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Critique de LeScribouillard


La Fontaine, sorte de Lorenzaccio vivant, léchant les bottes du roi le jour, l'assassinant dans ses écrits la nuit. Oui parce qu'oubliez la version turbo-XIXe siècle qui voudrait que les Fables soient pour apprendre aux écoliers à bien se comporter et que les conseils ne pourraient pas également s'appliquer aux chefs d'État (Rousseau lui-même se rendit compte à quel point ces gentils poèmes avec des animaux anthropomorphes étaient en fait tellement trachosse qu'il en interdisait la lecture aux enfants...). Les morales sont presque toujours ambigües, la cigale pouvant être tout aussi bien considérée comme une bobo d'assistée se faisant remettre à sa place par une fourmi désireuse du fonctionnement optimal de sa start-up fourmillière que comme une intermittente du spectacle précarisée quand le Covid fut venu et abandonnée par un certain gouvernement trop occupé à distribuer des médailles en chocolat aux soignants plutôt que des moyens... Si vous avez été choqués petits par la cruauté des fables qu'on vous faisait réciter à l'école, c'est normal : elles sont d'une noirceur satirique effrayante, que l'ironie et le ton faussement léger rendent paradoxalement encore plus incisifs mais supportables. Il y a un avant et un après La Fontaine. Une fable, c'est désormais un genre, avec ses codes, ses degrés de lecture, les retournements de situation qu'on ne voit pas venir ; il y en a des bonnes et des mauvaises en fonction de la subtilité de leur chute. "Le vieil homme et le serpent", par exemple, c'est pour moi une des moins bonnes : on sait tout de suite que la bête recueillie va mordre son bienfaiteur, sans compter que le texte pourrait être parfaitement repris de nos jours par les sympathisants d'extrême-droite. "Le lion voulant se faire berger" (je n'ai pas pu retrouver le titre exact, mais ceux qui auront lu le livre sauront de quoi je parle), en revanche, c'est un must-have de tout ce qu'on avait lu jusque-là : avec ce twist où le coupable devient la victime, le fatalisme devient presque jouissif face à cet humour noir et cette implacable lucidité. Dans l'ensemble, on se retrouve avec un épais volume, des fois verbeux pour bien caresser le Roi-Soleil et sa cour dans le sens du poil, mais qui possède tellement de coups de poignard dans le dos qu'il constitue en quelque sorte un chef-d'oeuvre méconnu face à l'ersatz dénaturé qu'on en a fait dans les primaires et les collèges. Encore une bonne raison de ne pas aller à l'école, les enfants !
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