Par cet ouvrage, Krishnamurti pénètre tout au fond de la nature humaine. Par l'expérience qu'il réalise sur lui-même, par l'expérience qu'il en a, il élabore ici, un principe à la base de sa quête personnelle.
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Au début, je cherche à fuir la question. Je ne sais pas où tout ça pourrait me mener avec ma femme. Si je me détache vraiment d'elle, nos relations risquent de changer. Elle pourrait me rester attachée, tandis que moi je ne le serais plus, ni à elle ni à une autre femme. Néanmoins, je vais m'enquérir. C'est dire que je ne vais pas fuir ce que j'imagine pouvoir être les conséquences d'une libération totale de tout attachement. Je ne sais pas ce qu'est l'amour, mais je vois très clairement, avec une certitude absolue, que l'attachement que je porte à ma femme va de pair avec la jalousie, avec l'esprit de possession, avec la crainte et l'anxiété, et je veux être libre de tout cela. Alors je commence mon enquête ; je cherche une méthode, et je me fais piéger par un système. Un quelconque gourou dit : « je vais vous mettre sur la voie du détachement, faites ceci et cela ; adonnez-vous à tel ou tel exercice ». J'accepte ce qu'il me dit sachant combien il importe d'être libre et parce qu'il me promet qu'en suivant la ligne de conduite qu'il me fixe j'aurai ma récompense. Je constate alors, qu'en agissant ainsi, je suis en quête d'une récompense. Je découvre ma sottise : voulant être libre, je m'attache à l'espoir d'une récompense.
Je ne veux pas me lier, or, me voici, prêt à m'attacher à l'idée que quelqu'un, quelque livre ou quelque méthode me récompensera en me libérant de l'attachement. Ainsi la récompense devient une chaîne. Alors je me dis : « regarde ce que tu as fait ; fais attention ; ne te laisse pas prendre à ce piège ». Qu'il ait pour objet une femme, une méthode ou une idée, ce n'en est pas moins de l'attachement. A ce stade, je suis très attentif, car j'ai appris quelque chose ; j'ai appris à ne pas renoncer à un attachement au profit d'autre chose, qui se révèle être encore un attachement.
Je me rends compte qu'il ne peut y avoir amour quand il y a jalousie, qu'il ne peut y avoir amour quand il y a attachement. Mais peut-on être libre de jalousie et d'attachement ?
Je m'aperçois que je n'aime pas. C'est là un fait. Pourquoi me moquer de moi-même ; pourquoi prétendre à ma femme que je l'aime. Je ne sais pas ce qu'est l'amour.
En revanche je sais fort bien que je suis jaloux, et je sais que je lui suis terriblement attaché et que, dans l'attachement, il y a de la crainte, il y a de la jalousie, de l'angoisse ; il y a un sentiment de dépendance. Je n'aime pas être dépendant, mais je le suis parce que je me sens solitaire. On me bouscule au bureau, à l'usine et, quand je reviens chez moi, je veux trouver du réconfort, une présence, je veux échapper à moi-même. Alors je me demande : comment puis-je être libre de cet attachement ? Je parle d'attachement à titre d'illustration, comme je pourrais parler d'autre chose.
Je me dis : « Que dois-je faire pour être libre de tout attachement ? » A quel mobile est-ce que j'obéis quand je veux être libre de tous liens. N'est-ce pas au désir de parvenir à un état où il n'y a ni attaches, ni crainte, et ainsi de suite ? Et tout à coup je me rends compte que tout mobile dicte une orientation et que celle-ci ne pourra que peser sur ma liberté. Pourquoi avoir un mobile ? Qu'est-ce qu'un mobile ? Un mobile est un espoir, ou un désir, de réaliser quelque chose. Je constate que je tiens à un mobile. Outre ma femme, mon idée, la méthode, voici que mon mobile est lui aussi devenu objet de mon attachement !
Nous avons dit que, s'il y a amour, il n'y a pas attachement, et que, s'il y a attachement, il n'y a point d'amour. La « négation », c'est-à-dire l'examen successif de ce qu'il n'est pas, a permis de supprimer le principal responsable. Savez-vous ce que cela signifie dans votre vie quotidienne? Plus aucune réminiscence à propos de ma femme, de ma petite amie, ou de ce que m'a dit mon voisin ; plus aucun souvenir des blessures subies ; plus le moindre attachement à l'image de la femme aimée. J'étais attaché à l'image que la pensée avait créée d'elle - les blessures, les persécutions qu'elle m'a fait subir, le réconfort qu'elle m'a apporté sur le plan sexuel, et quantité d'autres choses, qui ne sont en fait que le mouvement de la pensée, qui a créé cette image d'elle, et c'est à l'image que j'étais attaché. L'attachement a donc disparu.
Il est une attention soutenue qui permet à la solitude de se révéler. Elle ne se révélera pas si je la fuis, si j'en ai peur, si je lui résiste. Donc, je l'observe. Je l'examine en faisant en sorte que nulle pensée n'intervienne, car elle compte beaucoup plus que l'irruption de la pensée. Toute mon énergie est centrée sur l'observation de cette solitude, donc la pensée n'intervient pas du tout. Mon esprit est face à un défi, il doit le relever. Lorsqu'on vous défie, cela provoque une crise. En situation de crise, vous disposez de toute l'énergie possible, et cette énergie demeure si rien ne vient la perturber. Il faut donc relever le défi.
Extrait du livre audio « Un esprit calme et silencieux » de Jiddu Krishnamurti, traduit par Colette Joyeux, lu par Jean-Philippe Renaud. Parution numérique le 30 août 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/un-esprit-calme-et-silencieux-9791035413361/