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Critique de MademoiselleBouquine


C'est un roman inclassable. Vendu comme un roman destiné à un jeune public, loué par des lecteurs de tous âges, histoire dense, longue, aux multiples changements de tons, The Poppy War n'a clairement pas vocation à rentrer dans une case.

On suit ainsi la jeune Rin, orpheline adoptée par une famille modeste d'une région rurale et isolée. Pour échapper au mariage arrangé, Rin n'a qu'une option : être admise dans la plus prestigieuse académie militaire de l'Empire, en réussissant un concours d'une exigence rare. C'est le début d'un long récit initiatique, qui retrace l'adolescence et le début de l'âge adulte de la jeune femme, au fur et à mesure qu'elle s'endurcit et réalise l'ampleur de son potentiel, dans un contexte politique de plus en plus crispé. The Poppy War démarre tout doucement, avec un rythme assez habituel en réalité, rythmé par des étapes "classiques" et propres à la plupart des romans de fantasy YA... mais dérive très vite vers quelque chose de plus sombre, de bien plus imprévisible, de bien plus violent, plongeant le lecteur dans une certaine confusion, qui, si elle peut parfois le déstabiliser, a quelque chose d'indéniablement prenant.

Comme c'est souvent le cas avec les premiers romans, R. F. Kuang a voulu tout mettre dans son livre, pour le meilleur comme pour le pire. le meilleur, c'est cette incroyable richesse de l'intrigue, avec une évolution ambitieuse de personnages qui passent du stade de l'adolescence innocente à celui du statut de soldat loyal, sanguinaire et déterminé. le roman propose toute une mythologie propre, un ensemble de décor variés, au moins une dizaine de personnages principaux, des scènes de combat à couper le souffle, bref, un récit captivant et intense, dans lequel il vaut mieux pouvoir s'immerger de façon intense et continue. le pire, c'est cette ambition justement, qui mène parfois l'ouvrage vers une certaine dissonance, un certain déséquilibre entre, d'un côté, des descriptions particulièrement exigeantes et des atmosphères sombres tirées au cordeau, et de l'autre, des dialogues étonnamment lourds et explicatifs, ou encore des ellipses plus maladroites qu'autre chose qui font passer des mois/toute une thématique d'un coup quand on vient de s'attarder quarante pages sur une seule journée/un seul sujet. le roman peine à trouver son ton, avec ses premières dizaines de page à la limite du stéréotype du "gentil" livre YA, et la violence presque dérangeante de son dernier acte, avec des descriptions allant parfois jusqu'à l'insoutenable. Sans rentrer dans les détails (l'autrice fait elle-même toute une liste de trigger warnings sur son site), ce n'est plus d'une dichotomie que l'on parle, mais d'une quasi bipolarité, même si certains tropes YA (l'héroïne particulièrement douée seule contre tous, moquée par ses camarades, confrontée à un mentor qui la malmène pour la pousser jusqu'à ses limites, puis un certain côté Suicide Squad dans la dernière partie, bref, on n'en manque pas) perdurent tout au long du roman et créent une sorte de fil rouge.

Le roman développe ainsi non pas une évolution, non pas un écart, mais un gouffre entre ses deux parties principales. La première, si elle reste tout à fait entraînante, semble parfois presque naïve dans le traitement qu'elle fait de la formation de Rin à l'Académie, tandis que la seconde atteint des sommets de violence. Rien de mal à cela en soit, tant que la transition est assurée de façon progressive et cohérente, ce qui pèche quelque peu ici : le tout reste bien entendu fluide et surtout saisissant, mais force est d'admettre que certains passages semblent nager entre deux eaux.

Par ailleurs, l'univers même de The Poppy War repose fortement sur différents événements de l'histoire moderne de la Chine, avec en premier lieu les guerres sino-japonaises. C'est là un aspect intéressant du roman, qui peut pousser à se documenter sur des événements bien réels comme le massacre de Nankin, mais là encore, l'autrice donne parfois le sentiment de manquer de nuance, et fait du camp ennemi une espèce de horde de démons assoiffés de sang - pourquoi pas dans un récit fictif, bien sûr, même si c'est un peu manichéen, mais sachant que toute la démarche de l'autrice était de partir d'un contexte historique solide, c'est aller un peu vite en affaires à mon humble avis.

Rin, enfin, pour le dire de façon euphémique, était un sacré personnage. Pour faire simple : elle adopte très vite un comportement relevant davantage du robot que de l'être humain. Son sens du calcul, sa détermination froide, sa soif de pouvoir et ses loyautés aveugles sont autant d'aspects qui peuvent en faire une figure intéressante, mais qui m'ont de façon personnelle empêchée de tisser un véritable lien avec elle, surtout dans cette fameuse deuxième partie où elle vire à mon sens à la quasi-caricature, tant dans sa puissance exponentielle que dans sa façon d'appréhender le monde.

The Poppy War, quand bien même j'admets sans difficulté avoir bien apprécié sa première moitié, laisse un arrière-goût amer en bouche. Si on ne peut lui nier une véritable ambition romanesque, un sens de l'épique tout à fait convaincant, et une imagerie frappante, force est d'admettre que le ton manque cruellement de recul et de distance, et qu'on a finalement davantage le sentiment d'avoir lu un pot-pourri d'à peu près tous les tropes de fantasy (du YA au grimdark - un genre dystopique de fantasy - en passant par l'heroic fantasy) qu'une oeuvre solide et cohérente. Malgré cela, force est d'admettre que le roman a rencontré un succès assez considérable chez nos amis anglophones, et à mon avis, nous n'avons pas fini d'entendre parler de cette histoire. A vous de voir donc !
Lien : https://mademoisellebouquine..
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