AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782702133743
346 pages
Calmann-Lévy (03/09/2003)
4.5/5   2 notes
Résumé :
"Un homme qui a le temps de réfléchir dans un bistrot à ce que les autres, qui sont à l'extérieur, n'ont pas vécu", ainsi se définissait Anton Kuh, habitué des cafés d'avant-guerre à Vienne et à Prague, où il occupait ses journées à observer ses prochains et à épingler les absurdités de l'empire austro-hongrois agonisant. Les textes réunis ici, pour la première fois en français, constituent un portrait décapant d'une société en décomposition, ainsi qu'un aperçu terr... >Voir plus
Que lire après Café de l'EuropeVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
« Qu'est-ce qu'un littérateur de café ? Un homme qui a le temps de réfléchir dans un bistrot à ce que les autres, qui sont à l'extérieur, n'ont pas vécu. »
-Anton Kuh-

Il en a fallu à Anton Kuh, de la force et du courage pour vivre et écrire pendant l'époque bouleversée qu'il a traversée, de la fin de l'Empire austro-hongrois à l'Anschluss, qui fit de l'Autriche une province de la Grande Allemagne !
Né en 1890, d'une famille juive originaire de Prague, il était devenu journaliste et conférencier.
Il fréquenta Kafka, Werfel, Kokoschka, pour ne citer qu'eux…
Il connut la Vienne des grands et des petits événements et celle des cafés où il parlait avec brio, raison pour laquelle on l'avait baptisé le « Parleur ».
Ses papiers ayant en grande partie disparus, des éditeurs ont fouillé les archives des journaux, pour nous offrir à nous, lecteurs, une sorte d'anthologie de ses chroniques publiées dans les journaux et les revues.
C'est ce que l'on découvre dans ce talentueux ouvrage, dense et douloureux, « Café de l'Europe ».

Le choix du titre du livre est judicieux. Ce café viennois était célèbre pour son agitation perpétuelle et ses bavardages incessants, et il représentait en quelque sorte l'Europe à Vienne, et plaçait Vienne au coeur de l'Europe.
Anton Kuh publie de 1914 à 1941. Il excelle dans le petit texte (feuilleton), le portrait, le conte allégorique, la prophétie, la nouvelle, l'anecdote historique, la confession, l'aphorisme, et les mémoires…

Bien qu'originaire de Prague, c'est Vienne qu'il défend et qu'il loue, et en particulier « l'esprit viennois » (qui n'a rien à voir avec les stéréotypes qui sont les nôtres aujourd'hui.).
La Vienne des journaux, qui survit à peine quand ils sont en grève, celle des cafés qu'il raconte tellement bien dans tous leurs aspects, leurs rites et toutes leurs coteries.
Cette Vienne cosmopolite surtout présentée comme un idéal de tolérance, de charité, de finesse, de nuance. « Vienne, tête de dix peuples », « creuset de diverses nations, une ville qui parlait l'allemand, et non pas une ville nationale-allemande. »
Cette Vienne des deux cent mille juifs « qui formaient une des couches sociales les plus distinguées de la terre (…) Il est inutile d'énumérer les noms d'artistes, de scientifiques, d'industriels célèbres dont ce petit groupe (…) a fait cadeau au monde. »

En lisant tous ses textes, on constate qu'Anton Kuh est très nostalgique de la Vienne d'avant 1914 et d'avant le démantèlement de l'Empire austro-hongrois de 1918. Mais cela ne l'empêche pas d'être non indulgent envers la bêtise du régime et de ses fonctionnaires dont il se moque dans de nombreux textes. Son article « Grève des fonctionnaires » mérite vraiment d'être lu !

On sent que son obsession, c'est le risque de germanisation de Vienne.
L'« alibi » de l'Anschluss (rattachement forcé à l'Allemagne) revient très souvent dans ses chroniques. Un alibi toujours étayé par des considérations sociales et politiques mensongères.
Il illustre très bien la « fin » de Vienne par le mystère des nombreuses gares de la ville : « Jusqu'au jour de l'effondrement, on ne savait pas pourquoi il y avait autant de gares à Vienne (…) Les soldats rentraient chez eux. Vienne ne serait plus qu'une station de correspondance… »
Ce texte est d'une étonnante ironie toute mélancolique, car on apprend à la fin du livre qu'Anton Kuh, lui-même, en 1938, dut la vie sauve à un train (le dernier) dans une gare de Vienne… Il lui permettait l'exil…

Anton Kuh a le sens de la formule : « Qu'est-ce qu'un collectif ? Une accumulation de zéros qui ont renoncé à l'individualisme, mais qui tiennent à ce qu'on cite leur nom. »
Il est adepte des aphorismes. Il les conçoit comme « des noeuds au mouchoir de sa pensée » :
« le diable est bien optimiste s'il s'imagine pouvoir rendre les hommes plus mauvais. » ;
« Quelle différence y a-t-il entre le littérateur et le poète ? le littérateur a plus à dire que ce qu'il a vécu, le poète plus vécu que ce qu'il est capable de dire. » ;
« Peu de gens savent que ne pas écrire est aussi le fruit d'un long et pénible travail. »
Et à propos du plagiat : « Que des poètes soient des voleurs n'a pas d'importance. Mais que des pickpockets écrivent de la poésie ! »

Il sait aussi dresser des portraits, comme, par exemple celui de Mussolini
(« fulmineur de balcon », « apprenti garçon de café d'Hitler »).
Il se moque des Américains et des Anglais, et de leur langue
(il est injuste avec l'Angleterre). Il sent ce que cachent les formules, les phrases creuses, les mots truqués, les silences, les statistiques (si chères
aux Allemands d'alors) des politiques et des journalistes, sans oublier l'endoctrinement dans les écoles (« le livre de lecture »).

Anton Kuh n'a pas son pareil pour décrypter les discours, et analyser l'Histoire, parfois en regardant simplement des photos. Vous verrez ce qu'en 1940, il disait du gouvernement de Pétain à Vichy à partir d'une seule photographie (« D'où proviennent ces têtes ? ») …

Il excelle aussi quand il met en opposition deux cafés qui se disputaient l'élite viennoise, le « Central » et le « Herrenhof ». Il a également le don pour dépeindre une même scène de banc public le soir à Vienne, Prague, Munich et Berlin !

Chez Anton Kuh, tout est motif à classement, à catégorisation : les types d'écrivains, les nuances de bourgeois, les espèces de parvenus, les clients d'hôtels (les ronfleurs), les types sociaux et politiques.
Le fait de classer et d'ordonner, lui aura permis de mieux voir, de mieux distinguer.
Anton Kuh, à travers tous ces textes rassemblés, apparaît comme
un écrivain rare.
Sa plume est malicieuse, caustique, rigoureuse, rageuse aussi.

En peu de mots, de façon très concise, il arrive à constater et dénoncer. Il fait preuve de beaucoup de perspicacité. Avec son esprit lucide, il a vu d'emblée soit à Vienne, soit à Berlin, le danger montant du fascisme, de l'extrême droite populiste, l'irrésistible fascisation des peuples allemand et autrichien.
Il savait, lui, ce qu'étaient les fantômes qui rodaient dans Vienne ou ailleurs… Son propre enlèvement avait même été programmé, et il l'avait pressenti !
Finalement, dans un monde devenu fou, il aura gardé jusqu'au bout sa raison et sa vigilance, ce qui lui aura permis de sauver sa vie.

« Je suis né en Autriche ; chacune des convulsions qui l'agitaient m'avait touché plus que beaucoup d'autres personnes. Je voulais être en Autriche quand celle-ci s'enfoncerait dans la tombe. »
Commenter  J’apprécie          2011
Il nous est difficile à nous qui vivons dans une Etat-nation multiséculaire, le bouillonnement d'un pays comme l'Austro-Hongrie où coexistaient une bonne douzaine au moins de nationalités et leurs langues respectives. En lisant Anton Kuh, on peut mieux comprendre cette réalité et surtout le choc pour les autrichiens en 1918 quand ils sont devenus du jour au lendemain citoyens d'un petit pays. Difficile de parler de ce livre magnifique en quelques mots, alors si vous voulez savoir ce que signifiait une grève des fonctionnaires viennois dans les années 1920, lisez absolument Café de l'Europe.
Commenter  J’apprécie          00

Citations et extraits (2) Ajouter une citation
De même que des éclairs précèdent un orage, une nuit inoubliable précéda les derniers jours aussi bien de l’Autriche que de mon existence dans ce pays. Cette nuit d’août, le ciel était noir et chargé de pluie, ce qui n’avait rien de très étonnant, vu que j’étais à Salzbourg au moment du festival. J’étais assis avec une amie tchécoslovaque sous les arcades protectrices du grand jardin d’un restaurant.
Au lieu d’agréables mélodies autrichiennes, un orchestre campagnard avait joué toute la soirée des marches militaires prussiennes sous les applaudissements enthousiastes des clients. J’avais compris par conséquent dans quelle espèce d’établissement je me trouvais.
Commenter  J’apprécie          152
"Infantile Europe ! Elle croit que l'on peut sauver l'homme en smoking en s'accrochant à son vêtement. Pour ne pas le lâcher, elle sacrifie l'humanité."
Commenter  J’apprécie          10

autres livres classés : aphorismesVoir plus
Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus

Lecteurs (9) Voir plus




{* *}