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Critique de klakmuf


Soyons francs, vous n'aimerez pas tous « L'immortalité ». Naturellement, je parle du roman de Milan Kundera, publié en 1990. On discutera de notre existence post-mortem une autre fois, si vous voulez bien… (sur les sentiers de l'au-delà, tiens…si mon abonnement internet chez Sfouygues.Telefree marche encore, ce qui est rien moins que sûr…).

Vous n'aimerez pas tous ce livre car il est emblématique de l'écriture de cet auteur. Il y a un style, une pâte, un genre Kundera qui ne fait pas l'unanimité. Céline avait un style bien à lui. Il le savait et en était fier : la syntaxe était rompue, le rythme de la phrase chamboulé par les points de suspension et sa musique renouvelée par de fréquents néologismes. de même, Kundera s'est employé dans son oeuvre à renouveler le genre littéraire. Il a rompu avec l'unité de temps et d'action. Il n'y a même pas d'action à proprement parler. L'écriture n'est plus linéaire. Les chapitres sont toujours courts (entre une demi-page et trois ou quatre, pas plus) et chacun de ses romans comprend invariablement sept parties (le chiffre de la perfection). Ces chapitres déroulent un récit polyphonique, tantôt du point de vue d'un personnage, tantôt du point de vue d'un autre. le récit pur est enrichi par des alternances de scènes oniriques ou d'épisodes où l'auteur devient même un personnage du roman qui échange des points de vue avec certains personnages. le romancier et l'histoire deviennent en soi des personnages et des thèmes du roman. (Là, je conçois que cela en agace plus d'un…).

Il est impossible, comme il n'est pas souhaitable d'ailleurs, de tenter de résumer ce livre. Les romans de Kundera ne sont tout bonnement pas racontables. Les parties s'enchaînent sans lien de causalité apparent et sont écrites chacune sur un mode différent. Tout au plus est-il permis de schématiser l'ouvrage comme l'entrecroisement de deux histoires qui ont lieu à deux époques distinctes : l'histoire d'Agnès, Paul et Laura, en France au XXe siècle et l'histoire de Goethe et Bettina von Arnim, en Allemagne fin XVIIIe-début XIXe siècle. Et pourtant le tout révèle une profonde unité. Mais cette lecture est assez exigeante car elle requiert chez le lecteur un effort de mémoire et de concentration. L'art de Kundera réside dans sa capacité à faire ressortir des résonnances entre ses histoires en apparence totalement éloignées. le lecteur doit pouvoir se souvenir, par exemple, que l'histoire d'une luthiste dans l'avant dernière partie du livre reproduit en fait les gestes et les comportements d'Agnès dans la troisième partie, quelque 200 pages plus tôt. En vérité, nous l'avons dit, il n'y a pas d'action véritable. Les personnages et les histoires ne sont que des prétextes ou des vecteurs qui permettent à Kundera de déployer sa pensée et ses thèmes favoris : la vie, la mort, l'immortalité, les rapports humains, l'amour, l'érotisme, l'obsession de l'image de soi, la vérité cachée des choses et des situations, le sens profond de nos actions. L'auteur a recours à moult paraboles pour illustrer son propos. Avec Kundera, plus l'action, les lieux et le décorum sont dépouillés et plus l'histoire est riche et compliquée à suivre. le tout servi par un style simple. Un des paradoxes de cet auteur inclassable. Il y a cependant une thématique forte dans chaque roman de Kundera, qui leur confère leur unité intrinsèque : ici, l'immortalité et l'image de soi.

Dans ce livre, il y a des scènes savoureuses comme celle de la rencontre entre Ernest Hemingway et Johann Goethe sur les sentiers de l'au-delà. Nos deux auteurs morts respectivement depuis 27 et 156 ans y échangent avec humour leur conception de l'immortalité des écrivains et de leurs oeuvres. C'est en quelque sorte de la philosophie abordée sous un angle iconoclaste, humoristique et souvent burlesque. Et de fait, il y a toujours beaucoup d'humour et de gravité à la fois dans un livre de Kundera. le tracé de la frontière entre le tragique et le risible y est toujours flou. La limite entre le « fictif » et le « réel » est pareillement toute aussi poreuse.

Si vous n'avez jamais lu Kundera et que vous vous apprêtez à le faire, je vous envie à un point dont vous n'avez pas un quark de soupçon. Avec « L'immortalité », vous entrez dans son oeuvre par le plus « kundérien » de tous ses romans. Et vous allez adorer ou détester. Mais pour le savoir, il faut le lire ! D'autres s'y sont bien risqués avant vous. Et ils ont adoré ou détesté. Pour comprendre cette radicalité du lectorat, il faut le lire ! Et alors, vous adorerez ou détesterez. Comment vous dire les choses, en fait… ? Il faut le lire. Vous allez…
En tout cas, ne venez pas vous plaindre si vous n'aimez pas, vous étiez prévenus ! Et si vous aimez (il y en aura, je le sais déjà), poursuivez donc la lecture de cette oeuvre en revenant vers ses premiers écrits, « Risibles amours » (des nouvelles) et « La Plaisanterie » (un roman). Ils sont de facture plus conventionnelle, moins innovante, mais non moins excellents.

La critique n'a pas été spécialement tendre en France à la parution de « L'immortalité ». le franc-parler de Kundera lui vaudra même un retentissant « Kundera, go home ! » de Michel Polac (pas sûr que tout le monde se souvienne de ce dernier, au passage…). Pour ma part, et vous l'aurez compris, j'ai surtout envie de lui dire « Welcome Kundera and make yourself at home » ! Ce qu'il a fait, fort heureusement et pour notre plus grand bonheur.
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