Citations sur Le Don de Gabriel (15)
Carlo finit par se décider à dire quelque chose.
"Vous savez ce que vous êtes ?
- Que suis je ? dit papa. Ca fait des années que je cherche.
- Vous êtes un... vous êtes un...
-Je suis là, j'attends, fit papa, mais tu n'a pas les couilles de le dire, petit gros dur. Si tu le dis, ce sera contrariant, mais au moins ce sera rock'n'roll.
- Branleur", dit Carlo
Quel lieu vivant que Londres, songea-t-il. Ici, on pouvait tout réaliser ! Il suffisait d’avoir des désirs suffisamment ambitieux !
Il se demanda, bien sûr, s’il ne risquait pas d’échouer dans ce qu’il voulait, comme son père avait fini par le faire. Beaucoup de gens voulaient devenir quelqu’un, mais qui avait la persévérance, la capacité de s’investir, la détermination de fer ? Pour combien de gens était-ce une nécessité, une question de vie par opposition à la mort ? Il était trop jeune pour être vigilant. Il était plein d’espoir, habité par l’ambition de désirs irrépressibles. Il était prêt à travailler, aussi.
Changer sa vie du tout au tout comme ça. C’est une chose magnifique à faire, c’est un exploit. C’est marrant comment tout le monde a l’air de mener une vie de bohème, maintenant, à part les gens du gouvernement, qui doivent être des saints.
Où étais-tu passé, papa? demanda-t-il.
- Oui, excuse-moi. J'essayais de redémarrer ma vie…
Il voulait l’ignorer mais il avait besoin qu’elle soit là pour l’ignorer ; comment voulez-vous ignorer quelqu’un qui n’a pas conscience d’être ignoré, ou qui vous ignore. Elle avait décidé qu’il devait devenir avocat un point c’est tout. Elle estimait qu’elle n’avait pas à s’intéresser davantage à ce qu’il faisait.
Au même titre que des masseurs, des dealers, des comptables, des profs de gym particuliers, des professeurs de langue, des putains, des manucures, des thérapeutes, des décorateurs d’intérieur et nombre d’autres personnes à charge et pseudo-domestiques, papa s’était fait une place à la table des riches. Il leur donnait de la musique comme d’autres fournissaient des pantalons, des ongles bien coupés ou un ensemble de comptes. Si la richesse devait se répartir par « un effet de cascade » comme on avait dit aux gens que cela ne manquerait pas de se produire, elle atteindrait son niveau en passant par Rex.
Au bout d’un moment, tout ce que veut un homme, c’est un peu de paix. Malheureusement, l’état d’esprit le plus calme est le bonheur, et j’en suis très, très loin.
Cet homme est un vieil hippie. C’était une génération qui ne voulait pas comprendre la valeur des choses. Pourquoi crois-tu que nous sommes pauvres depuis toutes ces années ? Papa ne voulait pas être “matérialiste”. Là où j’ai mis le dessin… il sera en sécurité. Tu pourras l’avoir – bien sûr que tu pourras l’avoir – quand tu seras plus grand.
Faire partie d’une famille « complète » ces jours-ci, c’était appartenir à une minorité. Mais Gabriel n’avait pas eu envie de parler de la rupture. Les mots étaient aussi dangereux que des bombes, comme il l’avait découvert en lâchant des jurons devant sa mère. Ils ne se contentaient pas de décrire ; ils avaient un effet sur les gens ou déclenchaient des choses, or il s’en passait déjà plus qu’assez pour le moment.
De toute façon, pensait-il, les enfants comprenaient la tyrannie, à vivre avec ces patrons lunatiques et cruels qu’on nomme parents, sous un régime qui réprimait sévèrement leurs pensées et leurs activités. Les enfants étaient des anarchistes et des dissidents qui opéraient de façon souterraine, dans des cellules secrètes, en essayant de trouver un espace personnel inviolable.
Il fit des dessins pour illustrer ces paroles. Il savait que ce n’était pas suffisant d’idolâtrer Lester, comme ces fans qui croyaient pouvoir acquérir les pouvoirs de Lester en copiant sa couleur de cheveux. Si Gabriel devait accomplir quoi que ce soit par lui-même, cela nécessiterait plus qu’une teinture. Il fallait qu’il suive l’exemple de Lester et qu’il aille son propre chemin.