Quand j'affirme que je ne sais pas ce que c'est que la liberté, il y a en moi une attente, l'idée que je pourrais découvrir. Cela signifie que l'esprit ne se dit pas qu'il ignore, mais s'attend à ce qu'il se passe quelque chose.
Cette attitude, je la vois et la rejette. Maintenant, vraiment, je ne sais pas.
Je n'attends rien, je ne suis pas dans l'expectative. Je n'espère pas que quelque chose se passe, qu'une réponse vienne d'un agent extérieur. Je ne m'attends à rien du tout. Et c'est là l'indice véritable, la clé.
Je sais que ce que j'ai ici n'est pas « cela ». Ici, il n'existe aucune liberté. Jamais une réforme ne pourra apporter la liberté. Et pourtant l'homme se révolte contre l'idée qu'il ne sera jamais libre, qu'il est condamné à vivre dans ce monde. Ce n'est pas le mental, l'intellect qui est en révolte à cette idée. Mais c'est tout l'organisme, la perception tout entière. D'accord ? Et par conséquent j'en viens à constater que puisque ceci n'est pas l' « autre », je ne sais pas ce qu'est la liberté. Je n'attends rien, n'espère rien ou n'essaie pas même de trouver. Véritablement, je ne sais pas.
Cet état de non-savoir est la liberté. Savoir est une prison. Logiquement c'est juste. Je ne sais pas ce qui va se passer demain. Et par cela même, je suis libéré aussi de tout le passé, libéré du champ.
Je me rends compte que la pensée et le penseur sont des choses très limitées. Mais je ne m'arrête pas là. Le faire serait souscrire à une philosophie purement matérialiste. C'est là qu'aboutissent beaucoup d'intellectuels, en Orient tout comme en Occident. Mais ils sont toujours liés, et cela étant, même s'ils élargissent le champ de leur réflexion, ils restent toujours attachés au poteau qui est leur expérience et leur croyance. Et maintenant, retournons à la question posée : « La pensée elle-même se rend-elle compte de ses limites ? » Sachant qu'elle est énergie, qu'elle est mémoire, qu'elle est le passé, qu'elle est le temps, de même la souffrance, etc., la pensée se rend compte que tout mouvement de sa part fait partie du contenu de la conscience, et que sans ce contenu il n'y aurait aucune conscience. Qu'est-ce qui arrive ? Cet état est-il observable ou non ? Je n'invente pas Dieu.
Vous voyez, c'est justement là le point. Comment se situe un esprit qui a compris la souffrance et, par conséquent, la fin de la souffrance ? Quelle est la qualité d'un esprit qui n'a plus peur d'aborder la fin. c'est-à-dire la mort ?
Quand l'énergie n'est pas dissipée par le biais d'évasions, alors cette énergie devient la flamme même de la passion. La compassion n'est pas autre chose que la passion pour tous. La compassion est la passion pour tous.
Et puis, il y a la souffrance liée au temps, et celle de l'ignorance, non pas comme absence de savoir, mais l'ignorance de notre propre conditionnement destructeur ; la souffrance de ne pas se connaître soi-même ; la souffrance de ne pas connaître la beauté qui réside dans les profondeurs de notre être, et l'action d'aller au-delà.
La vérité du « non-savoir » est le seul point de départ possible. Et c'est en elle que réside la stabilité.
Extrait du livre audio « Un esprit calme et silencieux » de Jiddu Krishnamurti, traduit par Colette Joyeux, lu par Jean-Philippe Renaud. Parution numérique le 30 août 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/un-esprit-calme-et-silencieux-9791035413361/