été scellée une alliance éternelle contre l'oppresseur (l'empereur d'Allemagne) ; évènement à l'origine de la Confédération helvétique. La formule du serment est due à Shiller dans son Guillaume Tell (1804) ) et une tactique de la faillite. Éternelle question à mille mark : " On fait avec le soir du parti qui vient de commencer?" Tout un mélange d'explications et d'interprétations, qui se manifeste chaque fois que la pauvre passion s'essouffle et qu'une couche intellectuelle se reproduisant par fission l'a transformée en calamité internationale. Dieu l'a créée dans sa colère pour en faire des politiciens de la cause des travailleurs - mais ils voient plus loin! Dans l'incapacité de saisir ce qui est tout proche, on fait des projections dans le futur, et la débâcle qui s'ensuit n'est, bien entendu, qu'un épisode d'un gigantesque processus révolutionnaire :
" C'est pourquoi, si nous devons revenir à des formes de combat correspondant à une régression de l'évolution, et si nous devons en même temps progresser vers des moyens de combat tels qu'en exige l'époque nouvelle - tout cela transforme en une unité la grandeur du combat lui-même héritée du passé, saturant le présent et menant vers l'avenir."

(note II. Du nom de Rütli, une prairie au bord du lac des quatres-Cantons où aurait été scellée une alliance éternelle contre l'oppresseur (l'empereur d'Allemagne) ; évènement à l'origine de la Confédération helvétique. La formule du serment est due à Shiller dans son Guillaume Tell (1804) )
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Video de Karl Kraus (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Karl Kraus
Le 15.10.2018, Jacques Munier évoquait dans le Journal des idées ?Karl Kraus?, de Walter Benjamin.
>Allemagne : histoire>Allemagne : 1866...>Troisième Reich: 1933-1945 (58)
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