Le changement créateur

Vous voyez donc que la rose, que tout l'univers et les gens qui le peuplent, votre propre femme si vous en avez une, les étoiles, les mers, les montagnes, les microbes, les atomes, les neutrons, cette chambre, cette porte, tout cela est bien là. Maintenant, avançons d'un pas: ce que vous pensez de ces choses, ce qu'elles vous font ressentir, c'est votre réaction psychologique à leur égard. Ceci nous le nommons pensée ou émotion. La perception superficielle est donc une affaire très simple: la porte est là. Mais la description qui en est donnée n'est pas la porte, et quand vous êtes émotivement affecté par cette description, la porte, vous ne la voyez plus. La description peut être un mot, ou un traité scientifique ou une réaction émotive intense ; mais rien de tout cela n'est la porte elle-même. Ceci, il est très important de le comprendre dès le départ. Si nous ne le comprenons pas nous serons de plus en plus dans le brouillard. La description n'est jamais la chose décrite. En ce moment même, nous sommes en train de décrire quelque chose, nous y sommes contraints, mais l'objet que nous décrivons n'est pas la description que nous en donnons. Donc, s'il vous plaît, souvenez-vous de ceci tout au long de notre causerie. Ne confondez jamais le mot avec la chose qu'il désigne. Jamais le mot n'est le réel, et nous nous laissons facilement emporter quand nous arrivons au deuxième degré de perception, quand les choses deviennent personnelles et que la parole provoque en nous un état émotif.

L'artiste n'est-il pas celui qui est parfaitement habile dans l'action? Cette action est dans la vie et non pas ailleurs. C'est par conséquent le fait de vivre en sachant s'y prendre qui fait réellement l'artiste. Ce savoir-faire peut s'exprimer pendant quelques heures de la journée au moment où il joue d'un instrument, où il écrit des poèmes, où il peint des tableaux, il peut s'exprimer plus souvent s'il est tourné vers de nombreux fragments – tels ces grands hommes de la Renaissance qui travaillaient dans plusieurs domaines différents. Mais les quelques heures consacrées à la musique ou à l'écriture peuvent être en contradiction avec le sens général de sa vie qui, elle, peut n'être que désordre et confusion. Un tel homme est-il en aucune façon un artiste? Cet homme qui joue du violon avec un art consommé mais qui a toujours l'œil sur sa propre célébrité, son violon ne l'intéresse pas vraiment, il ne fait que l'exploiter pour être célèbre, et pour lui le « moi » est beaucoup plus important que la musique ; et il en va de même pour l'écrivain ou pour le peintre axé sur sa renommée. Le musicien identifie son « moi » avec ce qu'il pense être de la belle musique, et l'homme religieux l'identifie avec ce qu'il pense être le sublime. Tous ces gens sont habiles dans leur petit champ particulier mais, pour eux, le vaste champ de la vie demeure négligé. Nous avons donc à découvrir ce que c'est que le savoir-faire dans l'action, dans la vie, non seulement quand il s'agit de peinture ou d'écriture ou de technique, mais comment la vie tout entière peut être vécue avec art et dans la beauté.

le gourou, tout comme le disciple, font partie du conditionnement culturel et religieux de la société dans laquelle ils vivent. Quand ils affirment être entrés en contact avec la réalité, quand ils affirment qu'ils savent, vous pouvez être tout à fait sûr que ce qu'ils connaissent n'est pas la réalité. Ce qu'ils connaissent c'est leur propre projection issue du passé. Ainsi, l'homme qui prétend savoir ne sait pas. Dans toutes ces soi-disant expériences religieuses, il y a toujours un processus de reconnaissance. Or, vous ne pouvez reconnaître une chose que si vous l'avez connue auparavant, elle est par conséquent issue du passé, donc liée par le temps et non pas hors du temps. Une expérience prétendue religieuse n'entraîne aucun bienfait, mais ne fait que vous conditionner conformément à votre propre tradition, votre inclination, vos tendances et vos désirs et, par conséquent, elle encourage les illusions et l'isolement sous toutes ses formes.

Le mot discipline veut dire apprendre à connaître, non pas se conformer, non pas supprimer, non pas imiter un modèle de ce que l'autorité établie considère comme étant noble. C'est une question très complexe parce qu'elle implique bien des choses: apprendre à connaître, être austère, être libre, être sensitif, et voir la beauté de l'amour.

Alain Naudé : Intérieurement et extérieurement nous naissons pris par une organisation qui limite la liberté, il nous faut soit nous soumettre, soit nous révolter. Nous restons captifs de ce piège. Il semble donc qu'il ne soit pas question d'organiser quoi que ce soit à partir d'un état de liberté.
Krishnamurti – Nous ne nous rendons pas compte de ce que nous avons créé cette société, ce désordre, ces murailles. Chacun de nous est responsable de tout cela. Ce que nous sommes, la société l'est également. Elle n'est pas autre chose que nous. Si nous sommes plongés dans le conflit, si nous sommes avares, envieux, apeurés, nous donnons naissance à une société qui possède toutes ces particularités.