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Critique de Arutha


Ce roman aura été pour moi une véritable découverte. D'abord parce que j'ai lu très peu de critiques à son sujet et que mon système neuronique défaillant les a vite effacées de ma mémoire. Ensuite parce que, fidèle à mon habitude, j'ai lu en diagonale et très vite la quatrième de couverture qui ne m'a pas laissé davantage de souvenirs ou d'indications.
Du coup, j'ai entamé la lecture sans préjugés ni a priori ce qui reste assez rare pour être souligné dans notre époque de surinformation (surinformation à laquelle je contribue dans ma modeste mesure. J'ai conscience du paradoxe).
Et ma foi, lire un roman dans un tel état d'esprit, ça fait du bien.
Alors, me direz_vous, et si vous ne me le dites pas je le dirai à votre place, de quoi est-il question dans cette Pointe de l'épée ? Autant le dire d'emblée, dans le domaine des critères permettant de la classer en fantasy, le roman ne remplit que le minimum syndical. Il ne doit en effet de faire partie du genre que parce que l'histoire se situe dans un monde totalement imaginé par l'auteure. Cependant, l'univers développé par Kushner n'est pas sans rappeler l'Europe du XVIII ème siècle. Il en est même un reflet assez fidèle ce qui peut rendre curieux le choix d'avoir inventé un monde quand un roman historique aurait pu tout aussi bien convenir. Mais c'est sans compter avec le petit truc qui distingue de notre monde réel celui du livre. Dans ce dernier, les nobles dans leur quasi totalité, répugnent à utiliser l'épée pour régler leurs différents. Ils préfèrent faire appel, lorsque la situation l'exige, à des bretteurs professionnels. Et c'est d'ailleurs l'histoire de l'un d'entre eux, la plus fine lame du pays, qui fait la substance du roman. Après avoir mené à bien (comme toujours) son premier contrat à l'ouverture du roman, Saint-Vière, ce fameux meilleur bretteur, se retrouve impliqué bien malgré lui dans des embrouilles politiques.
Pourtant, malgré la présence quasi permanente de cet escrimeur hors-pair, le roman n'est pas réellement un pur roman de capes et d'épées. Tout juste assisteront nous à deux ou trois duels et l'action n'est pas la caractéristique principale du récit. On pensera davantage, immanquablement, aux Liaisons Dangereuses, qu'aux Trois Mousquetaires. Même si, loin s'en faut, Kushner n'est pas Laclos et ses personnages n'ont pas tout à fait l'esprit d'une Merteuil ou d'un Valmont. Pas sûr qu'ils soient même aussi délicieusement détestables. Mais je vous accorde que nous ne sommes plus au XVIIIème siècle et qu'il serait vain et ridicule d'écrire comme à l'époque. Toutefois l'écriture est belle, ciselée et bien rendue par une excellente traduction de Patrick Marcel.
Une seule fausse note, malgré tout, dans la symphonie composée par Kusner : les dialogues. Je les ai trouvés pour ma part calamiteux, au moins la plupart du temps. Et en particulier lorsqu'ils auraient du permettre de mieux cerner les motivations des protagonistes ou de mieux comprendre les détails des intrigues. J'ai souvent du renoncer, je l'avoue, à comprendre les déclarations de tel ou tel personnages. Bon, en même temps, dans les grandes lignes, les motivations se résument souvent à : je veux être calife à la place du calife et les intrigues consistent simplement à trouver un moyen efficace mais non compromettant de tuer ledit calife. Rien de bien compliqué. Eh bien même ça, Kushner parvient à le rendre abscons dans les dialogues qu'elle a imaginé. On frise l'exploit.
Alors me direz-vous que reste-t-il au roman pour nous séduire ? Eh bien, ma foi, s'il n'est pas un roman de capes et d'épées, un roman d'aventures, s'il n'est pas bourré d'action, il n'en reste pas moins un drame parfaitement réussi. Je n'hésiterai pas à reprendre le sous-titre du roman pour le qualifier. A savoir : un mélodrame d'honneur. Voire une tragédie. Une tragédie dont tous les personnages sont masqués. A l'exception notable de Saint-Vière, qui n'est peut-être pas, au départ, le plus sympathique de ceux que nous seront amenés à croiser dans le récit. Après tout il est ni plus ni moins un tueur. Mais c'est pratiquement le seul à agir à visage découvert (autant du moins que sa "profession" le lui permette). Chaque protagoniste va ainsi jouer son rôle, grand ou modeste, dans le drame qui se joue. Nous aurons droit à notre lot de fausses pistes, de coups de théâtre.
Impossible de conclure sans dire un mot du traitement remarquable, de mon humble point de vue, qui est fait de l'homosexualité, en l'espèce masculine, par Ellen Kushner. L'auteure parle en effet du sujet sans ostentation, sans sensationnalisme, sans voyeurisme. Elle y met une tendresse probablement toute féminine et un naturel confondant. A aucun moment on ne devine de sous-entendus du genre : regardez comme je suis une femme moderne, ouverte, tolérante. Elle parle d'ailleurs moins d'amours homosexuelles que d'amour tout court. Je devrais dire de passion en l'occurrence tant les relations entre les deux amants si dissemblables sont empreintes de violence.
En résumé un roman bien écrit, dans l'ensemble, agréable à lire et qui devrait vous faire passer un bon moment à condition toutefois que vous ne cherchiez pas à tout prix de l'action, des intrigues élaborées mais que vous vous contentiez de suivre les agissements de personnages que le destin a réunis, pour le malheur de quelques uns, un court moment de leurs vies.
(Chronique écrite le 7 juin 2010)
Lien : http://aruthablog.blogspot.fr/
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