AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Malaura


Le narrateur – Milan Kundera lui-même – et sa femme Vera ont décidé de passer la soirée dans un château de campagne où se déroule un congrès d'entomologistes.
Deux cents ans auparavant, ces lieux ont été le théâtre d'un roman libertin de Vivant Denon intitulé « Point de lendemain » dans lequel un jeune gentilhomme passe une folle nuit d'amour en compagnie d'une belle Comtesse avant de s'apercevoir qu'il n'a été utilisé que pour détourner les soupçons du mari de la dame de son véritable amant ; « Madame de T avait besoin d'un paravent afin que le Marquis restât insoupçonné aux yeux du mari »…
A l'instar du jeune chevalier du XVIIIème, divers personnages participant au congrès vivent ce soir-là des évènements particuliers qui les affectent au plus profond d'eux-mêmes. Jeune entomologiste, Vincent désire faire un coup d'éclat mais ne parvient qu'à se ridiculiser auprès de la femme qu'il souhaite séduire ; un vieux savant tchèque dissident par lâcheté, prend douloureusement conscience de l'imposture et du dérisoire de sa vie ; tandis qu'une journaliste de télévision entend de la bouche de l'homme à qui elle voue un amour fantasmé, les pires mots qu'une femme amoureuse puisse entendre.
Alors que les personnages d'aujourd'hui ne désirent rien d'autre qu'oublier au plus vite les tristes évènements de la nuit, a contrario, le chevalier du XVIIIème cherche à prolonger la nostalgie du souvenir dans la lenteur du mouvement.

Cette pensée de l'oeuvre de Vivant Denon devient le point de départ d'une réflexion sur notre monde moderne où vitesse et oubli sont désormais les maîtres mots, à la différence du monde ancien, celui libertin, jouissif et épicurien du XVIIIème siècle, où l'homme prenait encore le temps de rêver, de séduire, d'aimer et de penser.
« Notre époque est obsédée par le désir d'oubli et c'est afin de combler ce désir qu'elle s'adonne au démon de la vitesse »
En partant de ce postulat, Milan Kundera inter-croise les histoires de ses personnages, fusionne les récits, ausculte les états d'âme et les réactions des uns et des autres, et entrelace les fils du temps pour tresser un singulier et surprenant ouvrage, où le fictif se fond au réel, où la réflexion philosophique se mêle au canevas de la fiction, où le roman se combine à l'essai, offrant ainsi une insolite variation sur le concept de « Lenteur », génératrice de mémoire, de beauté, d'esprit de liberté et de recherche hédoniste des sens.
C'est le premier texte écrit par Kundera directement en français ; des phrases brèves, minimales, qui vont puiser leur force dans leur sobriété, leur mesure, la justesse concise et nette de leur argumentation.

A travers une intrigue romanesque réduite à l'essentiel, l'écrivain tchèque pose avant tout un regard aiguisé sur notre époque contemporaine où l'homme moderne, en perdant la faculté de lenteur, a effectivement gagné en vitesse, mais a perdu dans l'éphémère de ses actions et ses pensées, la propension au bonheur et au plaisir dont la lenteur portait la marque.
Vitesse de locomotion, de l'image, de la science, de l'amour, des manifestations du désir…Vitesse bien souvent castratrice, dépassionnée, ne servant qu'à faire oublier à l'homme moderne son insignifiance, sa faiblesse, sa lâcheté, sa risible et pathétique tentative de s'imposer aux yeux des autres et du monde.
L'auteur ne cache pas non plus le désagrément que lui cause la constatation de l'appauvrissement politique et culturel de notre monde, une époque où le Paraître est plus important que l'Être, où les politiques ne sont que des « danseurs » prêts à toutes les fourberies pour grimper dans les sondages, une époque enfin où le pouvoir des médias, par le défilé continu d'informations sensationnalistes - une image forte chassant l'autre – réduit l'impact moral et la conscience collective de chacun d'entre nous en le dotant d'une mémoire passagère, provisoire, évanescente et corruptible car : « quand les choses se passent trop vite, personne ne peut être sûr de rien, de rien du tout, même pas de soi-même ».
« La Lenteur »…ouvrage léger, ironique et plaisant, entre roman et essai, qui, sous ses airs de galéjade et de plaisanterie littéraire, est un texte beaucoup plus profond qu'il n'y paraît auquel ne manque ni l'humour, ni la réflexion, ni les raisonnements à méditer.
Un éloge de la lenteur et un pamphlet contre l'ère de la vitesse à tout prix.
Commenter  J’apprécie          690



Ont apprécié cette critique (40)voir plus




{* *}