A en juger par le nombre de lecteurs qu'il a tentés et le nombre de critiques qu'il a suscitées, voilà un ouvrage qui n'a pas sur Babelio la popularité qu'il mériterait.
La première guerre mondiale fait rage en Europe.
Theodor Kröger appartient à une riche famille d'industriels allemands qui prospère à Saint Petersbourg. le grand conflit remet en cause l'intégration de cette famille dans ce qui est encore, pour peu, la Russie des tsars. Les parents de Theodor rentrent en Allemagne. Lui est retenu en Russie, accusé d'espionnage au profit de l'Allemagne. Commence alors la longue épreuve de la séparation, de la captivité, des procès, y compris avec simulacre d'exécution.
Exilé en Sibérie, sa détention prendra toutefois une tournure inattendue. Sa vie de détenu dans un village enfoui dans les profondeurs de la taïga lui donne en effet l'occasion de se distinguer aux yeux de ses gardiens, au point de devenir une sommité locale. Il deviendra ainsi l'auteur de nombre d'initiatives participant de la prospérité du village, jusqu'à ce que la révolution russe dans sa marche inexorable et sans discernement précipite ce village dans le chaos et l'oubli. L'hiver 1917, plus dur que les autres, sera en particulier le théâtre de son anéantissement.
Le village oublié est un magnifique ouvrage dans lequel il est démontré que lorsque la raison d'état perd pied dans la conscience collective, ceux qu'elle avait désignés comme ennemis peuvent retrouver des liens de fraternité.
Le temps adoucit les velléités. Gageons que les quelques années écoulées entre les événements et leur transcription dans cet ouvrage ont émoussé les rancoeurs et favorisé les épanchements de la nostalgie. Même si les privations, les mauvais traitements, la maladie et la mort sont toujours présents tout au long de cette oeuvre romanesque tirée de faits réels, le récit est adouci par de grands élans d'humanité. Une tournure poétique prend le pas sur la férocité dont on s'attend à être le témoin à chaque détour de page en pareille circonstance de la vie d'un homme. Dans son infortune
Theodor Kröger trouvera l'amitié, la fraternité de qui on ne l'attendait pas, et l'amour surtout, d'une femme tout d'abord, mais pas seulement. Celui pour un pays aussi dont il n'a de cesse de dresser de magnifiques fresques en hommages à une nature certes difficile mais envoutante.
Cela fait de ce roman autobiographique une oeuvre singulière où la sauvagerie des hommes et la rudesse des climats le disputent à la beauté de l'amour et la grandeur de la nature.
Très bel ouvrage que je recommande.