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sur 1478 notes
Ce livre m'a laissé une sensation de malaise. Non pas que je le juge mauvais, bien au contraire, mais vraisemblablement parce qu'il a su fouiller, au fond de moi, ce qu'il y avait de plus nostalgique, aller voir du côté de mes plus sombres parts d'ombre que j'imaginais ensevelies, oubliées, inexhumables (excusez ce néologisme de peu de goût).

Les protagonistes du roman tournent tous autour du destin de Ludvik, dont l'étoile cessera de briller au parti communiste suite à une plaisanterie qui, pour n'être pas très drôle, n'a pas fait rire les autorités tchécoslovaques des années fin 1940, début 1950.

Tout son parcours s'en retrouve bouleversé, mais aussi, et surtout toute sa vision de la vie. Sa route croise ou s'éloigne à jamais de personnes plus ou moins brisées comme lui et, l'auteur nous fait vivre (comme plus tard dans L'Insoutenable Légèreté de L'Être) les mêmes scènes depuis le point de vue propre de chaque protagoniste.

On y côtoie les envies et les attentes (souvent déçues) de chacun et nous comprenons pourquoi il règne une telle incompréhension dans les rapports qui unissent ces protagonistes. Nul n'est bon ni mauvais, mais en suivant sa logique propre, chacun blesse l'autre à son insu.

L'auteur développe une très intéressante réflexion sur la vision rétrospective de ses personnages qui se jugent eux-même une quinzaine d'années après les tournants de leurs vies respectives, qui, à l'instar des héros de la Guerre Et La Paix de Tolstoï, savent pardonner, comprendre, excuser ou oublier des événements qui leur ont porté préjudice ou bien, au contraire, qui n'arrivent pas à tirer de trait et ne savent qu'attendre une vengeance ou une réparation pour ce qu'ils ont vécu d'atroce.

L'oeuvre, dans son ensemble, (et c'est probablement ce qui m'a le plus remuée) est une sacrée claque donnée aux idéaux de la jeunesse, une mise en garde aussi sur ce que l'on peut faire ou penser tandis qu'on est encore un être inexpérimenté où l'on se leurre continuellement.

Car, pour Kundera, ce qui est commis sera (au mieux) oublié et non réparé, quelles qu'en soient les conséquences désastreuses pour autrui, aussi est-il important de prendre du recul sur soi-même, particulièrement en ses jeunes années.

Un livre donc, éminemment nostalgique, qui taraude, et qu'il ne convient probablement pas de lire trop jeune, mais ce n'est là que mon avis de semi-vieille, qui navigue entre deux âges, avec ses lambeaux de jeunesse accrochés aux affres de la vieillesse, autant dire, pas grand-chose.
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L'écriture de Kundera incarne l'absence de tout sérieux, de toute décision existentielle permettant de donner un sens vraiment satisfaisant à la vie d'un être humain. Pour interrompre la grisaille insipide de l'atmosphère absurde où chacun de ses personnages est forcé de respirer, il ne devrait leur rester que les courts instants lumineux que constituent les plaisirs de la chair, mais ça irait sans compter les moments de grande obscurité, où la chair se heurte de plein fouet à sa finitude.
Avec leur innocente légèreté confiante de jouisseurs, ses personnages se frappent ainsi à toutes sortes d'écueils avec une dureté implacable sur lesquelles ils rebondissent ou s'aplatissent avec la même indolence indifférente.
Dans La plaisanterie, nous avons affaire à Ludvik, un étudiant plaisantin et insouciant, qui entre en collision avec le système policier communiste de son pays, pour y rebondir longuement, avant de se laisser aplatir (ou non, à vous de juger) à la toute fin. Comme le même modèle se reproduit toujours sous divers angles chez Kundera, bien que chacune de ces perspective soient très intéressantes, je me suis surtout senti interpellé par l'épisode Kostka qui aborde une position exceptionnelle dans l'oeuvre de l'auteur.
Kostka est en effet une personnalité religieuse tourmentée à propos de l'actualisation de son idéal spirituel.
Pour esquisser la situation, Kostka aide une jeune femme blessée à retrouver goût à l'existence et s'arrête au moment où il pourrait la connaître comme femme (au sens biblique), de peur de corrompre la pureté de son intention à son endroit. Par la suite, il l'a retrouve avec un homme qui ne la rend pas heureuse et il regrette d'avoir eu la naïveté de ne pas prévoir cette possibilité.
Même si la moralité est une affaire de bonne volonté bien informée, il faut avoir la force surhumaine d'un Kant pour ne pas être tourmenté du tout par les conséquences imprévisibles de ses actions, ou simplement se souvenir de ce que disait Socrate : « Marie-toi, tu le regretteras...ne te maries pas, tu le regrettera... »... Chose certaine, les malheureuses et sublimes réflexions de Kostka sont magnifiquement mise en place et m'ont beaucoup touché.
Bref, la plaisanterie n'était donc pas drôle du tout, mais elle constitue une très plaisante expérience de lecture que je vous recommande chaudement.
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Ce n'est pas le premier livre que je lis de Kundera, j'avais déjà lu L'insoutenable légèreté de l'être qui compte parmi mes romans préférée bref, je n'avais pas peur de l'écriture de cet auteur, mais plutôt de l'histoire. Allait-elle être à la hauteur de ma première lecture ? A vrai dire, La plaisanterie est un roman bien différent de l'insoutenable légèreté de l'être, même si l'on peut retrouver un même cadre spatio- temporel.
La plaisanterie est un roman profondément ancré politiquement dans le communisme, pas n'importe lequel, celui qui censure, qui empêche tout individualisme et revendication, le communisme dogmatique de Staline. Comment une lettre issue d'une simple plaisanterie peut gâcher la vie ou du moins dix ans de l'existence d'une personne ? Cela paraît impossible pourtant l'histoire est basée sur cette plaisanterie qui va changer du tout au tout Ludvik Jahn étudiant en sciences talentueux et membre du parti. Pour ce roman Kundera à choisi un point de vue un interne, de ce fait les émotions, les impressions, les pensées des personnages nous arrivent plus directement. C'est un roman assez narratif notamment dans les passages du service militaire injuste. Ce qui est incroyable et que je retrouve dans cet oeuvre c'est la sincérité des personnages, leur véracité et leur crédibilité qui nous donne l'impression qu'ils existent et on s'y attache. La narration et la forme du récit qui impliquent chacun des personnages est superbement maniée, on ne s'ennuie pas, on entre dans l'univers de chaque personnage qui s'avère être très différent et riche; chacun amène quelque chose à l'histoire et, chacun détient une part de vérité.
Encore une fois mais bien différemment Kundera donne une place plus ou moins importante à l'amour ( ici il s'agit de Lucie, figure de la femme idéalisée qui devient même une obsession pour Ludvik) il sépare l'amour de l'âme et l'amour du corps en y ajoutant le perpétuelle incompris qui née toujours dans un couple.
La dernière partie de l'histoire s'attarde sur l'après du service militaire-exclusion du parti et fac de sciences de Ludvik, dix ans on passés pourtant, Ludvik est guidé par une haine, une envie de vengeance qui atteint son paroxysme car sa vie s'est basé sur la haine et la vengeance. Quand il croit s'être vengé de tous les torts qu'on lui à fait, il réalise que sa vengeance n'a pas aboutit elle n'était rien de plus qu'un leurre car, ni la vengeance ni le pardon ne réparont les torts commis à la place ce sera l'oubli. Ce n'est qu'à la fin que Ludvik comprendra qu'il à gâché sa vie, sa mission est maintenant d'oublier pour recommencer a vivre comme un homme normal. La fin n'est pas optimiste elle n'est pas non plus défaitiste, elle apprend une réalité humaine plutôt pessimiste et une leçon de vie au personnage et au lecteur . La fin est incroyable, l'écriture de Kundera est magnifique, chaque mot est bien choisit pour décrire un sentiment, les mots transpercent l'âme du lecteur, sincèrement ce livre est grandiose et figure dans ma liste de coup de coeur, a lire donc.
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Plaisanterie... Que revêt vraiment comme signification ce simple mot, plaisanterie, pour Milan Kundera ?
La plaisanterie du désir que l'on prend pour de l'amour ?
La plaisanterie, la grande fumisterie, qu'est la vie ? La grosse plaisanterie des masques qu'il faut porter ?
Ou bien est-ce le cynisme qui revêt le ton de la plaisanterie, et réécrira le destin tout tracé de Ludvik, victime, comme tant d'autres, du nihilisme communiste ?
Ludvik qui reviendra se venger de ce système, cette grosse Plaisanterie de très mauvais goût, par le biais de la naïve Marketa, elle-même symbole de ce manque d'humour nuancé propre à une politique totalitaire, femme qui représente le pire du communisme, l'aveuglement bovin, empreinte d'une joie "saine" et patriotique, totalement perméable à l'ironie de la chose, et qui pour comble, ne comprend pas et ne comprendra jamais les milles et une nuances d'une plaisanterie...
Et puis, bien sur, la valse des personnages, tous importants, tous tissant à l'unisson, mais chacun pour soi, la toile de leur histoire personnelle, avec comme même axe, les dommages collatéraux de la pensée communiste, cette prétendue pensée universelle, qui nie l'individue et l'individualisme, mais ne peut les détruire.
Après de multiples lectures et relectures, en des époques bien différentes, je vous aime toujours autant Monsieur Kundera, vous et vos volutes de pensées circulaires qui nous ramènent inexorablement à notre propre psyché.
Mieux qu'un psy, et moins cher ! ^^
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Kundera finit le manuscrit de « La plaisanterie » en décembre 1965. Après avoir été soumis à la censure pendant une année, l'auteur défendant bec et ongles l'intégrité de son ouvrage, celui-ci parait en 1967 pour la première fois et rencontre un vif succès. En 1968 il est traduit en français par Marcel Aymonin et parait juste après l'intrusion des chars soviétiques dans Prague, ce qui laissera penser à ses lecteurs qu'il s'agit d'une critique de l'appareil politique d'état. Mais l'auteur s'en défend et soutient qu'il a écrit « un roman et rien qu'un roman ». Des années plus tard, Kundera peu satisfait du lyrisme du traducteur et de ses métaphores pompeuses, reprend entièrement la traduction pour en livrer une version définitive fidèle à son propos, en 1985.
« Je fus stupéfait. Surtout à partir du deuxième quart, le traducteur (ah non, ce n'était pas François Kérel, qui, lui, s'est occupé de mes livres suivants !) n'a pas traduit le roman ; il l'a réécrit : »
L'histoire : Ludvik entretient une relation amoureuse avec Marketa. Ils sont étudiants et elle est partie faire un stage. Cet éloignement est l'objet d'un échange épistolaire au cours duquel elle se réjouit de l'expérience qu'elle vit alors que lui se morfond de la retrouver. Agacé et sur le ton de « La plaisanterie » : « Alors, j'achetai une carte postale et (pour la blesser, la choquer, la dérouter) j'écrivis : L'optimisme est l'opium du genre humain ! L'esprit sain pue la connerie. Vive Trotski ! Ludvik. » Ce qu'il ne sait pas encore c'est que cette blague va tomber dans les mains de censeurs qui aussitôt vont lui retirer sa carte de membre du parti communiste, le chasser de la faculté où il fait ses études pour l'envoyer en camp disciplinaire creuser une mine…
« La plaisanterie » est le premier roman de Milan Kundera. Il s'agit bien d'un roman d'amour, des jeux de l'amour et du hasard où la vie joue avec la destinée de ses personnages. Par trois fois elle leur joue un tour pendable : avec la carte postale, puis quand Ludvik se venge d'avoir été radié du parti communiste par Pavel en séduisant son épouse, Helena, ce qu'il ne sait pas c'est que le couple est au bord du divorce, et enfin lorsque Helena tente de se suicider par dépit amoureux, Ludvik la fuyant, mais elle avale un tube de laxatifs pensant que c'était des analgésiques. C'est une façon de montrer le ridicule de certaines situations ou actions tragiques et les conséquences tragiques de certaines plaisanteries.
Traduction de Marcel Aymonin, révisé par Claude Courtot et l'auteur.
Editions Gallimard, Folio, 455 pages.
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Comment séduit-on une fille quand on est adolescent et qu'on ne sait pas quoi faire ? Ludvik utilise l'humour noir, et prend plaisir à égratigner tout ce qui est cher à l'élue de son coeur. Choix déjà discutable de base, mais d'autant plus lorsqu'il le conduit à moquer le Parti sur une carte postale, dans un pays totalement dévoué à la cause communiste et qui voit des traîtres partout.

Pour cette mauvaise plaisanterie, il sera considéré comme un ennemi du régime, et passe de futur cadre du Parti à mineur dans un camp de prisonniers politiques. Mais c'est surtout le fait d'avoir joué un rôle qui torture Ludvik toute sa vie : il se rend compte, un peu trop tard, qu'une fois que le public y croit une seule fois, il n'y a plus de retour en arrière possible. L'image que les autres ont de vous a plus de poids que ce que vous êtes vraiment. Une fois formée, vous ne pouvez plus y échapper.

Bien que victime de ce regard d'autrui, cependant, Ludvik n'hésite pas à l'appliquer également chez les autres, notamment dans ses relations amoureuses : chacune des filles dont il tombe amoureux doit combler un manque précis à un instant de sa vie. Aucune n'est aimée pour elle-même, seulement pour ce qu'elle est dans la tête de son soupirant.

C'est ce qui donne à la lecture de ce livre une sensation de malaise. Toutes les relations qui y sont décrites ne sont finalement que des gigantesques malentendus : chacun veut faire jouer à l'autre un rôle bien précis dans sa petite pièce de théâtre personnelle – femme simple et docile, être déchu qu'on va pouvoir sauver de lui-même, amante voluptueuse, frère jumeau dans la foi, élève reconnaissant de la réception d'un savoir précieux, les choix ne manquent pas ! Tant que l'autre s'y plie, par bonne volonté ou par ignorance d'être sur scène, tout va bien ; quand le masque se fissure, ce ne sont que colère, larmes et séparation. Chaque lien qui unit deux personnes ne serait-il finalement qu'une tentative de vampirisation mutuelle ? L'amitié et l'amour véritables existent-ils vraiment ? On a toujours envie d'y croire, mais à la sortie de ce livre, on est quand même pris de quelques doutes.
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Certains livres se vivent comme une histoire d'amour passionnée. On s'enferme, décide que plus rien ne compte plus au monde que cet instant passé avec lui, décline les invitations, oublie de se nourrir si ce n'est de ces mots qui créent la fièvre.
Je crois bien être amoureuse de Kundera et c'est par sa Plaisanterie que j'ai succombé il y a quelques années.
Il y a dans ce livre le charisme des gens délicieusement intelligents qui ont l'humilité des gentlemen et se refuse à l'ostentation.
Il y a le goût d'un nectar de vin qui enivre juste ce qu'il faut sans être dénaturé par un excès de sucre.
Il y a un peu de perfection qui force au respect jusque dans nos révoltes.
Nul doute qu'il sera sur mon île déserte. Ou dans un métro bondé. Ou partout où j'irai en fait.
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La dictature est un régime qui fonde sa légitimité sur la force. Son adversaire c'est l'esprit. Pareil régime perçoit les traits d'humour comme provocation. Ludwik Jahn, le Héros de la plaisanterie, en fera l'amère expérience dans la Tchécoslovaquie des années soixante. Une espièglerie lui vaudra le bannissement du parti et quelques années de travaux dans les mines de charbon. "Toute l'histoire de ma vie a été conçue dans l'erreur, avec la plaisanterie de la carte postale, avec ce hasard, ce non-sens."

Le succès que lui valut ce premier roman auprès de ses compatriotes lors de sa parution en 1967 fit de Milan Kundera en même temps de lui un subversif aux yeux du pouvoir en place. Cet ouvrage connut un regain d'intérêt en occident après que son auteur, alors en exil, eût accédé à la notoriété avec les ouvrages qui suivront, en particulier le cinquième de son oeuvre: L'insoutenable légèreté de l'être.

J'ai fait cette démarche de remonter aux sources du talent d'un auteur en commençant par le fleuron de sa bibliographie pour ensuite lire ce qui a forgé son succès. J'ai lu La plaisanterie par une journée pluvieuse. La grisaille qui émane de ces pages s'est harmonisée avec l'atmosphère ambiante. La plaisanterie est comme le qualifie François Ricard en postface, le roman de la dévastation.

Pourtant, même si ce champ de ruine pourrait se concevoir au premier abord comme celui de la culture d'un pays sous la férule du régime communiste, la véritable dévastation est surtout celle de la vie sentimentale des protagonistes de cet ouvrage. Car La plaisanterie est avant tout un roman de la vie des hommes, avec leurs bonheurs si maigres et si rares, leurs déboires plus prompts à s'entrelacer pour assombrir l'horizon.

Ludwik et Lucie s'aimaient avec sincérité. Leurs élans se sont pourtant heurtés à la barrière d'une sensualité étouffée. Le contact des corps, prolongement naturel d'un amour partagé, fut pour Lucie un supplice qui rendit leur union impossible. Ludwik restera dans l'ignorance de la cause de cet échec. Le lecteur l'apprendra de l'alternance des narrateurs de ce roman à plusieurs voix. Cette déconvenue fera de sa vie affective d'adulte une faillite. Héléna, Jaroslav et Kostka, les autres voix de cet ouvrage, ne seront guère plus heureux dans leur vie amoureuse.

Voilà un roman qui dépeint l'état d'esprit d'êtres sensibles aux prises avec les affres de la nature humaine, dans un contexte politique cultivant la dépersonnalisation. Les esprits malléables en quête d'eux-mêmes sont gagnés par la désillusion et la mélancolie. Ses premiers lecteurs ne s'y sont pas trompés, ils ont perçu chez ce talent contraint un auteur capable de dire le malaise dont ils souffraient eux-mêmes. Ce talent déploiera ses ailes plus tard dans l'exil et clamera son ressentiment de ces années volées à une jeunesse entretenue sous le boisseau, même s'il reste fidèle aux valeurs et à la culture de ses jeunes années. Musique, tradition, enracinement dans le christianisme trouvent faveur dans ses pages. Sans oublier une sexualité assumée même si elle n'est jamais l'aboutissement espéré de la plénitude amoureuse. Un voile grisâtre est la toile de fond de cet univers que chacun espérait légitimement radieux.

Milan Kundera nous livre un roman un peu déprimant. Sans doute révélateur de l'esprit d'un lieu et d'une époque.
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Milan Kundera est un de mes auteurs vivants préférés, avec Modiano et Auster, et sans nul doute celui dont je me sens le plus proche, dont je partage la vision du monde.
C'est aussi le seul dont j'ai lu toute l'oeuvre, y compris essais et théâtre; il faut dire que la production de Kundera n'est pas abondante, car si l'on excepte son oeuvre poétique de jeunesse qu'il a renié, il y a tout au plus 11 romans, 4 essais et 1 pièce de théâtre. Mais tout y est d'une très grande qualité, même s'il y a une certaine frange de la critique littéraire de notre pays (ah, les dégâts de la critique parisianiste!) qui déprécie son oeuvre écrite en langue française depuis les années 1990.

La relecture de ses textes est toujours pour moi, redécouverte et émotion, et je suis toujours saisi par "l'humanité" de leur propos.
Ainsi en est-il de la Plaisanterie, son premier roman, que je viens de terminer à nouveau le coeur serré.

Ce qui m'a frappé cette fois, plus que dans la première lecture, c'est son extraordinaire beauté formelle.
Il y a d'abord l'extraordinaire construction de ce roman. Un récit à plusieurs voix, dont celle principale de Ludvik, victime d'un traitement inique au début de l'ère communiste en Tchécoslovaquie, et de trois autres: celles de Jaroslav, Kostka et Helena. Ces voix vont apparaitre dans un ordre qui mêle une narration au présent (Ludvik revient dans sa ville natale pour se venger de Zemanek, celui qui l'a exclu du parti et de sa vie, en le trompant, du moins c'est ce qu'il croit, avec sa femme Helena) et des retours sur le passé, dans un ordre très subtil.
Ces voix deviendront une vraie polyphonie dans le dernier chapitre.
Celui-ci conclura, sur un rythme effréné et dans le temps présent, l'histoire des protagonistes, sous une forme qui fait penser à l'acte final d'une tragi-comédie, avec, comme dans une pièce de théâtre, une série de quiproquos ironiques et désespérés, jusqu'à une fin d'une incroyable douceur et humanité (on retrouve la même douceur finale, belle à pleurer, dans L'Insoutenable Légèreté de l'Etre).
Et l'auteur imprime à tout le récit un rythme changeant, parfois calme, parfois très rapide. Il y a quelque chose de musical dans tout cela, ce qui n'est pas étonnant si l'on sait que Kundera fut musicien et son père un grand musicologue et compositeur.

Et la relecture du texte m'a révélé aussi une infinité de petits détails merveilleux (un exemple, ce porte-manteau assimilé à un personnage esseulé qui apparaît plusieurs fois dans le dernier chapitre).
Oui, un chef d'oeuvre d'écriture.

Et puis il y a les thèmes abordés par ce récit, d'une très grande richesse et d'une grande complexité.

D'abord, le thème majeur de la dévastation, qui est bien analysée par François Ricard, le commentateur "attitré" des oeuvres de Kundera.
Un thème que Kundera déclinera de différents façons dans ses oeuvres futures.
Le héros, Ludvik, et, dans un registre différent, d'autres protagonistes, Jaroslav, Kostka, Lucie, sont des êtres déclassés, aux illusions perdues, à la jeunesse perdue. A l'opposé, il y a celles et ceux qui croient toujours aux valeurs du communisme (Helena), ou qui sont suffisamment opportunistes pour toujours maintenir leur pouvoir (Pavel Zemanek).
Mais Ludvik réalise à la fin que sa révolte, son désir de vengeance, ne sont que vanité et n'ont pas de sens. La simple conscience de vivre dans un monde de dévastation personnelle, et avec comme corollaire, la volonté d'oubli, l'acceptation du passé pour tel qu'il est, c'est à dire un monde perdu, en un mot, le détachement, permettent de retrouver le bonheur.
En ce sens, on pourrait dire que Kundera est un auteur qui rejoint les préoccupations et les aspirations actuelles, de celles et ceux qui prônent le retour aux valeurs simples de recentrage sur soi, du refus de l'égoïsme, de l'individualisme forcené. Mais chez lui, c'est plus que cela, je pense, car ce sont toutes les valeurs fortes de nos sociétés modernes qui sont sinon discréditées, au moins mises à distance, relativisées. Cela ne plait pas à tout le monde, et certains, dont je ne suis pas, critiquent ce qu'ils considèrent un côté passéiste et moralisateur.
Il y a d'autres aspects de la désillusion. Pour Jaroslav, l'exaltation dans sa jeunesse pour le retour aux racines profondes de la musique populaire, ainsi qu'aux traditions populaires, soutenus par la révolution communiste, fait place à l'amertume de se voir passé de mode aussi bien par le pouvoir, que par les gens, y compris son fils. Pour Koska, il y a la perte de la foi en une convergence entre christianisme et communisme, le doute sur sa sincérité dans sa relation avec Lucie.

Et puis le roman aborde d'autres thèmes. J'en cite quelques uns. Un thème troublant, qui reviendra dans d'autres livres (dont "La vie est ailleurs"), celui de l'intolérance de la jeunesse, de son fanatisme et de sa cruauté. Un autre, celui de la disproportion entre le caractère anodin pour nous de nos actes et leurs conséquences terribles (par exemple dans La Valse aux Adieux). Celui aussi de l'importance du lien avec la nature qui traverse tout ce roman. Celui de la relativité de la réalité selon les points de vue des êtres et le temps qui passe. Et enfin, bien entendu, celui de l'amour, à la fois de toutes ses méprises et de toute sa magie, un thème omniprésent dans l'oeuvre de Kundera.

Mais, pour autant, je ne voudrais pas que mon propos laisse croire qu'il s'agit d'un roman ou d'une oeuvre philosophique. Rien de moins, toute l'histoire racontée et tous les personnages sont d'une incroyable vérité et nous marquent avec force.
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Il y a quelques semaines sur Arte, j'ai entendu, avec stupéfaction, qu'un homme s'est fait licencier de son entreprise pour faute, à cause de son manque d'humour. Il a dû se battre pour obtenir justice et finalement, il a obtenu sa réinsertion, mais c'est pourtant le signe du nouveau consensus qui règne dans les entreprises : maintenant, il faut faire preuve de bonne humeur, plaisanter à propos de tout et de rien, pour faire soi-disant régner la concorde.
J'avais oublié Kundera et la plaisanterie que je me suis décidée à relire quelques jours plus tard quand j'ai appris sa mort. Je suis frappée par l'étrange symétrie des deux évènements. le deuxième, sous couvert d'une idéologie qui ne dit pas son nom, s'avance masqué, mais le résultat est le même. Dans l'un et l'autre cas, une simple divergence d'opinions, qui n'a pourtant rien d'essentiel et qui résulte juste d'un choix de posture, met en branle l'excommunication ou le bannissement avec toutes les conséquences que cela implique : perte d'emploi ou perte d'identité et de liberté.
C'est certainement très révélateur de la crise que l'on traverse...
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