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Critique de michfred


Acuité du regard, concision du portrait, perfection de la forme.

La Bruyère est un maître à voir, à penser,et à écrire.
Je dirais même à écrire par-dessus tout. .Voyons plutôt comment il aborde le portrait d'Acis, le "diseur de phébus":

Que dites-vous ? Comment ? Je n'y suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? J'y suis encore moins. Je devine enfin : vous voulez, Acis, me dire qu'il fait froid : que ne disiez-vous : "Il fait froid" ? Vous voulez m'apprendre qu'il pleut ou qu'il neige ; dites : "Il pleut, il neige". Vous me trouvez bon visage, et vous désirez de m'en féliciter ; dites : "Je vous trouve bon visage." — Mais répondez-vous cela est bien uni et bien clair ; et d'ailleurs, qui ne pourrait pas en dire autant ?" Qu'importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d'être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, à vous et à vos semblables, les diseurs de phébus; vous ne vous en défiez point, et je vais vous jeter dans l'étonnement : une chose vous manque, c'est l'esprit. Ce n'est pas tout : il y a en vous une chose de trop, qui est l'opinion d'en avoir plus que les autres ; voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre ; je vous tire par votre habit et vous dis à l'oreille : "Ne songez point à avoir de l'esprit, n'en ayez point, c'est votre rôle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que l'ont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit : peut-être alors croira-t-on que vous en avez."

On rit impitoyablement de ce phraseur prétentieux dont n'on a pourtant pas entendu la voix!


On frémit aussi: ainsi quand il dresse ce tableau terrible des paysans affamés par les guerres, écrasés d'impôts.

"L'on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés du soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible ; ils ont comme une voix articulée, et quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes.

Ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines ; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer de ce pain qu'ils ont semé."

Tableau terrible d'une existence machinale qui nous renvoie honteusement à notre propre animalité de prédateurs...
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